T’as abattu tes cartes, trop vite, t’y es allé trop fort. T’étais sûr de ta victoire.
Tu t’en sortais très bien pourtant jusque là. Tu l’aurais jouée fine, tu te serais excusé, tu m’aurais dit que tu ne voulais pas que je te regarde comme un ennemi, ce serait passé crème.
Je suis arrivée chez moi en courant, il y a trois semaines, je t’ai trouvé avec deux autres types en train de me cambrioler dans deux centimètres d’eau.
Tu tenais ma gazeuse familiale. Je ne t’ai pas confronté, parce que vous étiez trois et armés dans mon appart dévasté.
J’ai accepté que tu m’aides soi-disant à retrouver ce qui avait été volé pour récupérer ma gazeuse. Tu as même eu le culot de menacer un mec avec. Tu te sentais puissant. Tu t’es laisse faire quand je te l’ai prise des mains. Ensuite, j’ai attendu la société qui devait venir pomper les centaines de litres d’eau, avec toi, tu as été gentil, prévenant.
Le sur-lendemain, tu m’as proposé de me filer un appart voisin du tien dont tu avais les clefs. Je me suis enfuie. Tu m’as regardée préparer mes affaires.
Le soir, tu m’as appelée pour savoir si je rentrais. Pourquoi est ce que tu me demandais ça ? Parce que tu regrettais ou parce que tu voulais encore me dépouiller ?
Tu as soufflé le chaud et le froid les jours suivants, tour à tour gentil et moqueur, en tout cas très présent.
J’ai décidé d’aller te parler. Ok, tu m’avais infligé une défaite, et maintenant ? Je n’en pouvais plus de ne pas savoir. Je voulais savoir quelle était la suite.
Deux ans, deux ans que je te connaissais. Des nuits à fumer des tarlus. Pendant lesquelles tu m’as subtilement draguée. T’étais le seul mec de notre ghetto qui avait le droit de flirter avec moi.
Comme je savais que c’était bientôt fini et que je m’ennuyais, j’ai décidé de coucher avec toi. L’excitation de l’action. L’excitation de savoir que même si nous nous étions toujours bien entendus, on était tous les deux puissants et dangereux.
Moi, j’avais un terrain, des soutiens, de l’argent, des armes.
Toi, tu étais resté dans l’ombre, mais tu avais du territoire, des gens qui payaient, pas trop cher, pas trop nombreux. Pas trop gourmand, discret. Je savais que tu avais écrasé le chef dont la grande gueule menaçait les rentrées d’argent.
Puis ça a été à mon tour. Dès que l’occasion s’en est présentée, tu m’as affaiblie, privée de territoire, d’armes. Tu étais le seul d’entre nous à ne pas avoir essuyé de grosses défaites. Le rapport de force était en ta faveur. L’humiliation que tu m’as infligée en participant à mon cambriolage, mon incapacité à déterminer une politique en l’absence d’éléments me permettant de savoir quels étaient tes objectifs me paralysaient.
Donc j’ai décidé d’aller te parler.
Tu m’as accueillie, tu avais vraiment l’air content de me voir, d’être avec moi. Tu m’as fait visiter ton territoire, j’étais impressionnée. On a fumé un joint puis tu as commencé à me toucher. Je t’ai interrogé sur le cambriolage, tes réponses ne m’ont pas convaincue du tout.
Tu m’as demandé de te sucer.
J’ai éclaté de rire. Vu la configuration, tu voulais que je te suce à genoux. Je t’ai dit que c’était hors de question. Je me suis dirigée vers la porte. Tu as tourne la clef et l’a fermée. Tu as mis les clefs dans ta poche. Tu m’as dit de ne pas m’inquiéter, que personne ne saurait, qu’il n’y avait qu’un voisin et qu’il dormait. Et que je n’étais pas obligée de me mettre à genoux, qu’il y avait des chaises. Mon sourire s’était affaissé au premier tour de clef mais le fait que je pourrais réveiller le voisin a été un argument qui a touché. Parce que lui, c’est de notoriété publique qu’il est violent avec les femmes.
Oui, t’as gagné, mais t’as gagné quoi ? Tu m’as perdue, moi. Je venais examiner des conditions d’alliance dans le nouveau cadre qui se présentait. Je pensais que c’était ton intérêt aussi bien en terme économique que de pouvoir d’entretenir une alliance avec moi. Tu as exigé de moi une soumission sans conditions. Pourquoi pas, c’est la guerre et j’ai essuyé une défaite.
Mais quand tu as infligé une défaite à d’autres, tu ne leur as pas demandé une fellation.
Ca te faisait bander que de m’avoir à ta merci. De ma puissance, tu ne voulais pas. Tu me voulais faible et soumise.
Tu m’avais largement affaiblie et tes plans auraient pu fonctionner.
Mais j’ai de la ressource et je suis capable de me battre sur plusieurs fronts. Et si j’aime trop le ghetto, comme nous tous, bien qu’on s’en défende, je me bats aussi pour le quitter. Et j’ai gagné sur ce front là.
Alors oui, t’as gagné. T’es plus fort que moi. T’es le roi du ghetto. Mais tu vas régner sur qui ? Des cafards et des rats. En tout cas pas sur moi.
…..
Une semaine et demie après, je suis intervenue pour sauver une meuf. Et avec mon pote, on a gagné. Une fois l’action menée, je me suis mise à trembler. Puis à rire. Tu as essayé de me faire croire que j’étais faible. Tu m’as démoralisée. Tu m’as fait perdre confiance en ma capacité d’autodéfense. Ce n’est pas tout d’être armée, il faut aussi avoir le moral de s’en servir. En me cambriolant, tu m’avais atteinte sur ce plan là. Moi qui ai sauvé des tas de meufs, je n’ai pas été capable de me sauver moi même lorsque tu m’as séquestrée. Mais, justement, ton action a rompu le charme. T’as perdu sur ce terrain là aussi. Je suis forte. Je suis libre. Et je suis prête à me battre pour le rester.
Claire

© Clémence Thune
www.cargocollective.com/clemencethune
Bien (r)envoyé.
Spécial règne sur un empire de rats et de cafards.
C’est qui l’bouffon, ici, dans l’histoire ?
Bienvenue dans la zone du sérial looser
Qui s’prend pour un sérial killer
Un vrai boloss, ce mec.