L’endométriose est une malédiction.
À l’adolescence, tu as tes premières règles, ça y est, tu es une femme, tu sais que la machine est en marche et que tu es officiellement inscrite dans cette lignée ancestrale de femmes qui ont enfanté et enfanté et enfanté jusqu’à toi, là, assise sur les toilettes, et découvrant le dénouement rouge clair, presque translucide, des maux de ventre qui t’assaillaient depuis des semaines. Désormais, chaque mois, tu auras rendez-vous avec elles, tes règles, celles dont tu n’oses pas vraiment parler ni prononcer le nom, par pudeur. Et tu vas très vite les trouver envahissantes et douloureuses.
Tu vas mettre cinq ans à te décider à consulter : à vingt ans, un gynécologue te dit que non, il n’est pas normal d’avoir mal dans toute la zone pelvienne avant/pendant/après l’ovulation, avant/pendant/après les règles. Non, il n’est pas normal d’être pliée à angle droit quand ces douleurs se manifestent. Non, il n’est pas normal de pleurer en allant aux toilettes les trois premiers jours des règles.
[Je crois que c’est ça le pire : aller aux toilettes, se tenir aux murs, enfoncer ses ongles dans la chair de ses cuisses tellement le passage des selles et le flux des urines sont difficiles. C’est d’une violence inouïe. C’est comme si tout le contenu de ton ventre et de ton bas-ventre sortait par gros caillots.]
« C’est une endométriose, mademoiselle. On va vous prescrire une pilule pour amoindrir les symptômes. »
Donc, pilule, prise de poids, sentiment compliqué d’intoxiquer ton organisme contre ton gré. Et puis, quelques mois plus tard à peine : premier test de grossesse positif. Tu as vingt-et-un ans et tu es enceinte. L’endométriose ne t’aura pas pris la possibilité d’enfanter à ton tour. Pendant un an, l’endométriose se repose : les cycles sont à l’arrêt, tu as d’autres maux, mais pas ceux-là. Cette accalmie est bienvenue. Et force est de constater qu’on se déshabitue vite de la douleur.
C’est d’ailleurs parce que tu es déshabituée qu’après la naissance de ta fille, tu vas changer de contraception et te faire poser un stérilet en cuivre. L’idée du siècle ! Là, ton endomètre n’est pas, mais alors pas du tout d’accord. Règles archaïques, douleurs inflammatoires qui le sont tout autant et d’une intensité décuplée. C’est l’horreur dans ton bas-ventre, n’importe quand, sans prévenir. Et tu as eu le temps de t’en rendre compte, durant tes longues nuits d’insomnie où tes doigts crispés passaient et repassaient sur ton ventre endolori de l’intérieur. Il n’est rien de plus anxiogène qu’une inflammation interne, avec un corps étranger en contact.
Tu retires ce stérilet, tu reprends la pilule. Et puis, entre temps, on te découvre un papilloma virus qui te vaudra une belle conisation. Genre, tu avais besoin de ça. En vérité, la grossesse reste le meilleur moyen de ne plus sentir l’endométriose : deuxième test de grossesse positif. Décidément, si l’endométriose est une malédiction, tu es plutôt bénie de la fécondité. Deuxième accalmie. Deuxième sensation de liberté.
Pourtant, c’est ensuite que ça s’est compliqué. Tu as vingt-huit ans, ton dernier né a trois ans, tu t’apprêtes à quitter ton mari. Tu arrêtes, rebelle, ta pilule aussi. L’endométriose – certainement amourachée avec tes angoisses somatiques – reprend des tours. Tu manques t’évanouir de douleur devant toute ta classe de lycéens, tu dois garder le lit plusieurs jours à cause de tes règles… Ça devient handicapant pour ta vie de famille et pour ton job. Pour ta sexualité, les circonstances font que tu ne te poses plus franchement la question… Mais tu sais que toute pénétration te serait plus douloureuse que d’habitude, voire insupportable.
Tu décides de re-consulter. Touchers vaginaux extrêmes, échographie profonde, IRM, les nodules sont identifiés, localisés. Mais voilà : tu vas devoir vivre avec, a priori. Alors, tu prends, à nouveau, une pilule qui bloque totalement tes règles. La solution ? Pas vraiment. L’endométriose est plus maline, et les nodules s’inflamment de manière archaïque et impromptue. C’est désespérant, fatiguant, décourageant. Parallèlement, tu essaies de reprendre une vie de femme, tu as des amants, leur pénétration est douloureuse, c’est comme un glaive qui te traverse et perce la zone interne haute de ton vagin. Il y a des positions que tu évites ou que tu subis en serrant les dents, et ton point G, tu le fuis comme la peste.
Ça dure dix-huit mois. Et un jour, tu as trente ans, tu rencontres une autre femme, tu l’aimes, tu fais ton coming-out. Et cette femme, elle te dit qu’elle respectera toujours ce qui peut te blesser, et les moments où tu auras mal. Alors, tu desserres les dents et tu arrêtes, avec un espoir de décision définitive, ta pilule qui te donnait des symptômes de ménopause, fâcheux à ton âge, doublés d’effets indésirables dérangeants.
Ton corps reprend ses droits. Tu philosophes. Tu connais précisément ton cycle. Tu fais des croix noires, des points rouges et des têtes de mort dans le calendrier. Tu comptes, chaque mois, avec la pointe de ton crayon : ce qui t’intéresse n’est pas de savoir quand tes règles vont arriver, mais plutôt quand tu risques de souffrir ; tu aménages ton temps et tes activités, le plus possible, en fonction de ça. Tu as toujours des anti-inflammatoires sur toi, et tu prends de l’homéopathie : tu as le sentiment que ça fonctionne et que ça limite la casse… Tu redoutes toujours les passages difficiles aux toilettes, les ongles dans les cuisses, la suée et la tête qui tourne, l’impression d’avoir un corset des reins jusqu’aux genoux, une chape de fer dans le pubis. Mais tu philosophes. Il y a environ dix jours par mois où, quand tu marches, tu sens des secousses douloureuses au niveau de l’utérus, comme un deuxième cœur qui bat. Mais tu philosophes. Ça fait partie de la femme que tu es. Tu apprivoises ton endométriose. Après tout, elle a décidé de squatter il y a quinze ans, et elle est indélogeable. Elle et toi êtes en mésentente cordiale.
Hisis Lagonelle
@lagonnelle_h

Peinture d’un portrait de femme sur un fond de camaïeux bleus.
Illustration par Chloé Debauges
Bon courage !
Tout à fait ça cette saleté…
Tout à fait ça cette saleté…
C’est un récit criant de vérité. Malheureusement, il faut le vivre pour le comprendre. Les gens ne voient pas, non, ils ne voient pas. J’espère que votre nouvelle partenaire comprend, vous respecte, que votre corps meurtri ne prend pas le dessus sur votre vie…
Bonjour, j’arrive un peu tard mais ce commentaire servira peut être… Savez-vous qu’il existe un lien entre les douleurs et l’alimention? Et que suivre le régime seignalet permet de diminuer, voire faire disparaître les douleurs et même on commence à avoir des temoignages de personnes qui ont pu voir une diminution des lésions en suivant ce régime?!