C’était en 2004. J’avais 21 ans. J’étais pionne dans un collège de ZEP. Les élèves étaient compliqué-e-s mais pas violent-e-s. On pouvait blaguer avec les 6e mais aussi avec certain-e-s 3e. Avec les garçons, c’était particulier : les plus grands étaient beaucoup dans la drague avec moi. Je ne me montrais ni gênée ni en colère mais je leur faisais comprendre que ça ne se faisait pas. Ils parlaient beaucoup de cul, de leurs plans culs, réels ou non. J’ai même pendant plusieurs mois tenté d’expliquer à l’un d’eux que dire à une fille « t’es bonne » n’était pas un compliment. Entre les surveillant-e-s, aucun esprit de groupe, aucune camaraderie, voire de la rivalité. Quand on m’a proposé de travailler quasi exclusivement au CDI pour assister la responsable, je me suis mise à dos les autres qui m’ont considérée comme une planquée. Et les professeur-e-s ? Ils vivaient entre eux, pas de lien avec nous. Voilà pour le décor.

La menace

Un jour, je faisais une permanence avec un collègue. On avait quelques 3e. Ils foutaient le bordel. Ils mettaient de la colle sur des crayons de bois qu’ils essayaient d’enflammer avant de nous les envoyer. Ils balançaient même des CDs. Ils étaient ingérables. Dans le groupe, il y avait un garçon assez balèze, le genre de leader qui t’a à la bonne le lundi et t’emmerde le mardi. Il agissait ainsi avec ses camarades comme avec les surveillant-e-s. Disons que cette fois-là, on était dans un de ses mauvais jours. Bref. Avec mon collègue, on fait ce qu’on peut. Je ne sais plus exactement comment on s’en est sorti. Mais c’est à la récré que ça s’est gâté. J’étais dans la cour pour la récréation du matin avec le même collègue que pour la perm.

Je me rends compte que les élèves qui nous avaient emmerdés nous ont encerclés. Je ne sais plus comment ça commence mais un moment, le grand balèze est devant moi, il désigne celui qui se trouve derrière moi et lance : « Machin, t’auras qu’à la prendre par derrière pendant qu’elle me sucera ». Je ne me souviens plus de la suite, si ce n’est qu’ils nous ont promis de nous attendre à la sortie à 17h. Réaction de mon collègue : « Moi, ça va, je finis à 13h ».

 

L’administration

La récré finie, j’ai foncé au bureau du principal pour raconter ce qui venait de se passer. Je suis malheureusement tombée sur son adjointe qui m’a engueulée. Parce que c’est pas comme ça qu’il fallait faire : la procédure c’était de faire un rapport écrit et non de venir en parler à l’oral. Je lui ai écrit 3 pages bien remplies. Mais j’ai insisté pour voir le principal. Rien à faire. Vers midi, l’adjointe m’a poussée à la cantine, m’engueulant presque parce que je n’était pas à mon poste. Le reste de la journée s’est écoulé sans problème. Personne ne m’attendait à la sortie. Je suis rentrée chez moi. Est-ce que j’ai raconté ma journée à ma colloc ? Je ne sais plus. Toujours est-il que je devais rejoindre un groupe d’étudiants le soir pour bosser sur un projet commun. A l’arrêt de bus, ça m’a pris d’un coup, j’ai vomi en pleine rue. Je me suis sentie mal, je suis rentrée chez moi. Contrecoup.

 

Des années plus tard…

Cette histoire ne m’a pas traumatisée. Pour moi, elle est un incident. C’est comme si ces garçons m’avait traitée de connasse. Mais il y a quelques jours, j’ai réalisé ce que j’avais vécu. Quasiment dix ans après l’événement. J’ai été menacée de viol. Voilà. Je n’ai pas été insultée. J’ai été menacée de viol. Qu’importe si pour ces garçons, cela équivalait à me traiter de connasse ou d’un autre nom d’oiseau, qu’importe qu’ils n’aient sûrement jamais eu l’intention de faire ce qui me promettaient. Il m’aura fallu dix ans et des discussions et lectures féministes, la compréhension de la rape culture pour que ça me saute enfin aux yeux. Bam. Dans ta gueule. Ça me fout mal maintenant. Je me retrouve avec ces émotions nouvelles dont je ne sais pas quoi faire. Mais aussi avec des envies de réflexion et d’action. Comment des garçons, mineurs, collégiens, en arrivent-ils à balancer des choses pareilles ? Quelle est leur vision des femmes ? De la sexualité ? Leur vision d’eux-mêmes ?

Entre émotions et réflexions, je dois continuer mon petit bonhomme de chemin. Mais avec quelque chose de nouveau. Dont je vais me servir. Pour continuer la lutte féministe. Encore et encore.

 

Beth Greene

Le collège

Illustration par Rghaga#