Je suis une fille plutôt coquette. J’aime porter des robes, mettre du maquillage, avoir de jolies chaussures. Quand je m’habille, il y a toujours une fraction de seconde où je me demande quelle va être la réaction des gens. Je ne me demande pas s’ils vont trouver ça « beau » ou « moche » (bon, si, un peu) je me demande surtout si je ne vais pas me prendre des remarques, recevoir des regards un peu trop appuyés qui me mettent mal à l’aise. Quand j’en parle avec des amis hommes, ils ne comprennent pas forcément. Ils pensent que nous, les filles, on exagère. Ce n’est pas possible, dès qu’on sort en robe, en jupe, ou même mal habillées, on se prend des réflexions. Et est-ce que c’est vraiment méchant ? Ils n’en sont pas sûrs, ils nous trouvent un peu paranos.
C’est difficile pour eux de comprendre cette pression constante, cette espèce de peur au ventre lorsqu’un groupe de garçons nous suit d’un peu trop près, ce malaise constant lorsqu’on se fait interpeller par des inconnus. On nous dit « mais il faut le prendre comme un compliment ! ». Mais moi je le prends comme une forme d’intimidation, comme une menace, comme un rappel que je suis moins forte qu’eux physiquement et que je suis à leur merci s’ils le décident.

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Au collège, en quatrième, les hormones des garçons se déchaînent. Lorsqu’on se rend en cours de sport, on se prend des « mains aux fesses ». Cela fait rigoler ma copine, moi beaucoup moins, mais je n’ose pas dire grand-chose. En classe, les garçons du dernier rang font des paris sur les parties de notre corps qu’ils arriveront à toucher. Ces mêmes garçons qui nous tordent les poignets dans la cour de récré pour « nous embêter ».

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J’ai quinze ans et j’ai un copain : je suis plutôt fière. Je ne sais pas si je l’aime vraiment et, en plus, il n’est pas très gentil avec moi. Lorsqu’il est énervé, il m’insulte, si je ne veux pas coucher avec lui, il refuse de venir me voir. Il m’a déjà collé une baffe (une petite, mais une baffe quand même) parce que je l’énervais. Un jour il me coupe le doigt avec un cutter « pour rigoler ». Lorsque je le quitte pour un autre garçon, il le prend très mal. Il me menace de me violer. « De toutes façons, je connais ton adresse, et puis je n’ai jamais violé personne, il y a une première fois à tout ».  Ce n’était que des mots et je ne pense pas qu’il serait passé à l’acte, mais je n’étais pas très rassurée.

 

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A quinze ans, je me rends à la Fête de la musique avec des amis pour la première fois. C’est ma première vraie sortie seule, sans mes parents. Il y a énormément de monde et, à un moment de la soirée, je me retrouve séparée de mes amis. Impossible de les joindre car le réseau téléphonique est saturé. Je ne connais pas très bien la ville, je ne sais pas où aller. Soudain, un groupe d’adolescents plus âgés que moi surgit de nulle part. Deux d’entre eux m’attrapent par les bras et tentent de m’entraîner avec eux. Ils rigolent, moi pas. Je leur crie de me laisser, mais visiblement ils sont éméchés et ont pris mon tee shirt « Tonight I’m single, What are you waiting for ?» au premier degré. J’arrive à m’extirper de leurs grosses pattes et pars en courant. En larmes, je finis par retrouver une amie. Je décide de prendre l’anecdote à la rigolade.

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Toujours à quinze ans, je rentre du parc. Un homme beaucoup plus âgé que moi m’aborde. Il me suit. Il me pose des questions. Il me demande mon nom. Il me demande si j’ai déjà eu des relations sexuelles. Je lui demande de me laisser tranquille, mais il continue de me suivre. Devant mon mutisme il finira par passer son chemin. Moi, dans ma tête, je me suis imaginée tous les pires scénarios possibles.

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Dans le métro, plusieurs fois. On me dit que je suis jolie. Moi je suis polie et je n’ai pas trop de répartie, alors je réponds merci en rougissant. Je rougis parce que je suis mal à l’aise. Mon interlocuteur prend ça comme une invitation et se permet de me demander mon numéro de téléphone, mon nom, mon adresse, etc. Le trajet de métro paraît très long dans ces conditions.

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Dans le train, je rencontre un jeune homme. On parle, pour une fois j’accepte de garder contact car le jeune homme cherche quelque chose d’amical et s’offusque que toutes les demoiselles pensent qu’il leur fait du rentre-dedans. Cependant, lorsqu’on se revoit, il essaie de me tenir la main, puis de m’embrasser. Évidemment je refuse. Évidemment, on est seuls, à minuit, dans une gare. Là, je flippe un peu parce qu’il n’a pas l’air de comprendre que je ne suis vraiment pas d’accord. Il insiste « Allez, juste un petit bisou, sois sympa ! ».  Je finis par arriver à m’en dépêtrer mais il me harcèlera encore quelques temps par sms « tu viens regarder un dvd chez moi ce soir ? » « tu fais quoi ? ».

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À la sortie de mon école, un cinquantenaire me repère et vient me dire qu’il me trouve jolie. Jusque là, c’est un « gentil compliment ». Puis il me demande mon nom, il voudrait qu’on se revoie. Il travaille près de mon école, donc c’est pratique d’après lui (super !). Je lui dis que j’ai un copain, mais même ça n’a pas l’air de le décourager. Franchement, je me demande parfois ce qui passe par la tête de ces gens.

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Quasiment à chaque fois que je rentre de mon cours de danse, tard le soir, je me fais héler par des groupes de jeunes qui traînent dans la rue.  Alors je fais semblant de ne pas entendre et j’accélère le pas.

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Je rêve souvent de choses horribles. Bien sûr je rêve de zombies et d’apocalypse, mais je rêve aussi qu’on veut me faire du mal, qu’on me poursuit, qu’on me viole. Pourtant, il ne m’est jamais rien arrivé de « grave », j’ai juste cette angoisse sourde entretenue par le comportement de certaines personnes qui se permettent de nous traiter comme des choses, comme des êtres inférieurs, comme des proies.

Peut-être qu’un jour, filles, comme garçons, on pourra se balader tranquillement sans craindre que des êtres primitifs cherchent à nous intimider pour prouver leur supériorité, mais ce n’est pas pour tout de suite.

 

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