Vaste question que celle-là. De quoi parle-t-on ? Pendant la grossesse ? Après ? Au fond, tant la grossesse que l’accouchement réinterrogent le rapport avec notre corps. J’ai toujours été très complexée par mon ventre, avec le fantasme du ventre plat qui me tiraillait, et qui était pour moi inaccessible. Parfois, quand je couchais avec mon mec, il y avait une petite voix qui me disait « Oh là là ! Dans cette position, ton ventre doit être si dégueu ! ».

Ça ne paraît pas très compatible avec la grossesse, cet état d’esprit. Eh bien, paradoxalement, je ne me suis jamais sentie aussi bien avec mon ventre que pendant la grossesse, malgré mes joyeux dix-sept kilos de pris (je ne vous dis pas ma circonférence avant d’accoucher). Je n’ai plus eu cette petite voix bien reloue dans la tête et, au contraire, plus mon mec me voyait nue avec mon ventre proéminent, plus j’étais comblée. Mon regard plus bienveillant a amené beaucoup de tendresse dans notre couple, mais de pénétration, point trop n’en faut. Était-ce le manque d’envie ? Une personne qui ne se mêlait pas assez de ses fesses m’a sorti un jour que, ça y est, comme j’avais « volé » la semence, mon esprit se détachait complètement de la chose charnelle. On tombe pile dans l’image d’Épinal de la femme enceinte, le regard lointain et un sourire absent sur les lèvres, la main négligemment posée sur son ventre.

Nope.

J’ai eu la chance d’avoir une grossesse très paisible, mais le seul et unique symptôme que j’avais prenait quand même une sacrée place : j’étais épuisée. Je pouvais dormir jusqu’à dix-huit heures par jour quand je ne travaillais pas et j’étais quand même fatiguée. Alors bon, faire danser la culotte pour tester le Kamasutra de la grossesse, ce n’était pas franchement d’actualité. Donc, pour les gens qui ne se mêlaient pas assez de leurs fesses (puisque quand une femme est enceinte, elle, son ventre, sa vie et les décisions qu’elle peut prendre tombent dans le domaine public… mais non non, on n’a pas besoin du féminisme), je privais mon mec de sexe. Et à force de l’entendre, mon mec commençait à mal vivre cette abstinence. Mais y avait-il réellement abstinence ? Il y avait beaucoup de tendresse, beaucoup de caresses ou autres chastes câlins. La sexualité était-elle donc réellement absente parce que la pénétration n’était pas franchement au programme tous les soirs ?

Sur le chemin de la parentalité, la grossesse a surtout mis en avant tous les questionnements sur lesquels on ne s’attardait pas : c’est quoi le sexe ? Est-ce que la pénétration est obligatoire ?

Et puis, cette petite graine, elle est bien entrée, faut qu’elle sorte maintenant. Ah. Bon. C’est obligé ?

Quand j’entendais le discours « classique » sur la grossesse et l’accouchement, je ne me retrouvais pas : l’omniprésence du corps médical, la servilité de notre corps aux gestes parfois imposés, le manque d’informations données aux premières concernées. J’ai alors découvert un monde militant dont j’ignorais l’existence. J’ai découvert le blog « Marie accouche là », les nombreux récits, l’accouchement respecté, physiologique. J’ai découvert les chiffres ahurissants, les épisiotomies systématiques, les césariennes de confort pour l’équipe médicale, le flou artistique sur le déclenchement (ma maternité déclenchait sept jours après le terme, la maternité à cinquante kilomètres déclenchait deux jours après le terme, pourquoi ?), les positions obligatoires, l’absence d’accompagnement due au manque de personnel. Et la culpabilisation, partout, tout le temps. J’ai voulu refuser tout ça, j’ai beaucoup lu, appris sur le fonctionnement du corps, je me suis nourrie de l’expérience des autres. Mais au fond, mon mec et moi, on était tout seuls. Les cours d’haptonomie ? Deux sages-femmes pour le département. Accouchement à domicile ? Plus de sage-femme depuis trois ans, elle a jeté l’éponge. Accès à une salle physio avec une baignoire ou tout autre matériel ? Ma maternité, bien que désireuse de respecter au maximum le processus d’accouchement, n’était pas considérée comme assez grande pour avoir les financements pour s’équiper. Pourquoi parler de ça ? Au fond, on s’en fout, on est là pour parler sexualité, non ? J’en parle parce que tout est lié. Et tout revient à la même et unique question : le respect du corps, le respect de la parole de la femme.

