Je n’ai pas eu une expérience aussi traumatisante que celles qu’on peut lire sur ce site. Ceci je le dois beaucoup à ma famille, mes amis, mes collègues de travail, et surtout à l’éducation féministe que j’ai cherchée sur beaucoup de sites, celui-ci inclus. Je savais par quels mécanismes l’emprise se construisait.
Ça ne m’a pas empêchée d’en être victime.
Il était non-européen, étudiant à Berlin, j’avais mes dernières vacances avant de faire mon stage de fin d’étude. Et on s’est tout de suite plu. Ce qu’on ne dit jamais dans les relations qui virent à la violence, c’est que ce sont souvent des relations idylliques. Celles qui vous font croire que c’est la personne avec qui vous allez finir vos jours, avec qui vous allez construire votre famille, en qui vous aurez toujours confiance. Jusqu’à ce que vous soyez prise au piège.
Le tournant pour moi a été quand il a quitté ses études pour venir s’installer avec moi en France. Ce n’est que quand il est arrivé qu’il m’a dit que son université avait annulée son visa et qu’il était sans papier. C’est peut-être une évidence pour beaucoup, mais pour moi ça ne l’était pas du tout : de ce qu’on avait parlé avant, il avait un visa pour presque deux ans en Europe.
Il a fallu trouver une solution pour qu’il ait des papiers, et on a eu la confirmation que ça prendrait des mois, voire des années. Je faisais tout pour qu’il ne s’ennuie pas une fois que je rentrais, on sortait le week-end, je l’encourageais à apprendre le français, on avait fait une connerie mais qu’on allait y survivre.
Il a commencé à devenir colérique, à ne plus accepter que je sorte sans lui. Je n’acceptais pas : il était hors de question que je ne sois plus libre de mes mouvements. Jusqu’à ce qu’il prenne un verre, le remplisse de destop, me dise “Adieu chérie” et le boive devant moi.
Ce soir-là, on l’a passé aux urgences. Il n’avait pas bu, il avait juste eu du produit dans la bouche. Le personnel de l’hôpital l’a très peu examiné, le docteur l’a engueulé pour lui dire que c’est pas un produit pour faire des blagues, un psychologue est venu lui dire qu’il ferait mieux de me faire des gâteaux. J’étais complètement sous le choc devant ces scènes toutes plus ubuesques les unes que les autres.
Et on est rentré au milieu de la nuit. J’ai appelé mon employeur pour lui dire que je ne pouvais pas laisser un suicidaire seul chez moi, que je devais prendre des congés. Il a été très compréhensif.
Une collègue m’a dit de bien faire attention à ce que la relation ne tourne pas mal. Je lui ai dit être bien consciente des risques, que j’étais informée. En fait il était déjà trop tard.
J’ai passé les deux semaines suivantes à appeler les numéros d’urgences en cas de suicide, pour savoir quelle était la marche à suivre. J’ai vu le médecin traitant, j’ai eu un rendez-vous pour lui chez un psychologue anglophone, mais rien n’a aidé. Le psy a déclaré dans un entretien d’une demi-heure qu’il n’avait aucun problème.
Je suis retournée travailler. La situation ne s’est pas arrangée. J’avais peur chaque fois qu’il ouvrait la fenêtre, je cachais les objets tranchants et produits nocifs. Je cachais l’alcool aussi, car il pouvais se mettre à boire beaucoup en très peu de temps et se mettre très malade.
Il se mettait en colère en une fraction de seconde pour quelque chose d’insignifiant, passait de l’amoureux attentionné et aimant au pire des tortionnaires, ne se calmait que quand je le suppliais d’arrêter. Doucement mais sûrement, je ne faisais plus rien naturellement. Je faisais tout pour qu’il ne fasse plus ses crises horrible. J’étais dans l’état d’esprit de survie, tout le temps.
