Je me souviens qu’il m’a engueulée devant mon père, je me souviens qu’il m’a engueulée devant ma mère. Je me souviens qu’il s’est moqué de moi devant mes ami-e-s, je me souviens qu’il s’est foutu de leur gueule devant elles et devant eux, et devant d’autres. Je me souviens de ce qu’il disait pour m’humilier. Je me souviens quand il a minimisé l’importance des choses dont je parlais. Je me souviens quand il a dit que je m’inventais une vie. Je me souviens quand il a aussi dit ça de mes ami-e-s. Je me souviens quand il m’a dit qu’il n’avait pas besoin de faire ça, lui. Je me souviens qu’il a dit de la merde sur des meufs qu’il avait connues et que je l’ai écouté. Je me souviens du moment où j’ai eu honte d’avoir pu être jalouse de fantômes qu’il avait créés et je suis désolée, même si elles ne le sauront jamais, d’avoir cru ne serait-ce qu’un instant que ce qu’il disait d’elles était vrai. Je me souviens du moment où j’ai su qu’il ferait la même chose avec moi. Je me souviens du moment où toutes les mises en garde venues de personnes qui le connaissaient se sont connectées dans ma tête. Je me souviens du moment où j’ai arrêté de penser que c’était une personne blessée pour accepter de penser que c’était une personne blessante.
Je me souviens quand Troy Davis a été exécuté : j’ai pleuré et il m’a dit “t’es sérieuse, là ?”. Je me souviens que je lui ai parlé de DSK, qu’il a répondu n’importe quoi et que j’ai regardé le sol en me disant “qu’est-ce que je fais là ?”. Je me souviens des fois où on a parlé de la Palestine, du RSA et des relations amoureuses, quand on parlé de Dieu, des minijupes et du DSM, quand on a parlé de tout et de rien et que je n’arrivais pas à croire qu’il puisse véritablement penser ce qu’il disait. Je me souviens des fois où il s’est excusé ensuite et a recommencé le lendemain. Je me souviens des fois où j’ai pardonné et des fois où j’ai cru que c’était de ma faute. Je me souviens quand j’ai remarqué qu’il était de mauvaise foi et que ce qu’il disait n’avait pas de sens parfois.
Je me souviens des fois où il m’a dit que j’étais une pute et des fois où il m’a dit que j’étais une merde. Je me souviens des fois où il a dit que ce qui m’intéressait, les gens que je rencontrais et les endroits où j’allais étaient médiocres. Je me souviens de la fois où l’on m’a proposé de participer à un projet super intéressant et qu’il a dit que c’était juste parce que le mec voulait me baiser, alors j’ai refusé pour ne pas l’embêter. Je me souviens que je n’ai pas fait les études que je voulais faire à l’étranger parce que je préférais rester avec lui et que je regrette, même si c’était ma décision. Je me souviens quand il m’a engueulée parce que je ne voulais pas partir en vacances avec lui et que son argument était qu’il passait pour un con auprès des gens qui lui demandaient où j’étais. Je me souviens des fois où il m’a hurlé dessus, des fois où il a jeté mes objets dans la pièce et les a cassés, des fois où il s’est battu avec des gens dans la rue parce qu’il était énervé à cause d’un truc que j’avais dit ou fait. Je me souviens des fois où il a déchiré mes vêtements. Je me souviens qu’il m’a empêchée de gagner de l’argent en méprisant la façon dont je pouvais le faire. Je me souviens qu’il ne m’a jamais vraiment encouragée et je me souviens quand quelqu’un d’autre l’a fait. Je me souviens qu’alors il a détruit mes affaires, qu’il est venu à mon travail, qu’il a exigé de l’argent et s’est marqué sur la peau “fais-toi violer la bouche” à la place de mon prénom. Je me souviens qu’il essayait de me changer, que je ne me laissais pas faire et que ça le rendait fou.
Je me souviens de sa fascination pour la violence ; en musique, en politique, en cul, en teuf, en tout en fait. Je me souviens de son attraction-répulsion envers les femmes et le malaise dans lequel ça me mettait. Je me souviens de la première fois où il a sorti un truc misogyne et où j’ai pensé que c’était une blague. Je me souviens qu’au début, je le trouvais cynique et drôle et que peu à peu ça m’a fait vachement moins marrer. Je me souviens de ses propos réacs, je me souviens de ses envolées lesbophobes, transphobes et putophobes, je me souviens de ses blagues racistes qui ne faisaient rire que lui. Je me souviens que tout ce qu’il trouvait drôle découlait du foutage de gueule des autres. Je me souviens quand je me suis rendu compte qu’il n’y avait rien de joyeux ni de bienveillant dans son monde. Je me souviens quand j’ai décidé de partir.