J’ai donc accouché dans une maternité de niveau 1. On était trois en travail en même temps, un personnel, s’il n’était pas surchargé, pas assez nombreux non plus pour effectuer une présence de soutien optimale. J’ai souhaité rester le maximum à la maison pour gérer, mon projet étant d’éviter la péridurale et ses effets secondaires. Mais par manque de réel accompagnement, je n’ai pas pu mener ce projet jusqu’au bout. J’ai eu de la chance d’avoir une péridurale à faible dose, ce qui me permettait de pouvoir me mouvoir. Pourquoi parler de chance ? Car, là encore, on touche au flou artistique : aucune maternité ne propose la même chose. Sympa pour le consentement éclairé, quand tu découvres plus ou moins les conditions sur le tas.

Mon accouchement s’est bien passé. Je n’ai pas eu d’épisiotomie, selon mon souhait, et seulement une déchirure nécessitant un point et deux éraillures internes. Et là, j’ai bien ressenti la différence entre le discours « classique » et les récits plus éclairés, militants, que j’avais pu lire. Dans le premier cas, vous pouvez toujours chercher des récits sur les suites de couches, vous n’en trouverez pas. Un peu comme les contes de fées, l’histoire s’arrête à l’arrivée du bébé. C’est cela oui. Quelle honte de laisser des femmes dans l’ignorance de ce qu’elles pourraient vivre à la suite de leur accouchement ! Car les contractions, si elles sont moins douloureuses, continuent parfois de manière plus prononcée si vous allaitez, car cet utérus qui a accueilli le bébé, il faut bien qu’il retrouve sa taille normale. Et les saignements postaccouchement peuvent durer jusqu’à huit semaines. Où est-ce qu’on le lit, ça ? Pour le coup, le sketch de Florence Foresti a une part de vérité : le tabou, le silence sur la grossesse, l’accouchement, l’après. Et pour le coup, j’en veux à nos mères, à nos grands-mères ou aux amies qui ont pu accoucher avant nous. J’en veux à la société de les pousser au silence car « c’est intime, ça doit rester secret, on oublie tout le bébé dans les bras ». Non, on n’oublie pas tout une fois le bébé arrivé, surtout quand l’accouchement ne s’est pas bien passé. Comment retrouver une vie normale quand certaines vivent l’apocalypse pour mettre au monde un enfant, parfois pas totalement désiré ? Quelle prise en charge de cette douleur, de cette souffrance ? Comment on nous accompagne ? La réponse est simple : on n’accompagne pas. On désigne très pudiquement comme « baby-blues » la chute plus ou moins puissante d’hormones qui suit l’accouchement. Comme on dit, Johnny, il a le blues, les femmes ont la dépression post-partum. Heureusement, on n’est pas toutes dans ce cas de figure, mais pour celles qui le sont, bon courage à elles car sans appui de confiance, elles se retrouvent face à un mur d’incompréhension : « Pourquoi tu es triste ? Il est en bonne santé le bébé, non ? Et toi aussi ?  La vie continue ! ». Oui, le bébé a la santé, oui, le corps a la santé. Mais la tête, l’esprit ?

Les suites de couches interrogent forcément la sexualité par le biais de tous ces facteurs. Les médecins donnent un délai de trois à quatre semaines avant de reprendre les rapports, notamment pour éviter les infections. Il vous sera spontanément proposé une pilule et, pareil, il faut de la chance et être dans une maternité avec un personnel ouvert pour se voir proposer autre chose. Pour ma part, j’ai réclamé un retour au stérilet qu’on m’a posé six semaines après l’accouchement. À celles qui se sont vu dire « Non, c’est trop tôt. » ou « On attendra le retour de couches pour vous le remettre ! », c’est faux. Puisque j’allaitais, je n’ai eu mon retour de couches que huit mois après et, sauf contre-indications vraiment médicales, il n’y a aucune raison d’attendre. On touche là au manque d’informations sur la contraception, augmentant les probabilités de prise de risques des nouveaux parents (coucou le bébé surprise !) ou encore le mal-être de se voir imposer une contraception qu’on refuse. Alors que nous sommes des personnes en pleine possession de nos moyens, libres de mener notre sexualité comme on l’entend, de fausses informations circulent et entravent nos choix.

