J’allais avoir 27 ans dans la nuit. On a parlé, rigolé, flirté. Il me plaisait, avec sa tête d’ado, tout sourire. C’est moi qui ai proposé qu’on rentre chez moi., finalement, vers 4h.  On a pris mon vélo, lui n’en avait pas, on a marché. Après quelques minutes, seuls, mon instinct m’a crié de partir. Je sentais bien qu’un truc n’allait pas, il était trop expansif, trop possessif, trop exalté pour une première rencontre. J’ai fait comme si de rien était, on a continué. Juste avant qu’il attrape un vélo, je me suis dit que je devrais le planter là, et partir en roulant très vite. Je ne l’ai pas fait.

On arrive dans ma chambre, je ne reconnais ni ses yeux, ni sa voix. Il m’attrape, me pousse fort. Je demande à mettre une capote, il n’en veut pas. Il me pénètre. Mon regard croise le sien, et soudain j’ai peur. J’ai peur, parce qu’il vient de me prendre alors que je voulais mettre un préservatif, j’ai peur parce qu’il vient de me dire « t’aimes ça salope ». Je trouve le courage, et le repousse, d’abord un peu, puis plus fort. Il sort de moi, puis re rentre, comme un jeu. Je m’énerve. Je tremble. Je lui dis qu’on arrête là, que je veux dormir. Il disparaît sous la couette, et commence à me lécher. Je suis paralysée. Je ne sais pas quoi faire. Après quelques minutes, il remonte, et m’assène un « à mon tour ». « moi aussi je dois jouir », « tu me dois bien ça », il me pousse la tête, je refuse, il recommence, je lui tourne le dos, et tente d’aller le plus loin possible de lui dans ce lit qui me semble désormais minuscule. Je m’insulte dans ma tête « mais VIRE LE, va chercher un coloc, réveille quelqu’un, va dormir dans le salon ». J’ai peur de quitter ma chambre, et surtout je ne veux pas, absolument pas, qu’il reste dans ma chambre sans moi. L’angoisse est démesurée, surréelle. Je fais semblant de dormir, je tremble. Je commence à m’endormir. Je le sens qui se rapproche, et qui tente de me pénétrer par derrière. J’ai le cœur qui bat, je me recule, et finis par me lever pour faire semblant d’aller boire. Je tremble, et pourtant j’y retourne. Je ne comprends pas pourquoi, je m’en veux, tellement.

Il réessaye. Je redis non. Il ne veut pas partir. Une heure plus tard, il se lève. Me demande de le sucer une derrière fois : « tu me dois bien ça ». Je n’ose pas me lever et lui foutre un pain. Je bouillis, mais n’arrive qu’à refuser en bloc « je ne te dois rien ». Je suis nue, je me sens vulnérable, encombrée par ce corps, par ces seins, ces jambes, ce sexe qui me semblent trop accessibles. Il part, non sans avoir touché tous les objets dans ma chambre en les commentant.

Lorsque la porte se ferme, je suis tellement soulagée, j’appelle une amie, puis une autre : « tu vas jamais croire ce qui m’est arrivé », je sens un silence culpabilisateur, ben ouais quoi, qu’est ce que t’as encore fait, pourquoi tu l’as pas jarté ce type ? Je rigole, ahah le salaud, ahah. Je raccroche, m’endors. Je me réveille. J’ai 27 ans aujourd’hui. Je pleure, sans m’arrêter. Je jette les draps.

Je le raconte : « mais pourquoi t’as rien dit ? moi à ta place j’aurais fait quelque chose, je l’aurais frappé ».

J’enfouis le souvenir. Je ne sors plus en club. La présence des hommes m’angoisse. J’ai envie de me battre, de taper, de sentir mes phalanges s’exploser contre un visage qui aurait dit un mot de trop. Je ne m’amuse plus. Je n’ai plus envie de boire.

6 semaines plus tard, je vais faire un dépistage. Lorsque la médecin me demande les circonstances de la prise de risque, je pleure, sans m’arrêter. Je ne peux pas stopper les larmes, des larmes que j’ai du mal à comprendre. La médecin s’agace : « mais pourquoi vous pleurez ? C’est un viol ou ça n’est pas un viol ?? Et ben parlez ! »

Je pars, et je ne vais jamais chercher mes résultats. Est ce que j’ai bien dit non ? Pourquoi est ce que je n’ai pas hurlé, pas frappé, pas fui ? Qu’est ce qui a fait que mon corps n’a pas répondu à ce moment là ? J’en parle finalement après des mois. L’ami m’écoute, puis après un long silence, me dit «  ça ressemble quand même vraiment à une agression ». J’ai envie de sauter de gratitude. J’ai envie qu’il me prenne dans ses bras. Des souvenirs qui remontent, des années passées à avoir peur de rentrer chez moi parce que je savais que j’allais devoir baiser avec mon copain de l’époque, qui plaçait le sexe comme obligation absolue au couple. Des années à compter les jours, et à penser, pendant qu’il me baisait : « pense à autre chose, après t’es tranquille pour trois jours » . Ces années là, ont surement à voir avec ce qui s’est passé le jour de mes 27 ans.

 

M.

Illu MAIS POURQUOI VOUS PLEUREZ - BD

Illustration par Angharad