Hier, je me suis rendue compte que je ne vous ai pas raconté par quoi commence l’horreur. J’ai beaucoup parlé des pires choses qu’il m’a faites, des forçages en tous genres, mais assez peu de : mais comment cette situation s’est-elle installée ? Comment quelqu’un laisse-t-il faire ce genre de choses sans partir ? Je vais donc tenter de répondre à cette question aujourd’hui par le biais de ma propre expérience.
Il est bien évident que mon ex n’a pas essayé de me forcer ou de me soumettre immédiatement. Tout commence très doucement, insidieusement.
Je me souviens de notre premier bout d’été ensemble. J’allais le voir chez lui – rarement l’inverse – et nous voyions des potes communs – mais surtout les siens. Pendant ces « réunions », nous jouions, et mon ex avait pour habitude d’être cassant avec tout le monde. Il me traitait donc d’andouille devant tout le monde, me faisait me sentir comme si j’étais une idiote inculte en soulignant les choses que je lui avais avoué ne pas connaître par exemple. Mais, comme il ne faut pas seulement du bâton mais aussi de la carotte – qui ne crie pas -, parfois c’est lui qui me défendait de nos potes qui me prenaient pour une inculte (on se demande à cause de qui). Au début, j’en riais avec les autres, puis petit à petit, j’ai commencé à être vraiment touchée dans mon amour propre et à avoir mal. J’en ai parlé à mon ex qui a levé le pied sur les insultes publiques. Mais trop tard, je me sentais comme une idiote, c’était ancré. Ce mec, qui était beau, intelligent, ténébreux, comment se faisait-il qu’il s’intéresse à moi, si insignifiante et dont tout le monde pouvait se moquer ? J’avais déjà une très petite confiance en moi, et il n’a pas fallu grand chose pour me casser.
Mes seconds souvenirs plus anciens datent du lycée, à mon entrée en 1e. Cela faisait quelques mois que nous étions ensemble. Cette année-là a joué sur le plan sexuel, le plan de ma soumission et de l’acceptation des horreurs futures.
Premièrement, j’étais en rébellion vis à vis de mes parents qui n’acceptaient pas que je grandisse et que je prenne en autonomie. Ils venaient de comprendre que leur fifille chérie, à qui ils n’avaient pas donné leur autorisation pour se mettre dans un plumard, le faisait quand même. C’était dramatique. À cette époque, il me fallait jouer contre eux pour pouvoir avoir un bout d’intimité, et je n’ai pas eu le choix que de faire confiance à mon ex lorsqu’il me disait de ne plus répondre après 30 SMS incendiaires de la part de mes parents. J’étais en faiblesse et mon ex m’a donné ce conseil, qui a fonctionné. Ceci lui a donné une légitimité grandissante par la suite. Il ne s’est pas privé, plus tard, pour justifier les conseils qu’il me donnait, de rappeler que celui-ci avait fonctionné et que donc il avait de bonnes idées. La tête dans le guidon, cette logique se tenait, et donc j’étais ferrée.
Deuxièmement, la sape du moral. Lorsque je rentrais du lycée, j’étais parfois toute excitée de la journée que je venais de passer. J’avais bien rigolé avec mes copines, bien travaillé, j’avais besoin de me défouler. Arrivée chez mon ex, il me disait « Calme-toi, t’es en stress, là ». Il fallait que je me calme absolument. Je lui disais que non, je n’étais pas stressée, juste excitée, à fond dedans, et il me prouvait mon stress en insistant sur le fait que j’étais stressée et que c’était désagréable pour tout le monde, et ce jusqu’à ce que je pleure. Et là, c’était « Tu vois, t’étais stressée, et maintenant ça va mieux ». Il avait donc raison puisque après avoir pleuré, j’étais plus calme, et en effet c’était sans doute plus agréable comme ça. Il avait raison. C’est de la manipulation que, la tête dans le guidon encore une fois, on ne voit pas. Et hop, j’étais ferrée.
