J’ai été témoin de beaucoup de souffrances. J’ai été ce qu’on pourrait appeler une enfant martyre.
La totalité de ces souffrances dont j’ai été victime ou témoin impliquent ma mère.
À l’époque, ma mère était plus jeune, elle avait moins de 25 ans. Moi j’étais une enfant de 3 ou 4 ans, et j’ai tout vu. Elle avait des relations avec beaucoup d’hommes différents que je ne connaissais pas. Elle faisait le ménage, préparait à manger, mettait la table à une heure précise. Un jour, un homme que je connaissais pas est arrivé. Il a regardé la table et demandé d’un air blasé ce que c’était. Ma mère a répondu qu’elle avait préparé du riz, de pâtes et de la viande. Il a examiné la nourriture, a décrété que ce n’était pas bon et a simplement tout bazardé par terre. Tout était cassé. Ma mère et moi étions stupéfaites. J’ai eu tellement peur que j’ai couru me cacher dans le couloir. Et j’ai vu comment il s’est mis à cogner ma mère avec une pantoufle d’infirmière. Il frappait, il frappait… Je voyais leurs visages… ils criaient…
Et l’homme est parti. Je suis sortie de ma cachette et j’ai vu l’horrible visage de ma mère… horrible, un visage de souffrance. Elle avait mal au ventre, mal au dis, elle avait un énorme hématome sur le front. Alors je suis allée appeler la voisine à l’aide « Par pitié, je n’entends rien, aidez-moi ! » Elle est venue voir et choquée, elle a aussitôt emmené ma mère à l’hôpital. Elle a été soignée. C’était déjà mieux. Mais il a été impossible de mettre la main sur l’homme qui l’avait agressée. Il s’était évaporé.
Le temps a passé, il ne restait plus que ma mère et moi.
Mais ma mère était une personne manipulable. Elle s’est mise systématiquement à me critiquer et me battre. Et là j’ai compris qu’il fallait réfléchir au problème, que malgré toutes ses critiques et violences, il fallait que je lui propose de l’aide. Moi je l’aidais, j’étais gentille avec elle et elle, au contraire, elle me critiquait, me frappait. Ma vie est devenue souffrance. Je me faisais fesser, frapper dans le dos, même au lit. Je prenais sur moi. Je ne pouvais pas me défendre, j’étais encore tellement jeune… et manipulable.
C’est alors qu’est arrivé cet autre homme. Il était très colérique et passait son temps à m’insulter. Je passais mon temps à me cacher. Un jour, je l’ai vu avoir des relations sexuelles avec ma mère et là j’ai vu comment il la manipulait. Je pouvais sentir, voir les cris à travers le trou de la serrure. Je voyais toute la violence. Et moi, derrière la porte, je câlinais notre chienne. Elle était enceinte et c’est moi qui m’en occupais… elle me réconfortait. J’étais tellement impuissante, tellement résignée, je ne savais pas quoi faire devant cette porte fermée à clé… Et ça durait, ça durait…
Un an plus tard, pour la première fois, je suis allée en famille d’accueil. J’avais 4 ans et demi, presque 5. J’avais peur de me retrouver dans une famille qui ressemblait aux personnes que j’avais quittées. Mais pas du tout ! Cette famille d’accueil a pris soin de moi, m’a aidée, m’a conseillée. J’ai rencontré leurs enfants qui sont devenus comme mes frères et sœurs. Mais malgré ça c’était le silence. Sans langue des signes j’étais contrainte de me taire, de tout garder pour moi. Je ne pouvais pas répondre. Je ne pouvais pas…
Mais grâce à leur patience, on a trouvé un moyen de communiquer : on s’observait et on mimait. Et ça a continué comme ça jusqu’à mes 7 ans. L’année d’avant, celle de mes 6 ans, j’allais chez ma mère un weekend sur deux. J’y ai rencontré ce deuxième homme que je ne connaissais pas. Il me mettait mal à l’aise, me perturbait. Et un jour, il s’est mis à me toucher. À me toucher de partout… Je souffrais terriblement. Il n’y a jamais eu de rapport sexuel à proprement parler. Mais il me caressait. C’était bien des attouchements sexuels. Je criais, je me débattais, j’essayais de le repousser. Ma mère n’était jamais à la maison. J’ai dû prendre sur moi. Elle n’était jamais là, elle travaillait. C’était comme ça chaque après-midi quand je rentrais de l’école. C’était affreux. Je souffrais terriblement et devais prendre sur moi. Et ça a été comme ça jusqu’à mes 8 ans. Et chez ma famille d’accueil, pendant la semaine, il m’était impossible d’en parler.
Alors j’ai encaissé. Toute cette souffrance… J’ai pris sur moi.
