J’ai choisi de pas choisir la vie. J’ai choisi autre chose.

J’ai renoncé à moi. À cette personne qui aurait pu exister, si elle avait accepté de plier. Mais j’ai jamais été comme ça. Même pendant les viols, je résistais. T’as eu ma chatte, ma tête est encore là. Je crèverai les gens comme toi. J’y passerai toute ma foutue vie. J’aurais pu avoir une existence de coton, plongée dans le déni. Ignorer tout des mécanismes qui m’ont amenée à rêver d’yeux crevés, de carcasse carbonisée. Tous ces réveils nauséeux et la souffrance n’auraient pas existé. Ne pas faire partie de cette mer sombre et dense de meufs traumatisées qui finiront par se buter, se dévisser le crâne et s’abrutir d’alcool.

J’ai été marquée jusque dans l’os, et j’ai beau essayer de ne pas y penser, absolument tout m’y renvoie. T’as été violée. Et t’arrives pas à passer à autre chose. C’est en train de te ronger. Je me détruis petit à petit, pas trop fort, pour avoir le temps de faire des trucs utiles, pour avoir le temps de dénoncer et d’épuiser ce qui m’est arrivé. Mais ces soirs… ces soirs où je disparais. Ces soirs où je bois jusqu’à gerber. Ces soirs-là. Le sang et le sperme s’exorcisent, plus personne n’a accès à moi. Plus rien n’a d’importance. Plus de recherche frénétique d’une personne capable de comprendre que j’ai besoin d’aide. Personne ne veut aider les violées. Il faut les enterrer, les enfermer, ne surtout pas les voir. Brisons ces traînées. Elles sont la preuve suprême de la domination masculine. Si elles survivent, il faut que ça soit dans le silence, la discrétion, le pardon.

Je refuse d’être discrète, je refuse de me taire. Aussi longtemps que personne n’aura la brillante idée d’endormir ma rage par des moyens médicamenteux, je résisterai à cette dictature de la putain violée et compréhensive. L’apathie ne me vrillera pas le cœur. Vous ne me soumettrez pas. Je ne comprends pas pourquoi ça m’est arrivé. Je ne comprends pas pourquoi je devrais pardonner. Je veux leur balancer à la gueule absolument tout, les détails les plus sordides. L’écume sanglante et visqueuse dans la bouche, sa queue entre mes cuisses, la haine dans le bide, distordue jusqu’à implosion. Le silence. Le silence de l’après. Je veux qu’ils me voient, au bord de la folie, sur le point de lâcher, ivre et désemparée, ensanglantée par les coupures, qu’ils captent à quel point j’ai été déchirée. J’ai été violée. Mais mon corps n’est pas encore mort. Il résiste et fulmine.

Ma tête est encore là. Mon temps est compté. Puisqu’il faut vivre avec ce fardeau enraciné dans la poitrine, puisque l’inconscience m’est refusée, alors je n’abdiquerai pas. Je continuerai à hurler mes viols, je continuerai à être en colère.

 

Sedition

Illustration par Emilie Pinsan.

Illustration par Emilie Pinsan.