Je suis née au fond d’un verre ….. Je n’étais pas la bienvenue dans la cour des grands. Les premières années de ma vie ont été des cauchemars qui ont balayé les rêves qu’une petite fille est censée avoir.
Mes géniteurs (je ne peux pas les appeler pa…. et ma…..) ont été des bourreaux accrochés à leur seul amour : la bouteille. Même dans leurs moments de lucidité ils ne m’ont jamais témoigné leur amour. Leurs gestes, leurs regards, leurs paroles n’étaient que violence.
Les coups au corps, les violences psychologiques ont été mon lot quotidien jusqu’à mes 8 ans. La petite fille était en plein cauchemar. Dans cette cave sombre, dans laquelle on l’enfermait il lui était impossible de rêver. Il ne fallait surtout pas déranger les grands qui s’amusaient à leur beuverie, où la violence conjugale était omniprésente. Dans cet enfer il fallait que je survive. La rue était devenue mon refuge. La petite fille s’échappait dans un monde imaginaire. Les flics étaient souvent à la maison mais ils n’ont pas dû ouvrir grand les yeux. Ils n’ont pas vu l’enfant apeurée qui allait être abusée sexuellement. L’enfant que j’étais avait faim et devait parfois chercher sa propre nourriture …..
Un « gentil monsieur » me donnait plein de bonnes choses à manger… il me caressait les cheveux… me disait que mes géniteurs étaient méchants et que lui allait prendre soin de moi. Je ne pouvais que le croire dans la violence qui était la mienne. La nourriture est vite devenue payante avec mon propre corps, mon intimité qu’il a volée. C’était un secret, il ne fallait surtout rien dire pour continuer à manger. Cette cour des grands était la cour bestiale de certain-e-s individus-e-s exploitant dans une violence abjecte le corps de leurs propres enfants… Mes géniteurs savaient qui était mon voisin et ce qu’il me faisait. Je plaide non coupable pour toute cette violence que je n’ai pas voulue mais qui m’a été imposée. L’enfant n’existait plus, il était un objet encombrant.
Les services sociaux, sous la pression de l’Éducation Nationale et d’un homme religieux, se sont penchés bien tard sur cette enfant meurtrie et brisée en mille morceaux. Mes géniteurs ont été privés de leurs droits parentaux et je suis devenue un numéro de dossier de la DDASS, une douloureuse histoire archivée qu’il fallait taire. J’ai été placée dans une maison d’enfants où la religion a pris le relais, m’empêchant de me construire réellement. Je devais oublier ma petite enfance violente et pardonner. Aux chiottes un dossier judiciaire particulièrement chargé. Dieu allait m’aider… Dans ce nouveau foyer, plus de violences physiques et sexuelles mais une domination psychologique voulant me fermer les portes de l’émancipation. Des années de centre héliomarin pour réparer un corps disloqué mais rien pour les blessures intérieures si ce n’est des psychotropes qui faisaient de moi une “zombie”, mais qui ne soignaient pas mes bleus à l’âme. Je n’avais pas confiance en moi, incapable d’aimer et de me sentir aimée. Je ne voulais pas de la pitié de Dieu , ni de mon nouveau foyer qui m’accusait de me détruire consciemment.
Je n’avais plus de contact avec le reste de ma famille, le tribunal pour enfants avait légiféré ainsi. Je hais ce système judiciaire qui m’a coupée de toute ma famille. Oui, il fallait protéger une enfant, mais pas détruire une famille entière.
Mes relations amoureuses ont été inexistantes dans mon adolescence, dans ma vie de jeune adulte. Impossible de laisser une main, un regard se poser sur moi. Je ne me sentais pas “digne” d’être désirée. Je refusais que l’on puisse m’aimer et je m’interdisais d’aimer. J’avais tout simplement peur d’être trahie. Dès mon berceau mes émotions et sentiments avaient été bafoués.
À 18 ans, à bout de forces, je n’arrivais plus à survivre à cette petite enfance et à cette nouvelle vie qui m’étouffait dans mes douleurs, j’ai par deux fois tenté de mettre fin à mes jours. À la deuxième TS, dans le cabinet d’un psy, j’ai rencontré une personne que la vie avait meurtrie aussi mais qui s’était relevée, une militante acharnée contre toutes formes de violences. Elle est devenue ma meilleure amie, ma frangine. Elle a pris ma main tremblante en me donnant la force nécessaire pour me construire. Elle m’a aidée à pacifier la relation de cette jeune femme que je devenais avec cette petite fille en elle qui souffrait et qui s’en voulait de n’avoir pas su dire non. Mais comment pouvait-elle dire non ?
Enfant maltraitée par ceux qui lui ont donné la vie. Enfant abusée par un monstre assoiffé d’égoïsme, je me suis relevée en étant aimée telle que j’étais avec mes plaies et mes incertitudes. Une femme encore fragile avec des traces de douleurs mais qui avance de jour en jour. Un jour, j’arriverai à descendre à nouveau les marches d’un escalier menant à une cave. Un jour, j’arriverai à ne plus avoir peur du noir lorsque je suis seule. Un jour, les fantômes de mon enfance ne viendront plus me hanter.
Je n’ai ni oubli, ni pardon pour mes géniteurs et ce salaud de voisin qui ont piétiné ma vie. Ma plus belle victoire sur eux, c’est que je suis debout, vivante, je leur ai repris ma vie. Plus personne ne me fera mettre un genou à terre.
La petite fille en moi a fini de souffrir.
Marie
Illustration par Shyvs
Chère Marie,
C’est un témoignage terrible. Il me donne envie d’enlacer cette enfant pour la mettre à l’abri, loin de la misère. Car c’est elle qui est à la l’origine de toute cette horreur, n’est-ce pas? Je pense aussi que le seul moyen de relever bien haut la tête, c’est d’aider les autres. Et de nous aider, les unes, les autres, à être fières d’avoir survécu et vaincu de telles épreuves.
Je t’envois tout mon amour, Marie
Sophie