Il y avait celles qui passaient inaperçues, que je n’entendais pas à cause de mes oreilles alors closes. Elles se manifestaient par des petites blagues, des mails « à faire passer mdr », des commentaires de gens bourrés en fin de soirée du genre « je lui ai payé des coups, elle va rentrer avec moi ha ha ha. »
Il y a eu par la suite celles qui ont pris forme au fur et à mesure que j’ai grandi, qui ne m’étaient pas même visibles jusque là.
Celles qui gravitent autour non plus du corps de la femme, mais de ce que la femme est, et puis autour de toute autre forme de condition que la condition Homme Hétérosexuel Blanc Judéo-Chrétien. Des « non mais attends, il faut pas non plus être choqué, il y a toujours une possibilité qu’elle aille en congé maternité, il faut le comprendre le boss » aux autres, plus vicieuses : « c’est juste pas le bon profil pour ce poste» ; de grandes déclarations sentencieuses qui se cachent derrière une démagogie nauséabonde.
Vint ensuite la première profonde et horrible conversation avec une très proche amie violée à l’adolescence par un homme de son entourage. Histoire suivie par d’autres, chacune aussi violente que la précédente. C’est la première fois que je me suis dit que merde, il y a encore tellement de choses à changer, cette violence faite aux femmes est partout. Comment ne l’ai-je pas vue avant ?
Et puis c’est comme avec beaucoup de coups de sang : ça se tasse, ça se diffuse, ça passe après la vie quotidienne.
Est finalement arrivé ce qui arrive si souvent : le système de l’homme dominant, du monstre couillu hétéronormé et haineux s’est arrêté sur moi.
Dans un bus. Où j’étais avec mon mec et des potes, en retour de soirée. Où des attitudes amoureuses et un peu passionnées ont fait tomber sur nous des provocations insultantes. Où je me suis fait traiter comme un déchet et où l’on m’a craché dessus. Où mon mec s’en est aussi pris plein la gueule. Où on s’est toutes et tous fait frapper à des degrés différents. Où tous ces mecs s’entr’excitaient, en bons primates qu’ils sont.
À se taper dans le dos. À chercher la formulation la plus humiliante. À sortir leurs plus obscènes épithètes. À s’accorder sur le fait qu’il fallait me remettre à ma place, à répéter que ce sont eux, les mecs, et que je n’ai qu’à fermer ma gueule, ou les sucer (là je crois avoir souri). À mesurer leurs bites en somme.
Notre arrêt en vue, nous nous sommes rapprochés de la porte en vitesse et avons fini notre chemin en silence ou en pleurs, selon chacun.
On n’en a que très peu reparlé, « n’en faisons pas un fromage » nous disions-nous, « ça aurait pu être bien pire » nous rassurions-nous. Et c’est vrai que ça aurait pu être bien pire.
N’empêche.
Comme tout, la peur ressentie ce soir-là est passée. Cette expérience a terni dans ma mémoire.
Cette violence est devenue un souvenir.
Mais ce qui ne ternira jamais, ce que j’ai compris depuis, est que la nature, la loterie des gènes et des chromosomes, valide pour certains une conviction qui ne peut être que maléfique. Qu’une simple paire de XY – toute arbitraire qu’elle soit – peut suffire à échafauder toute une palette de violences institutionnalisées, normalisées, graduées et calculées.
Je suis heureux de savoir que malgré ma paire de XY à moi, je ne suis et ne serai jamais insensible à cela, et que ce combat tardif dans ma vie ne perdra plus jamais de son importance.
Toma
Cinq ans plus tard, revoilà l’arbitraire…
Illustration par Emilie Pinsan