Voilà quelques mois, nous avons accueilli dans notre vie un petit garçon, un petit bout de nous qui ressemble fortement à une page blanche sur laquelle nous allons nous réinventer.
Nous nous sommes battus contre ce cliché qui prétend qu’une fois parents, la vie du couple est « sacrifiée », plus la même du moins. Nous le savions mais nous nous y refusions ; il partagerait tout avec nous, un nouveau compagnon de route dans notre voyage vers la jouissance de vivre. Bon… en réalité, il faut bien admettre que pas mal de nos principes ont été remis en question.
C’est-à-dire que nous l’avons attendu, ce bébé ; près de trois ans, trois années à être suivis par des spécialistes de la fécondation. Ma femme a subi de nombreux examens que mes multiples masturbations laborantines ne peuvent concurrencer (il faudrait d’ailleurs repenser ce système, car ce n’est déjà pas glamour mais les structures n’aident pas pour donner sa semence…).
On se soutenait et on préférait rire de nos examens, mais les mois passaient et on ne riait plus. Il faut faire l’amour tel jour, ne rien faire pendant x jours, faire l’amour et le lendemain aller au laboratoire pour faire un « recueil » du fruit de cette joute… Bref, des mois qui mettent bien le couple à l’épreuve. Nous avons fini par faire une pause car nous commencions à nous foutre sur la gueule pour un oui ou pour un non.
Mais nos efforts ont fini par payer, et bientôt, le ventre de ma femme s’arrondissait autant que notre amour se renforçait.
J’ai essayé d’être le plus présent possible, des premiers mois pendant lesquels la femme enceinte est exténuée, jusqu’au dernier où le poids du bébé in utero pèse sur les lombaires, les chevilles, le corps entier. Pendant ces mois de grossesse, nous avons peu fait l’amour, voire pas. Nous avons, sans se le dire vraiment, mis notre vie sexuelle entre parenthèses et nous n’en souffrions pas, nous nous concentrions sur ce bébé qui arrivait. Nous avions du désir l’un pour l’autre mais nous nous le démontrions autrement, par des jeux, des caresses…
Il faut savoir que l’idée que l’on se fait de la libido exacerbée de la femme enceinte est fausse. Du moins, loin d’être une généralité. Ma femme, par exemple, a plutôt vécu l’inverse. Je n’ai moi-même pas été à l’aise avec l’idée, alors je n’ai pas senti de frustration particulière et elle non plus. On ne peut pas s’enlever de la tête qu’il y a un petit être dans ce ventre, même si on sait que faire l’amour n’a pas d’incidence sur la grossesse, la gêne est plutôt psychologique, ce fut mon cas.
L’accouchement vint. Un peu plus tôt que prévu, mais presque à terme. Pas d’incidents graves, pas d’épisiotomie… pour un premier, c’est une chance ! Ma femme a été très courageuse, je n’en menais pas large de la voir souffrir autant sans pouvoir l’aider, sinon en la soutenant par des paroles d’encouragement. Elle ne m’a pas frappé ni insulté, encore un cliché. En fait, j’ai plutôt été surpris par le silence qui régnait. Nous vivions au rythme du bip de l’électrocardiogramme qui annonçait les contractions et le moment pour ma femme de pousser ; entre les deux, rien.
J’ai coupé le cordon ombilical comme on le fait traditionnellement, je n’avais pas d’avis particulier sur le sujet, je l’ai fait sans réfléchir, puis, après quelques jours, nous sommes rentrés chez nous.
Les semaines défilent et les nuits n’existent plus.
Ma femme allaite, alors l’enfant se nourrit plus souvent, dort peu, nous aussi donc. Pour compenser, je change les couches, on se trouve un équilibre tout le temps pour qu’aucun de nous deux ne se sente lésé.
Si je vous raconte tout ça, c’est pour que vous compreniez mieux ce qui va suivre. Les semaines, mois s’écoulèrent et nous n’avions plus du tout de vie sexuelle. Mais alors, rien de rien. Au début, je ne me suis pas posé la question par respect pour ma femme et j’imaginais aisément le traumatisme que peut engendrer un accouchement. Donc, je suis resté à l’écoute, nous en discutions, je lui disais de prendre son temps, que rien ne pressait, que ça se ferait quand ça se ferait.
Puis, plus que l’acte sexuel en lui-même, c’est notre relation qui avait évoluée. Les attentions, l’affection, la sensualité. Il n’y avait plus rien. On a essayé une fois, mais j’ai bien senti qu’elle n’était pas excitée, autant physiquement que mentalement, et moi non plus par conséquent. Mais je continuais de croire qu’il nous fallait du temps, il faut dire, nous étions exsangues.
Une nuit, alors qu’on s’endormait, elle me dit :
« J’ai peur que tu me quittes pour ça.
– Pour ça quoi ?
– Parce que je n’ai plus envie de sexe…
– Parce que tu n’as plus envie ?
– Non… mais c’est pas toi hein, juste je n’ai plus envie, je pense tout le temps au bébé. Je n’ai rien d’autre dans la tête et mon corps n’a plus aucune envie, aucun désir…
– Ok, mais ça reviendra peut-être… ?
– Peut-être…
– Je ne veux pas que tu te forces pour me faire plaisir. L’amour, c’est le corps et l’esprit.
– Je sais, mais ces dernières années, mon intimité a trop été manipulée par des docteurs et tout, je n’ai plus envie qu’on me touche
– Je comprends, ne t’inquiète pas pour ça. »
Nous nous sommes regardés et nous nous sommes embrassés comme des adultes.
J’avoue avoir vrillé un instant. Nous étions un couple très actif sexuellement pendant plusieurs années et je me demandais si on retrouverait cet appétit, ou alors, au fond de moi, je sentais que ça ne serait plus pareil.
On peut se demander alors si on se sent de passer toute une vie avec une personne que l’on aime mais avec laquelle on n’a plus de relations sexuelles. Je n’ai pas réfléchi plus longtemps, je l’aime et je resterai avec elle jusqu’à ce qu’elle ait de nouveau envie ou pas, nous nous aimons pour tant d’autres raisons. Nous étions tiraillés car notre couple était plus que jamais soudé depuis cette naissance et en même temps, nous n’avons jamais été aussi éloignés.
Puis, petit à petit, nous nous sommes ré-apprivoisés, lentement, tendrement, sans se forcer, jusqu’au jour où nos corps se sont sentis à nouveau prêts à se retrouver.
C.

Dessin au feutre noir sur feuille blanche : un coeur sous sa forme d’organe, recouvert d’écailles et de grosses épines. En haut à droite dans le coeur, une serrure rouge.
Illustration par N.O.