Je me souviens quand je me suis retrouvée dehors à 3 heures du matin, que je me suis mise dans une cabine téléphonique pour rassembler trente secondes mes esprits et qu’un mec s’est jeté sur la cabine en la léchant et en tapant. Je me souviens du bouquet final, il y a six mois, quand j’ai perdu ma maison et mes affaires parce qu’il m’a jetée dehors et a tout balancé dans la rue. Je me souviens de mes ami-e-s qui ont assuré et que je ne remercierai jamais assez, et des sien-ne-s, qui l’ont aidé à tout vider. Je me souviens de tous les objets qui avaient de l’importance pour moi et qui ont été cassés. Je me souviens du jour où je suis revenue chercher mes vêtements, le tapis de ma grand-mère et mon amandier. Je me souviens que j’ai demandé où étaient tous mes vêtements et qu’il a dit “je vais être gentil : tes affaires, pas la peine de te demander où elles sont, j’ai vu les gens partir avec dans la rue” (*). Je me souviens quand je lui ai demandé où était le tapis et qu’il m’a dit “tu vas te mettre à genoux et tu vas aller le récupérer sous le canapé”. Je me souviens quand j’ai pris mon amandier, que je galérais à le porter dans la petite entrée et qu’il m’a dit “tu dégages vite, sinon je vais t’aider en te balançant dans les escaliers”. Je me souviens qu’on m’a dit d’appeler la police et de porter plainte. Et je me souviens que j’ai décidé de ne rien faire, parce que je me suis dit “dans six mois, je préfère être moi que lui”.
Et aujourd’hui, j’ai enlevé la bâche que j’avais mise sur l’amandier pour le protéger de l’hiver, et il a fleuri. 🙂
Je me souviens de ce que j’ai appris.
Je me souviens que j’ai eu peur et j’ai appris que le fait d’avoir peur d’une personne qui dit vous vouloir du bien, c’est se rendre compte que cette personne peut activement et volontairement vous faire du mal. Je me souviens que j’ai joué selon ses règles et ses conventions et j’ai appris que, malgré tout, les gens fous ne voient que ce qu’ils veulent. Je me souviens que je me suis dit que c’était la première fois que je rencontrais quelqu’un comme lui et j’ai appris à arrêter de me battre et à accepter que des êtres humains puissent être toxiques.
Je suis contente d’être partie, mais j’ai perdu deux ans de ma vie.
Il ne comprendra jamais à quel point il m’a fait du mal, parce que les ondes de choc sont beaucoup moins spectaculaires que les chocs eux-mêmes ; pourtant elles sont tout aussi destructrices. Il ne se rendra jamais compte que je n’ai pas tout raconté ; pour moi, mais aussi pour le protéger. Il dira que je m’invente une vie, que je suis une pute et une merde, et il recommencera sans doute avec d’autres.
Je me souviens de choses jolies, mais je n’en parlerai pas ici.
(*) Ici.
T.
8 mars 2013
Illustration par Hamza
https://www.facebook.com/hamzadjenat
deux lectures.
une à la publication
l’autre maintenant
et cet écho en moi
..same same but different..
.pensée.
Un vécu similaire, mais pour moi 4 année et deux enfants qui me lient à vie à lui… moins de 6 mois que je suis partie, et je n’ai pas encore réussi à calmer complétement la crainte qu’il m’inspire. Bataille juridique oblige, le combat continu. Quel plaisir de retrouver sa propre lumière et de retrouver la force nécessaire pour s’épanouir. Et quelle tristesse de constater le nombre effrayant de ces personnes malades qui dévorent ceux qui se perdent à les aimer…
Ce texte résonne tellement en moi, je ne sais pas vraiment quoi dire. Ca décrit tellement mon ex. C’est très bien écrit, bravo. Bien que l’idéal aurait été de ne pas avoir eu à l’écrire, bien sûr.
Quelle horreur, ces types
J’espere que la refloraison sera eternelle pour toi, que ta vie sera belle. Tu le mérite. Courage.
J’ai la haine… Contre lui, et les autres qui se comportent comme ça.