Et enfin, le plan sexuel. Un jour, dans un bus scolaire, il m’a demandé si j’avais déjà expérimenté la sodomie. J’ai répondu que non. Je lui ai demandé si lui l’avait déjà fait, et il m’a répondu d’un air gêné que non. J’ai de suite su qu’il mentait. Quelques temps plus tard, je lui ai demandé si c’était un mensonge et il m’a avoué que oui, c’en était un, mais qu’il avait menti pour que je ne me sente pas forcée de le faire. J’étais adolescente, j’apprenais que mon mec avait déjà fait une sodomie avec quelqu’un d’autre donc jalousie qui monte, puis il était prévenant malgré son mensonge puisqu’il ne voulait pas que je me sente forcée – mais malgré tout il en reparlait régulièrement -, j’ai fini par accepter de mon propre gré. Et depuis ce jour, j’ai mal au c… Euh, j’étais ferrée.
Allez, j’vais vous détailler un peu le cran au-dessus :
Sexuel : maintenant que la sodomie est posée, et qu’en plus elle est venue de moi par diverses pressions, il va s’amuser à mimer des sodomies régulièrement. Dans la douche : « Penche-toi en avant » « Non mais je veux pas » « Penche-toi en avant » je me penche en avant parce que je ne peux pas résister à la pression, et, en parlant de pression, j’en sens une dans la raie de mes fesses qui essaye de forcer le passage. Sans bouger, je cris « NON » et je commence à pleurer. Il s’arrête et me dit que c’était une blague. Le cran encore au-dessus c’est que c’est plus des blagues et que ça rentre vraiment, peu importe la douleur et mes pleurs.
Moral : il fallait que je fasse des choses qui soient bonnes pour les autres, pas pour moi. Et je ne suis bonne ni pour moi, ni pour les autres. Je fais la gueule, je râle, je me plains, je suis jamais contente, je suis jamais ci ou mi, je suis trop ci ou ça. Des reproches en permanence sur tous mes faits et gestes et que j’accepte, gentiment, parce que oui, il est digne de confiance, il doit avoir raison. Moi, je suis nulle, je ne sers à rien, et j’ai juste trop de chance que quelqu’un comme lui s’intéresse à moi1. Et ces attaques morales vont aussi vers le physique, où je suis trop grosse avec mon 38 (mais tu comprends c’est la morphologie qui compte et sur toi 382 c’est beaucoup), et où j’en suis arrivée à devoir contrôler mes expressions faciales et la hauteur de mes sourcils qui, selon lui, indiquait que j’étais « en fight » lorsqu’ils étaient en position haute.
Voilà comment on en arrive à tout ça. J’espère que ça éclairera certaines personnes sur les « Mais comment tu as fais pour tenir si longtemps ?! » « Mais comment tu as accepté ça ? ». J’ai accepté parce qu’il ne sortait qu’un minuscule bout de l’iceberg, et que petit à petit mon ex découvrait l’iceberg en entier, doucement, très doucement, petit à petit. Et j’ai accepté parce que je l’aimais, j’étais amoureuse, et qu’il s’était déjà produit tel évènement ou tel autre dans notre vie donc j’allais quand même pas l’envoyer paître, perdre tout ce qu’on a construit, blablabla. De fil en aiguille on en vient à ne plus avoir de vie propre, à n’être plus que l’ombre de soi, au point d’avoir envie de mourir dans l’instant tellement on est mal. Jusqu’à la libération, où on se rend compte de tout et où on se dit soi-même que « Waouh, c’est dingue la façon dont c’est arrivé ».
1. Sans déconner quand j’écris ça, j’ai envie d’attraper mon moi de l’époque, me secouer, et me dire MAIS BOUGE TOI. Mais ça n’arrivera plus désormais, tout est trop tard. 2. Maintenant, je fais un 48 à cause de ses régimes à la con. J’imagine même pas ce qu’il dirait.
Ameneechan
http://lesgensnecomprendraientpas.leetchee.fr/les-debuts-dune-relation-abusive/
Illustration par Flore Balthazar
L’important c’est d’être enfin libérée de lui, maintenant…
[…] LES DÉBUTS D’UNE RELATION ABUSIVE. Hier, je me suis rendue compte que je ne vous ai pas raconté par quoi commence l’horreur. […]