Je suis devenue pubère à l’âge de 15 ans.
Je me souviens comme si c’était hier de la venue de mes règles, de la prise de conscience complexe et progressive de mon corps d’adulte.
Ça a été un apprentissage lent et surtout douloureux.
Tous les mois la douleur est là, qui pulse de plus en plus fort dans mon ventre.
De mes médecins, j’apprends alors le mot dysménorrhée, les noms des médicaments qui calment et de ceux qui ne marchent pas sur moi.
J’apprends à prendre ma nouvelle contraception censée régler mes problèmes de femme.
J’apprends que c’est la nature qui va falloir faire avec, comme toutes celles avant et après moi.
J’apprends surtout la patience, j’apprends à attendre que la douleur se calme.
Jusqu’au jour où la douleur me fait tomber.
Elle me foudroie un jour en cours. J’avais tout juste 17 ans. J’entends encore le bruit mat de ma tête sur le bois de mon bureau.
J’ai du mal à me relever. Direction l’infirmerie, retour à la maison, visite chez le médecin.
Il ne semble pourtant pas inquiet mais va falloir aller voir ce qu’il se passe. Rien de grave, un simple examen de routine.
Le rendez-vous est pris dans un cabinet de radiologie.
L’endroit est chic malgré l’austérité des examens pratiqués.
Ma mère m’a accompagnée, un peu parce que j’ai peur et surtout parce qu’après avoir bu 1.5 L d’eau j’étais incapable d’y aller seule.
Mon tour arrive.
J’entre dans la salle d’examen.
Le spécialiste est là, est-il médecin, gynécologue, radiologue … ? Je ne sais pas, il ne se donne pas la peine de se présenter à moi, ni même de me saluer à mon arrivée….
“Vous venez pour quoi ?”
Il ne se donne pas la peine non plus de lire mon ordonnance.
J’essaie de lui expliquer ce qu’il se passe. Il me regarde comme une abrutie. Je ne suis pourtant pas bête, je sais ce qu’il se passe en moi, je n’ai juste pas le bon vocabulaire.
Je me souviens de sa voix sèche qui m’ordonne de me déshabiller.
Je garde quand même mon t-shirt, qu’il me demande d’ôter également.
Je refuse et je pense que c’est à partir de là que je me le suis mis à dos.
Il pratique son échographie sans aucune explication, sans aucun ménagement.
Je me retiens de toutes mes forces pour ne pas uriner sur la table alors qu’il me laboure le ventre.
“Je ne vois rien, on va passer par voix basse”.
Sans un mot il prend l’appareil qui va lui permettre de me pénétrer et faire son échographie.
Encore une fois pas une explication, pas un mot de réconfort.
Je me souviens avoir paniqué et m’être demandé “mais putain c’est quoi ce truc ? qu’est ce qu’il va faire avec ? ”
J’étais vierge et c’est lui qui m’a déflorée, sans un mot, avec force et rage.
Je me souviens avoir pleuré sans un bruit, de peur, de douleur, de frustration.
À un moment, inquiète pour ma santé, j’ai réussi à demander ce qu’il voyait à l’écran.
“C’est votre utérus; c’est bon vous pouvez vous rhabiller”.
Je ramasse mes affaires, j’essaie de rassembler ma dignité partie en morceaux pendant cette échographie.
Avant de quitter la salle d’examen, je lui demande un retour, si éventuellement j’ai du souci à me faire.
Il ne relève même pas la tête.
“Vous verrez ça avec ma secrétaire”.
Et là il y a eu un déclic en moi.
J’ai lui ai littéralement hurlé dessus.
Mais qui était-il pour traiter ses patientes ainsi ? Comment il pouvait pratiquer ainsi, en humiliant les femmes qui venaient le consulter ?
De quel pouvoir il osait abuser de mon corps et celui des autres, profitant de notre angoisse et de notre soumission à la grande autorité médicale ?
Je me souviens qu’on a dû me faire sortir manu militari, je me souviens avoir refusé que ma mère paye l’examen. Je me souviens avoir voulu porter plainte.
Mais pourquoi ?
Pour quelles raisons ?
Quelle valeur à ma parole contre un praticien réputé ?
J’ai laissé tomber, ne sachant pas par qui me faire aider.
Ce jour là, j’ai appris ce qu’étaient des kystes fonctionnels.
J’ai appris que ce n’était pas bien grave mais que j’aurai mal tous les mois.
J’ai appris que j’étais une femme et que pour cette simple raison, le corps médical me laissera avoir mal tous les mois..
Mais j’ai surtout appris que j’avais un corps qu’on devait respecter. Qu’aucune autorité ne devait avoir l’ascendant sur moi. Que les professionnels de santé devaient me respecter.
Ce praticien a encore pignon sur rue.
Alors j’ai décidé de témoigner, que mon apprentissage puisse servir à d’autre…
Camille
Illustration par Céline
Bravo d’avoir réussi à réagir ! Et courage…
bravo pour votre réaction! Sinon je me demandais s’il n’y avait pas une liste noire ou autre comme il existe une liste blanche pour les gynécos sur lequel inscrire ce praticien pour ne pas que d’autres femmes subissent le même traitement?
Je vous trouve si courageuse d’avoir osé réagir, osé relever la tête… Surtout à un âge si jeune ! Vous avez peut-être eu l’impression que votre colère n’avait servi à rien, mais c’est une certitude que cela l’a au moins amené à comprendre que vous n’étiez pas une chose. Sans même parler de l’exemple que vous nous donnez : merci.
Je dois avouer que ce témoignage m’a secouée … J’ai lu, sur ce site, différents témoignages de viols ou violence qui m’ont parfois touchée, choquée, mais pas comme le votre.
J’ai vécu une expérience similaire, bien que je n’ai pas réagit ou que je n’en ai jamais reparlé à qui que ce soit …
Tu as raison de dénoncer le comportement de ce praticien, qui finit par ne plus voir l’être humain et seulement un “cas”, le travail, la routine. Alors merci, et bravo !