Un jeune mec de 30 ans, un peu gêné.
C’est la première fois qu’il fait appel à une escort m’explique-t-il. Il ne sait pas trop s’il doit me vouvoyer ou me tutoyer ni quand il peut se permettre de me toucher. Je l’embrasse pour détendre l’atmosphère. Il embrasse bien. Dix minutes de baise et vingt minutes de discussion plus loin, il me dit dans un grand sourire que c’était vraiment très bien et qu’il va me laisser tranquille, qu’il ne finira pas l’heure. 200 euros les trente minutes, donc. Pas mal. Il s’en va. Je prends ma douche tranquillement et récupère au passage le gel douche à la grenade qu’il a oublié. Un parfum subtil et frais. Je sors de l’hôtel.
Le temps est magnifique, le soleil brille et le vent est doux. Je plane. Je me sens forte et fière. Le client m’envoie un sms pour me souhaiter un bon retour chez moi et me remercie à nouveau. Je me dis que ma seule erreur est sans doute de ne pas avoir commencé plus tôt. Tant d’années à accepter des rapports sans envie, juste pour ne pas frustrer des amants plus ou moins de passage, pour ne pas passer trois plombes à devoir me justifier, pour ne pas sembler trop chiante ou pour avoir l’opportunité d’exister un peu dans leurs vies. Tant de rapports où leurs orgasmes se sont mêlés à mon ennui, ma tristesse, mon angoisse, ma frustration ou ma perplexité. Tant d’années aussi à occuper des jobs précaires fatigants et sous-payés. “C’est enfin le début de la fin de la grande arnaque ma cocotte !”, je me dis. Je tire enfin bénéfice de la mise à disposition de mon corps et on me paie enfin décemment pour mes compétences.
Quelques jours après, le mec m’attend devant chez lui. Immonde. Sale gueule et négligé. J’entre dans sa maison sombre qui empeste. Des têtes d’animaux morts sont accrochées aux murs, des photos de chasse partout, des cadavres et des sourires satisfaits d’assassins. Je suis végan. Bonne ambiance. Il me parle de l’escort qu’il voyait avant moi. Elle a arrêté. Elle n’est plus en galère financière. “C’est dommage” estime-t-il. Le mec me fait m’installer sur un canapé défoncé et dégueulasse. C’est là qu’il veut baiser. C’est une infection. Mon estomac se serre. Je lui propose un massage avec du gel qui sent la fleur en espérant que ça aide à noyer l’odeur. Ça ne marche pas. Assise sur lui, je pète mon bas tout neuf dans un ressort de son canapé de merde. Il commence à me pénétrer sans capote. Je lui demande d’arrêter et lui rappelle mes conditions. Il me tient. Il me dit en se marrant : “non non on fait sans”. Je dis ” NON NON on fait pas sans!” Il dit : “mais si allez c’est nickel comme ça ! Pas besoin de capote.” Je répète que c’est hors de question mais il me tient contre lui. Je vois gros comme une maison que ce connard va me violer. Je reste ferme et calme. Il finit par céder et me laisser aller chercher une capote. Après la baise, je file dans sa salle de bain. J’ai envie de pleurer et de dégueuler. Je me rhabille. Je le salue, l’air de rien. J’ai des nausées dans la voiture. Je fonce me doucher chez mon ex qui habite à cinq min. Il me demande : “ça va ? T’es bizarre”. “Oui oui, ça va, j’ai pas eu le temps de me doucher ce matin et j’étais dans le coin. Tu me paies un café ?”. Je reçois un message du chasseur. Il me remercie pour ce “super moment”. Il a beaucoup aimé. J’en ai marre. Je ne sais pas si ça vaut la peine, ces mensonges et ces risques-là. Ce dégout. Pas pour moi, jamais, mais pour eux. Cette haine qui m’envahit, cette envie de les buter. Cette colère qui me blesse mais qui les laisse indemnes.
Je pense alors aux copines du net, mes soeurs putes, comme souvent, comme toujours en fait. À tout ce qu’on partage, elles et moi. Nos fous rires moqueurs de leurs mails grandiloquents, notre mépris de leur assurance à nous plaire et à nous donner du plaisir, notre fierté d’être nous, nos peurs des semaines blanches, nos colères, nos envies de massacre mais aussi nos joies après des rendez-vous cools, à se bourrer la gueule au champagne, à amasser les compliments, à dépasser un smic horaire pour la première fois de nos vies.
Je pense à elles. Je ne suis pas seule. Alors ça ira.

Dessin numérique : sur fond rose foncé, une femme aux longs cheveux bleus et à la peau bicolore blanche et marron regarde une allumette brûler entre ses mains. Elle porte un collier de la même couleur que ses boucles d’oreilles et ses tétons.
B.
Illustration par Alraun