Ma maman était une femme merveilleuse, joyeuse et pleine d’attentions pour ceux qu’elle aimait. Pourtant, tout n’a pas été aussi simple par le passé.

Tout a débuté en 1983, quand elle a appris que mon père la trompait. C’était facile pour lui, étant chauffeur routier, car il rencontrait beaucoup de monde et bien sûr, beaucoup de femmes. Malgré son envie de le quitter, elle a écouté les conseils de ma grand-mère et elle est restée avec lui. Il est vrai qu’à cette époque je n’avais que trois ans et que ma petite sœur venait de naitre. Et puis elle a cru ses promesses. Mais, rien ne s’est déroulé comme cela. Il a continué de la tromper et elle l’a appris quasiment à chaque fois. Même s’il n’y avait pas encore les portables, étant routier mon père avait ce qu’on appelle une CB et ma maman en avait une à la maison. Chaque fois qu’elle l’allumait pour attendre mon père, elle entendait d’autre chauffeur la surnommer la cocu du village en passant à côté de chez nous. Petit à petit, elle est entrée dans une grave dépression et pour combler son chagrin et elle a commencé à boire… Jusqu’en 1992 où elle a été hospitalisée à cause d’une grave anémie. A cette époque, je ne savais pas que son foie était déjà touché par l’alcool. Quelques semaines plus tard, elle est sortie de l’hôpital, mais elle a continué à boire. Elle ne se cachait plus et malgré le fait que mon père la voyait faire, il n’a jamais rien fait pour arranger les choses.

En 1993, mon père rentrait exceptionnellement le mardi soir et je suis montée le retrouver dans le camion. Quand je lui ai dit que je ne supportais plus la voir souffrir, il m’a répondu que de toute façon, elle allait crever (ce sont ses mots). En rentrant à la maison, j’ai servi à manger à ce dernier et ma mère m’a demandé un steak. Quand j’ai voulu lui amener, elle s’est retournée et elle avait du sang plein le visage. J’ai lâché l’assiette… Le lendemain, mon père est parti alors que ma mère rentrait de nouveau à l’hôpital, c’est ma sœur qui avait 10 ans à cette époque qui a eu la charge de rester avec notre maman le temps que l’ambulance vienne la chercher. Une fois à l’hôpital, elle est tombée dans un coma à cause de la quantité de sang qu’elle avait perdu, mais heureusement, elle s’en est sortie. Quelques semaines plus tard, elle est rentrée à la maison et elle avait pris la décision de divorcer.

En 1994, on a déménagé avec ma maman. Elle avait totalement changé, elle ne buvait plus, elle était de nouveau heureuse et moi, petite fille de 14 ans, je naviguais entre la semaine avec ma maman et un week-end sur deux chez mon père. Il faut savoir qu’une cirrhose provoque des varices autour de l’œsophage. Un soir de l’année 1996 alors que tout allait allais très bien et que l’on était devant la télé à regarder Columbo, ma maman est partie se coucher. Je me suis tout de suite inquiétée car elle adorait ce feuilleton et ne le ratait jamais. Au bout de quelques minutes, je l’ai entendu se relever et aller aux toilettes pour vomir. Quand je suis allée la voir, j’ai vu qu’elle avait vomi du sang dans tout le couloir et une quantité astronomique dans les toilettes. Tant bien que mal, j’ai réussi à la recoucher, mais elle délirait complétement. Elle a même failli mettre le feu dans la pièce. J’ai foncé sur le téléphone et appelé le Samu qui a envoyé le médecin de garde. Quand il est arrivé, il nous a tout de suite dit qu’il fallait l’hospitaliser, car sinon elle allait mourir. L’ambulance a emmené ma mère dans le même hôpital qu’en 1993 et c’est un médecin qui nous a expliqué que c’était à cause des citrons qu’elle mangeait régulièrement. Pourtant, elle en avait parlé à notre médecin de famille qui savait précisément qu’elle avait des varices à l’œsophage, mais il lui a dit que c’était bien pour les vitamines. L’acidité des citrons lui a entamé les varices qui ont créé une hémorragie interne importante. Elle saignait depuis un moment avec ce soir-là et c’est l’ammoniaque produit par la digestion du sang qui a créé les vomissements et les délires. Elle a passé plus d’un mois à l’hôpital avant de pouvoir rentrer à la maison.