Mais je ne pouvais pas tout contrôler. Quand un ami m’appelait sur le téléphone, ou que je recevais un message, c’était reparti. Un retard de train qui me faisait arriver plus tard, et je savais ce qui m’attendait.
À côté de ça, il faisait tout pour moi. Il lavait mes fringues, il me faisait à manger, il faisait le ménage. Il faisait un peu trop tout pour moi en fait. Il restait dans la salle de bain quand je prenais ma douche, il restait derrière la porte des toilettes quand j’y étais, il m’enlevait les chaussures quand je rentrais, il portait mes fringues après que je les ai mises. Une manière de plus de contrôler ce que je mangeais, ce que je portais, en plus de contrôler mes heures de départ et d’arrivée.
À ses yeux, j’étais la grande méchante. Celle qui l’oubliait tout le temps, qui ne prenait pas soin de lui, alors qu’il avait tout quitté et avait fait tant d’efforts pour moi.
Il a fait d’autres tentatives de suicide. Il est parti pendant que j’étais au toilettes avec sa valise, en me disant qu’il allait se jeter sous les rails du train. Il est parti plusieurs fois en disant qu’il ne me supportait plus, après m’avoir fait une scène.
Est venu un moment où je devais l’appeler tous les midi, après manger. Puis je devais répondre à tous ses textos dans les minutes qui suivait. Tout ça sur mon temps de travail. Il me disait souvent qu’il me connaissait, que j’étais une feignante qui ne travaillait pas vraiment, que je pouvais parfaitement répondre à ses messages. Mon travail m’ennuyait au plus haut point mais c’était ma bouée de sauvetage, ce qui me permettait de survivre, de m’éloigner de lui.
Le sexe est devenu un lointain souvenir. Je supportais déjà difficilement qu’il me touche, mais j’avais l’impression que je n’avais pas le choix. Je devais dormir dans ses bras, même si du coup je dormais mal toutes les nuits. Je ne voulais plus qu’on couche ensemble. Il insistait lourdement, disant que je devais me forcer un peu parfois. Je savais que jamais je ne devais le laisser faire, que sinon il me violerait à répétition par la suite, et que ça achèverait de me transformer en serpillère.
Je le sortais comme on porte un boulet pour essayer de sortir la tête de l’eau. Mais chaque fois c’était un échec. Chaque fois il se passait quelque chose qui lui déplaisait, et il me faisait une scène pendant le reste de la soirée. Il me répétait que personne ne l’aimait, que tout le monde le détestait. Je voyais de moins en moins mes amis. Pire, je m’interdisais de voir ceux qui n’étaient pas au courant de la situation, en leur disant que j’étais malade. Je n’avais pas envie qu’ils voient ce que j’étais devenue. Il y en a d’autres que je voyais en cachette, le midi. Il ne les supportait pas, donc en dehors de ce créneau je ne pouvais plus les voir ni les contacter.
Finalement est venue la fois de trop. La fois où tout le monde en a eu tellement marre de son comportement qu’on l’a laissé seul à la rue, la nuit, fortement alcoolisé et déshydraté, en novembre. Le matin, mes amis m’ont fait comprendre que je serais toujours la bienvenue, mais qu’ils ne voulaient plus le voir. Qu’il était tellement envahissant qu’eux-même ne faisaient que de parler de lui, même quand il n’était pas là.
J’ai eu conscience que je pouvais perdre tout le monde. Qu’ils m’ont toujours soutenus, mais qu’ils devaient eux aussi se protéger de lui. Et donc de moi si je continuais à le supporter.
En rentrant chez “nous”, il m’a dit que mes amis étaient profondément mauvais, qu’ils étaient jaloux de notre amour, mais qu’on ne les laisserait pas détruire notre relation.
Je suis partie travailler le lendemain et je ne suis pas revenue chez moi. Je passais mon temps à changer d’endroit, avec un sac de travail, un autre contenant mes affaires (que j’avais achetées au fur et à mesure), un sac de couchage et un sac de nourriture. Je lui ai dit de partir, que je ne voulais plus le voir, il est resté chez moi en attendant que je sois lassée de squatter des amis, des collègues, de la famille.