Toutes ces choses affreuses que je voyais, se gravaient en moi. Et Je devais les garder pour moi. Et ça a continué comme ça, à faire des aller-retour, jusqu’à mes 12 ans. Et dans tout ça il n’y avait pas de langue des signes ! Ma mère m’avait mise à l’école en intégration avec des entendants. J’avais abandonné. Ensuite j’ai été à l’institut des jeunes Sourds de Bourg-la-Reine mais j’ai encore abandonné. Pareil pour le SÉRAC puis lors d’une nouvelle intégration avec des entendants. Ah non pardon avant le SERAC j’avais intégré Saint-Jacques, l’Institut national des jeunes Sourds de Paris, que j’avais aussi fini par laisser tomber. Oui donc, j’ai aussi laissé tombé le SERAC et puis la nouvelle intégration avec des entendants. En tout j’ai intégré 8 écoles et formations différentes c’était du grand n’importe quoi. J’étais complètement paumée.
Dans tout ce bazar, j’étais perdue. J’avais perdu mon identité. Au fond de moi je ne savais plus qui j’étais… Sourde, entendante ? Je ne savais plus.
Mais ma mère continuait joyeusement de me déplacer d’école en école au gré de ses déménagements. C’était comme un jeu pour elle. Ma famille d’accueil a fini par s’alarmer et m’a défendue. Un placement chez eux du lundi au dimanche a été décidé. J’ai donc réintégré Saint-Jacques et j’y suis restée jusqu’à mes 16 ans. Pendant cette période j’allais mieux. Mais j’avais beaucoup à rattraper… J’avais comme un retard mental que je ne pouvais pas rattraper.
Oui, de mes 12 ans à mes 16 ans je ne pouvais pas faire autre chose que réfléchir à toutes mes inquiétudes, j’étais perdue. Je me prenais trop la tête. Tout ce que j’avais vécu me travaillait beaucoup. Ça tournait sans arrêt dans ma tête, Et tout ce que j’avais à l’intérieur comment l’exprimer ??
Jusqu’à mes 15 ans…
Avant mes 15 ans, j’étais pleine de colère. J’étais dévorée par le ressentiment. J’avais tant de colère en moi, j’avais l’impression que j’allais exploser et j’avais tellement besoin de m’exprimer. Alors je me suis mise à insulter ma mère. Mais c’est vrai quoi ! Elle ne m’a pas bien élevée, m’a battue, a laissé faire les attouchements… ! Notre relation était mauvaise et la situation familiale très difficile. Elle n’a pas pris en compte ma souffrance ni rien. C’était juste hallucinant ! Il a fallu qu’on rencontre le juge des enfants à la préfecture de Nanterre dans le 92. On lui a tout expliqué et il a compris qu’il valait mieux essayer de nous séparer. J’ai donc eu mon premier vrai appartement à 18 ans. J’ai commencé à faire mon chemin toute seule. Je touchais des allocations, ma famille d’accueil me donnait de l’argent et j’ai continué à apprendre, à suivre des formations. Mon objectif, ma motivation étaient d’évoluer dans un autre monde, un monde que j’imaginais… ma petite île à moi. Mais en France, au niveau social, ce n’était pas évident. En tout cas pas assez pour vivre confortablement. Si on me demandait ce que j’aimais, ce que je voulais faire comme métier, je ne savais pas. Je déteste travailler… J’ai la phobie du travail. Mon hobby… c’est le sport. J’adore ça. C’est ma force. Bon. J’ai continué à aller voir ma mère mais sa situation s’est empirée. Elle boit, fume, devant tout le monde. Ça m’écœure. C’est vrai… je suis incapable d’accepter ça.
Donc je suis née en 1976 et j’ai grandi en voyant :
Premièrement, ma mère avoir des relations sexuelles.
Deuxièmement, je l’ai vu battue, je l’aie vue alcoolique, je l’ai vu fumer… j’ai vu tout ça, j’peux pas le croire !
Il faut que j’apprenne à mettre cette partie de ma vie de côté, à fermer mon esprit. Chaque nuit j’ouvre la porte de ma chambre. Dans l’obscurité je ressasse mes idées noires, je fais des cauchemars. Je pense tout le temps à ce fantôme, ce mauvais esprit … C’est hyper malsain, toutes ces choses que j’ai vues, que je ressasse sans cesse. Ça fait mal. Mais je ne peux pas en parler à ma famille d’accueil, ils me diraient qu’il faut que je leur fasse confiance et que j’aille voir un psychologue. Qu’est ce qu’un psychologue ferait pour moi ? Moi, j’ai plutôt eu l’idée de continuer à faire du sport pour avoir un mental d’acier. Du coup je vais tous les jours m’entrainer, faire de la boxe, etc. Je peux travailler sur moi-même et me libérer de toutes ces pensées noires.
Mais après l’entrainement, les pensées noires reviennent. Et reviennent. Et reviennent…
J’y arrive pas.
Soleil

Dessin au feutre fin noir sur fond blanc : une personnes aux longs cheveux bruns pleure de l’œil gauche dans une drôle de position, en équilibre sur un pied, l’autre replié au niveau de la poitrine. Sur son dos, une énorme carapace avec des écailles et de très gros pics. Elle porte de nombreuses cicatrices sur ses membres.
Illustration par N.O.
Essayez de contacter une personne spirituel qui pourra vous aider peut être… J’aimerai vous aider… Courage à toi jusqu’au bout…