En 2003, j’ai accouché de ma première fille. Ma mère n’allait pas très bien à cette époque. En effet, ma sœur et moi avions quitté la maison et on pensait qu’elle avait accepté, mais ce n’était pas le cas. Le 8 janvier 2004, cela faisait plusieurs fois que j’essayais de la joindre sans succès, quand elle m’a rappelé. Elle m’a demandé de venir d’urgence, qu’il y avait plein de sang et qu’elle était tombée. Avec ma sœur, on a foncé jusque chez elle et on a dû appeler les pompiers pour ouvrir la porte. On l’a retrouvée assise par terre, dans une immense flaque de sang. Elle était tombée chez elle et s’était ouverte la tête sur un cendrier sur pied. Les pompiers l’ont emmené à l’hôpital de ma ville où elle a été opérée pour lui refermer la plaie. C’est là-bas qu’on a appris qu’elle avait recommencé à boire. Ce même hôpital m’a annoncé le décès de ma mère, parce que pour eux elle avait eu une hémorragie cérébrale. Heureusement que les médecins de ce premier hôpital l’ont transféré dans le même hôpital que les autres fois, car ils ont su soigner ma maman et en quelques semaines, elle était de nouveau sur pied. A partir de là, elle est venue vivre avec moi.

En 2005, elle a repris son appartement et la vie suivait son court. Elle allait bien, elle a connu mon beau-père avec qui elle était enfin heureuse et vivait à 100 à l’heure. Elle avait changé du tout au tout. Elle prenait enfin soin d’elle, elle prenait plaisir à vivre pleinement et ça me rendait heureuse de la voir changer comme cela. Malgré tout, elle avait une santé très fragile, elle était diabétique, elle devait être suivi régulièrement pour la cirrhose et devait passer des examens tous les ans. Le 28 janvier 2013, elle a attrapé une gastro entérite comme beaucoup en plein hivers. Mais chez elle, ça a fait l’effet d’une bombe. Le jeudi matin, quand j’ai appelé pour savoir si elle allait mieux, c’est mon beau-père qui m’a répondu. A ce moment-là, je savais que tout allait mal. Il m’a dit qu’elle délirait et qu’elle ne se levait pas. J’étais coincée avec mon fils malade à la maison et j’ai appelé ma sœur pour qu’elle aille voir. Arrivée chez elle, elle a appelé le médecin qui l’a envoyé à l’hôpital rapidement. C’est là-bas qu’elle est tombée dans le coma et en quelques jours, tout s’est aggravé. Elle a été intubée et les médecins étaient très pessimistes. Malgré tout, elle est sortie du coma et a réussi à nous dire qu’elle nous aimait. Le lendemain, elle est retombée dans le coma et le 18 février 2013, elle est partie rejoindre les anges à cause d’une pneumonie qu’elle avait attrapée à l’hôpital. Son état était tellement faible à cause de la gastro qu’elle n’a pas réussi à s’en sortir cette fois-ci.

Aujourd’hui, cela fait deux ans qu’elle n’est plus avec nous et pourtant, il m’arrive encore d’essayer de l’appeler. J’étais extrêmement proche de ma maman, c’était mon pilier. Pour moi, elle représentait une force presque invincible, parce que malgré sa santé fragile et ce qu’elle avait fait, elle avait été toujours présente pour nous et aurait tout donné pour ses enfants. Malgré le fait qu’elle me manque atrocement chaque jour, je reste forte, car je sais qu’elle ne voudrait pas me voir m’écrouler. Mes trois enfants et mon mari m’aident chaque jour à voir la vie du bon côté et je me dis qu’il faut vivre chaque instant pleinement, car on ne sait pas de ce que demain sera fait.

Lalanne

Dessin au feutre noir de la silhouette ou de l’ombre d’une femme buvant une bouteille au goulot.

Illustration par Thi Gomez