Ce qui est arrivé, après quelques semaines. J’en avais marre. Mais cet exil m’a fait le plus grand bien. J’ai pu lui poser des conditions strictes concernant la cohabitation.
Ça a marché. Je retombais un peu dans mes mauvaises habitudes, mais c’était bien plus vivable.
Il m’a demandé en mariage le soir du nouvel an. J’étais seule avec lui. Personne ne m’avais invitée nulle part, et de toute façon je n’assumais plus de voir mes amis avec lui. Et là j’ai pensé “plutôt crever. Jamais.”. Je me suis mis en tête qu’il fallait que je le chasse, papiers ou non, le plus vite possible.
J’ai appelé une amie. Je lui ai donné toutes mes coordonnées, et lui ai dit “je vais t’envoyer un message juste avant de passer la porte de chez moi. Si dans les cinq minutes qui suivent je ne t’en envoie pas un autre, appelle la police”.
Mon frère était chez moi, c’est certainement ce pourquoi ça s’est relativement bien passé, mais j’étais pétrifiée de peur. Je pense qu’il a compris que c’était foutu pour lui. Je l’ai mis dans un covoiturage un matin neigeux, et il est parti.
J’ai eu du mal le premier jour. Puis, le lendemain j’ai jubilé : j’étais enfin libre ! Je pouvais dormir, où je voulais, je pouvais rester travailler plus tard si j’en avais besoin, je pouvais voir mes amis, je pouvais laisser mes chats rentrer dans ma chambre, je pouvais faire ce que je voulais, ENFIN.
Certains amis aussi m’ont demandé quand ils auraient dû venir lui casser la gueule. La réponse c’est jamais. J’était déjà en crise d’angoisse quand on abordait un “sujet interdit” dans une conversation, si ça en venait à la violence j’aurais pris sa défense, et ça aurait accentué le sentiment que le monde entier était contre lui.
Il fallait que cette décision vienne de moi. Il fallait que je fasse mon chemin de pensée, que je perde au fur et à mesure tout espoir que la situation s’améliore, que j’aie conscience de ne plus être que l’ombre de moi-même à cause de lui, et surtout que je sache comment sortir de son emprise. Vous n’imaginez pas, quand vous êtes sous l’emprise d’une personne, même en en étant consciente, que vous pouvez en sortir. Vous ne pouvez pas penser à ce qui est bien pour vous : vous ne pensez qu’à ce qui peut lui faire perdre la tête, et l’éviter à tout prix. Vous ne pouvez juste pas penser à vous.
J’ai une profonde gratitude pour mes proche, qui m’ont soutenue, pendant un an et demi, rien que par le fait de ne pas me laisser seule avec lui. D’avoir fait preuve de patience, de me dire clairement ce qu’ils pensaient, et de continuer à me voir malgré le fait que je ne fasse pas ce qui était évident de faire pour le reste du monde. En ne me laissant pas seule, ils m’ont certainement sauvé la vie.
Je suis aussi très reconnaissante aux nombreuses féministes écrivant sur les blogs, publiant les témoignages… Elles m’ont aidée, sans me connaître, à garder certaines limites quoi qu’il arrive, afin d’éviter que ce cauchemar ne se transforme en véritable enfer. On peut se remettre d’un cauchemar, se rendormir. Quand on est en enfer, c’est autre chose d’en sortir. Rien que ça, merci. Merci pour tout.
Vanessa

Peinture : portrait d’un visage de femme rose aux cheveux bleus sur fond de couleurs mêlées.
Illustration par Chloé Debauges
Bonsoir cest une histoire vraie pour le destop? Bonne soirée merci de vos réponses .le médecin n’avait pas à lengueler il ya plus de 20 000 cas en France .