« Il faudrait que tu maigrisses » « Apprête toi un peu, c’est pas comme ça que tu vas plaire aux garçons » Disait ma grand-mère quand j’avais dix ans.

« C’est bien, on voit que tu as mûri : une jeune fille agréable à regarder, ça fait plaisir » M’a t-elle dit à quatorze ans.

« Si tu as des relations sexuelles avant tes dix-huit ans, tu n’es plus de ma famille.» A dit mon grand-père, quelques minutes plus tard.

Il était assis là, ses bras posés sur son fauteuil, content de lui et de ses principes. Ma grand-mère s’est empressée d’acquiescer, comme la bonne petite femme qu’elle est. Mon père a approuvé plus discrètement. Ma mère m’a regardée. J’ai souri.

Papi, mamie et papa ne savaient pas que maman et moi attendions les résultats du mon test du SIDA, suite à un rapport non protégé.

Parce que j’étais dépressive et naïve. Parce que, pour me faire sortir de mon mutisme, mes parents m’ont traînée à une soirée. Parce que, pour ne pas importuner les invités, papa voulait que je me fasse belle. Parce que maman m’a dit de porter une robe.. Parce que j’étais une gentille fille et que je faisais ce qu’on disait. Parce que j’étouffais et qu’il m’a proposé d’aller prendre l’air.

Ce n’était pas l’amour, ça, c’est sûr. Il ne m’attirait même pas et puis, je ne le connaissais pas non plus. Il en avait envie et j’aurais probablement pu dire dire « non »… Mais bon, pourquoi refuser ? Ça l’aurait sûrement déçu et on m’a appris à ne pas être égoïste.

Je n’ai pas eu de plaisir mais, par politesse, j’ai fait comme si. J’ai eu mal mais, par politesse, je n’ai rien dit. Et quand il m’a demandé si « c’était bien », bien sûr, j’ai dit : « oui ».

Du rôle de « gentille fille » je suis passée, tout naturellement, à celui de « fille facile ». Mon éducation me désignait ainsi, d’office. Mais, dans ma tête, c’était pire. Une longue tradition de culpabilisation de la sexualité féminine a avalé le peu d’amour propre qui me restait, pour alimenter un profond dégoût de moi-même. Dans ma tête, j’étais quelque chose de vaguement monstrueux dont on devait sûrement sentir la puanteur à des kilomètres… Dire que je ne suis même pas catholique…

J’ai pris quinze kilos, histoire de me détester encore un peu plus. J’ai pensé que je n’avais pas le droit à l’amour parfait des princesses Disney et des héros de romans ou de séries TV de mon enfance. La honte est le sentiment terrible qui a bouffé mon adolescence.

Je n’ai jamais rien dit à ma famille, mis à part à ma mère, parce que les plannings familiaux ne sont pas légion en campagne et qu’il fallait bien me faire dépister. Je n’ai pas eu de maladie ni d’enfant. J’ai mis la honte de côté pour grandir un peu. Mais, parfois, lorsqu’une personne me plaît et se rapproche, la honte me surprend et vient pourrir le bonheur que je m’interdis.

Lorsque je pense à la phrase de mon grand-père, je souris à nouveau au ridicule de ces principes d’un autre siècle et je me demande pourquoi je me laisse encore dominer par eux… Il faut grandir encore un peu, gommer la « gentille fille » et la « fille facile » et devenir une femme, tout simplement.

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Illu L'HERITAGE - HD

Illustration par Flore Balthazar

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