Ça devait faire dix ans que nous étions ensemble, huit ans de mariage et un enfant de 7 ans. Très vite on en a voulu un autre, et tenté plein de trucs, que des méthodes naturelles. Rien, rien de rien. Avec le temps, pour plein de raisons, nous nous sommes éloigné-e-s, sans vraiment s’en rendre compte, notre union ne rimait plus à rien, il a eu du mal à l’accepter, on s’est rabibochés, on a couché, et l’ovule a été fécondé !

Sauf que moi je voyais bien que c’était fini et bien fini entre nous, j’avais décidé de partir, et voilà que ce qu’on n’attendait plus arrive, mais trop tard. Impossible de continuer avec le père, impossible de vivre une séparation avec un enfant en bas âge et un autre dans le ventre.
Alors j’ai fait mon choix, en adulte responsable, j’ai décidé de ne pas le garder. Lui il aurait aimé qu’on le garde, mais je voyais bien qu’il s’accrochait à tout ce qu’il pouvait pour me récupérer, il niait l’évidence.

J’ai avorté par intervention chirurgicale, je n’ai rien senti et c’est mieux comme ça.

Enfin, je garde tout de même le malaise quand l’infirmière en charge m’a demandé ce qu’il s’était passé, comme si je devais justifier mon choix. Mais qui es-tu pour me demander ça ? Et les jeunes femmes dans la salle d’attente, apeurées, pleines de culpabilité, comme si elles avaient fauté ! Je me suis sentie infantilisée, on a dû se changer dans les toilettes, par pudeur. On devait rester cul nu, on ne se connaissait pas, et quand j’ai mis un drap autour de ma taille, l’infirmière m’a demandé pourquoi. « Par pudeur » je lui ai répondu, j’avais pas envie de montrer mes fesses à tout le monde, je ne connaissais pas les personnes qui étaient là. Elle « mais enfin Madame, on est à l’hôpital là, et puis on est entre femmes ! »
Bin oui mais n’empêche.

Il a été présent, a accepté et fini par comprendre mon choix. Aujourd’hui nous ne sommes plus ensemble et il est là pour le grand.

J’ai parlé à cet enfant qui n’a pas vu le jour, je lui ai expliqué qu’il n’arrivait pas au bon moment, que nous n’étions pas en mesure de lui offrir la vie que nous désirions pour lui. J’ai confié cet enfant à mon père au ciel (de son vivant, on était très proche).

Les premières années c’était ok pour moi, j’y pensais, sans plus.

Mais aujourd’hui, je pense à cet enfant, à l’âge qu’il ou elle aurait, comment serait la vie si…. Et je ne peux m’empêcher de l’imaginer entre son père et moi, à chercher à nous renouer sans cesse, à porter inconsciemment le poids de la tension familiale, une mère usée par devoir, un père frustré, et un grand frère perdu. Non, ce n’est pas un cadeau à faire à un nouveau-né, je ne regrette pas mon choix.

Par contre je pense à mes sœurs d’ailleurs, celles qui n’ont pas la possibilité de choisir, que ce soit à cause de la loi ou de leur situation financière, je pense à ces enfants nés de désamours. Quel héritage pour eux ?

 

Lucy

Illustration par FFC.

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