Donc, en théorie, la sexualité (entendue « par pénétration », vous l’aurez bien compris : sans pénétration, point de salut pour ton vagin) peut reprendre trois semaines après. Une copine m’a avoué, honteuse, deux mois après son accouchement, qu’ils n’avaient toujours pas repris. « Ça craint, j’ai peur qu’il se lasse » : toujours cette même rengaine, ce même centrage uniquement sur l’un des membres du couple, cette culpabilisation que l’on ressent de ne pas offrir le sacro-saint pénis dans vagin. Et si j’étais sensibilisée à cette question avant mon parcours de parentalité, c’est véritablement à ce moment qu’elle a pris sens, violemment, me tordant les tripes d’injustice.

Pour ma part, la sexualité a pris du temps à redevenir comme avant. En fait, elle n’a repris qu’un mois après l’arrêt de mon allaitement, aux treize mois de ma fille. Avant, c’est comme s’il y avait une séparation entre ce que voulait mon esprit (m’envoyer grave en l’air avec le beau gosse qui partage ma couche) et ce que voulait mon corps (rien… ah, si, dormir.). J’étais excitée mentalement par mon compagnon, mais physiquement, c’était le désert. J’étais pleine d’amour quand il me caressait, mais aucune réaction physique. C’était le désert parce que ma fille avait un sommeil anarchique et que j’étais fatiguée, que j’étais concentrée sur mon allaitement. L’allaitement peut faire sécréter de manière plus ou moins forte des hormones qui entravent le désir sexuel et j’ai été en plein dedans. J’ai clairement vu un avant et un après allaitement, mais malgré ça, si c’était à refaire, je referais la même chose : privilégier mon allaitement aux parties de pénis dans vagin. Ma priorité n’était plus mon mec, ce n’était plus ma sexualité. Ça ne veut pas dire qu’il ne le sera plus. Il est toujours une priorité, mais ce n’est plus La Priorité pour l’instant. Je me suis tournée vers notre fille, et à la fin de cet allaitement, vers moi. Il est passé après et il a eu du mal à l’encaisser, ce changement de statut et ce qui va avec. Car tout comme pendant la grossesse, notre sexualité était pourtant toujours là malgré les apparences, malgré ce que les préjugés attendent de nous. Et ce discours « classique » tellement culpabilisant, toujours tourné vers l’homme, son plaisir, son pénis, et « oh là là après neuf mois de grossesse tu pourrais faire un effort ». Non.

Aujourd’hui, notre fille a dix-huit mois. Nous commençons juste depuis deux mois à avoir un sommeil apaisé et forcément, on est plus disponibles pour se retrouver physiquement. Mon mec n’est pas quelqu’un de sensibilisé, il a baigné dans le discours « classique », et avant cette aventure de la parentalité qui a commencé dès la grossesse, il n’aurait jamais imaginé que la sexualité puisse prendre d’autres formes que pénis dans vagin. Ça a été dur, on a morflé, il a été parfois très sec avec moi sur la question, prenant de manière très personnelle mon refus de pénétration alors que ça n’avait rien à voir avec lui. J’avais un corps à ré-apprivoiser, un équilibre à trouver et d’autres priorités. Nous n’avons plus la fréquence de nos jeunes années, mais cette sexualité me plaît beaucoup plus et aujourd’hui, je suis plus épanouie au lit (ou à tout autre endroit permettant de profiter des rares siestes de l’affreuse).

Aujourd’hui, j’ai voulu témoigner pour apporter mon soutien aux futurs ou nouveaux parents. Peut-être que rien ne changera pour vous, mais la sexualité peut changer. Et ce changement n’est pas forcément négatif, même s’il est dur à vivre.

Y.

Dessin au feutre sur feuille blanche : en fond, un rond noir. Devant, une femme court, longs cheveux au vent. Elle porte une robe à motifs rouges et est traversée d’arabesques colorées. Devant elle une grosse spirale de fumée jaune.

Illustration  par N.O.