Quand j’étais petite, mes parents nous envoyaient mon grand frère et moi passer les vacances de février chez mon grand-père. En Bretagne. Nous devions avoir cinq et huit ans, je ne me rappelle pas bien, mais je me repère grâce à nos nombreux déménagements.

Le fils des voisins. Celui qu’au début je trouvais sympa. Celui qui ensuite me faisait trembler et rester dans ma chambre, à lire conpulsivement tous les livres qui me tombaient sous la main, pour ne pas avoir à le croiser. Il s’appelle Gaël et maintenant je déteste ce prénom.

Un jour que mon Papi n’était pas à la maison et que mon frère taillait un arc dans le jardin, Gaël est monté dans ma chambre. Il devait avoir douze ans. Il s’est assis au bord du lit et m’a demandé que je lui embrasse la queue. Et je l’ai fait.

Voilà, il n’y a rien eu d’autre. Je refusais d’aller chez lui et faisais tout pour ne pas me retrouver seule en sa présence. Lui échapper. Je me rappelle que je pleurais la nuit, dégoûtée, c’était mal, je le savais. Mais je me croyais autant en tort que lui. Pourquoi j’avais accepté ? Et si je le racontais, on me dirait sans doute que c’était de ma faute, que je l’avais cherché. C’était sale, c’était dégueulasse, la honte, la honte.

Le plus dur pour moi ont été les années avant que je ne le raconte à mes parents. Mon frère sentait confusément qu’il s’était passé quelque chose entre le fils des voisins, son grand pote et moi. Ne savait pas quoi mais pouvait sentir ma honte et essayait d’en tirer parti. « À chaque fois que tu m’embêtes, je mets une croix sur ce cahier. Au bout de 10 croix, je dis aux parents ce que tu as fait ». Crise de larmes et colère sourde en moi, désespoir, mes genoux contre la moquette trop rêche de l’appartement.

Un jour, les parents nous ont parlé de sexualité, du fait que personne n’a le droit de nous toucher ni de demander à ce qu’on le touche. Et qu’à la moindre alerte, il fallait leur en parler, et ne pas avoir honte. C’est dans une rue de Caen que j’ai pris la décision et, dans le petit hôtel où nous passions la nuit, j’ai dit la honte qui m’écrasait.

Je ne suis plus retournée chez mon grand-père aux vacances de février. Pendant des années il m’a demandé pourquoi je ne venais plus, l’air de rien. Maintenant que je connais la Bretagne et ses beautés, je lui en veux de nous avoir gardés cantonnés dans la maison. Pourquoi il ne nous a pas montré les plages incroyables de Quiberon, quand il me voyait terrée dans ma chambre ?

Un jour, j’ai reçu une lettre, une écriture maladroite à l’encre bleue, lettre sans doute écrite sur la toile cirée de la cuisine comme en témoigne une tache. Gaël me demande pardon. Je ne lui ai pas répondu, je ne l’ai jamais revu et je ne sais pas si je lui pardonne.

Des années plus tard j’ai parlé à mon frère. Et lui, je sais que je lui pardonne.

 

G.D.

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Illustration par G.D.