Mon père est fils unique. Le fils de cette femme, ma grand-mère, dont je vais vous parler.
Nous nous sommes deux, mon frère et moi.
Ma grand-mère est née en 1923. Mais ça n’excuse rien.
Quand on était petits, nous allions très souvent tous les quatre (avec mes parents) chez mes grands parents. Et arrivé au dessert il se passait toujours bizarrement la même chose. Il restait toujours des parts en plus. Deux pour être exacte. Ben oui on achète un gâteau de 8 personnes quand on est 6, pour avoir des parts plus grandes, mais on le coupe en 8 quand même … va comprendre.
Bref, il restait toujours deux parts. Mon père héritait le plus souvent d’une des parts restantes. Jusque là pas de questions dans ma tête de petite fille. Papa c’est le beau, le plus fort, normal qu’il ait la part ! Après restait encore une part. Et là systématiquement ma grand-mère, grande ordonnatrice du repas, demandait à mon petit frère (petit, 3 ans de moins, plus petit estomac que moi, donc) s’il voulait de la part restante.
Toujours mon petit frère, jamais moi !!!
Moi plus grande, donc plus grand estomac et de surcroît beaucoup plus gourmande que mon frère. Mon frère plus petit, plus petit estomac, n’en voulait généralement pas de cette part. Et moi, même si je n’avais plus faim, j’en voulais de cette part. Je me forçais à la finir. Parce que j’y avais autant droit que mon frère. Parce que je ne comprenais pas pourquoi mon frère y avait droit et pas moi. Boris Cyrulnik parle de nourritures affectives. On est en plein dedans pour le coup !! Chaque part de gâteau c’était de l’amour qu’elle donnait à mon frère et pas à moi.
Ça peut paraître rien mais c’est beaucoup quand c’est un rituel qui est répété années après années.
Encore maintenant les choses ne changent pas. Lorsque j’ai ma grand-mère au téléphone elle demande des nouvelles de mon frère. S’il mange bien surtout, si je lui fais bien a manger (nous habitons ensemble pour le moment avec mon frère).
Ma grand-mère… finalement je l’aime comme elle est. Et c’est peut-être elle qui est la plus victime de ses représentations, de sa vision du monde patriarcale, hétérocentrée. On peut tous s’affranchir de ses chaines. J’ai peur que ce soit un peut tard pour ma grand-mère. Ça ne m’empêche pas de l’aimer, et d’être libre, peut-être aussi un peu pour elle.
Ambre

© Clémence Thune
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Je te comprends, j’ai un peu la même chose avec ma grand-père. On est seulement des filles dans la famille, mais dès que mon beau-père et son fils sont là, il n’y en a que pour eux.
Très joli témoignage, très éclairé et surtout bienveillant malgré toute la violence (le rejet) qu’il décrit, merci.
Tiens, ça me semble très familier…
Ma grand-mère (née en 1920) a toujours préféré les hommes aussi. Elle l’a d’ailleurs toujours dit à ma mère, qu’elle aurait préféré un fils… elle n’allait jamais à ses spectacles d’école, etc. Elle lisait le journal intime de sa fille derrière son dos, puis lui faisait la gueule concernant le contenu. Elle a fait souffrir ma mère pendant des années comme ça, jusqu’au bout.
Les dernières fois que je l’ai vue, elle n’avait d’attention que pour mon fiancé. Je me souviens qu’elle lui a offert une friandise en partant, tandis que moi je me suis ramassé un commentaire comme quoi je devrais faire attention à ma ligne. Je n’ai rien dit. A quoi bon? Elle avait passé 90 ans. Trop tard pour apprendre la politesse. Tant pis.
Mais c’est triste, surtout pour ma maman, qui a toujours fait de son mieux et qui n’a jamais reçu l’amour qu’elle méritait en retour… Maintenant ma grand-mère est partie (elle est libre, elle qui était très malade sur la fin), ma mère est libre aussi, et moi je lui dis autant que possible à quel point je l’aime et qu’elle est la mère parfaite pour moi. Nous commençons ensemble de nouvelles traditions familiales: l’amour, l’entente et le partage. J’espère un jour les transmettre à une nouvelle génération.
Pareil… J’en ai beaucoup voulu à ma mère pour ses maladresses jusqu’à ce que je me rende compte qu’on avait les mêmes conflits que ceux que des copines avaient avec leur propre mères. ça a laissé des traces assez distinctes entre nos trois générations, si c’était pas sordide, ce serait marrant. En tout cas je trouve les mamans qui poussent autour de moi (lol) super cools. : )