Il fut un temps où j’étais jeune, très jeune, naïve, très naïve. Et malheureuse. Très malheureuse. Un temps où il neigeait des calmants et des antidépresseurs. Un temps où je n’avais plus de travail ni d’études pour avoir une place, un poids dans la société. Ce qui est plus important qu’on ne veut le croire. À ce moment de grande incertitude de ma vie, je me cherchais comme je ne me suis jamais cherchée, et j’allais partout, espérant trouver des réponses alors que je savais d’ores et déjà que je ne les trouverai pas là-bas. À ce moment, j’ai voulu poser comme modèle de charme. Je réalisais des autoportraits assez bons, et quelques photographes de charme m’avaient repérée sur Internet. J’ai fini par me rendre à un shooting avec B.B., qui me semblait être un bon début : il était de la génération de mon père, avait des enfants de mon âge, il me semblait plus « clean ». Quelle naïveté.

L’intégralité du shooting se passe bien, je suis à l’aise devant l’objectif, même si nous sommes complètement seuls, je n’ai que peu d’appréhension. Après la lingerie, nous décidons de passer au nu artistique. Tout va bien. Puis il me propose de poser en levrette. Très professionnelle, j’accepte, il prend quelques clichés. Et tout s’écroule. Je sens une main toucher mon sexe. C’est drôle, parce que je pensais toujours que si cela m’arrivait, je m’énerverais, frapperais, vociférerais ! Mais il n’en a rien été. Je n’ai rien dit. Je me suis recroquevillée contre moi-même. J’avais honte. J’étais horriblement mal. Et, pire, je me sentais, au fond de moi-même coupable.

Alors qu’il me raccompagnait à la gare, je ne répondais plus que par monosyllabes. Je n’ai plus jamais répondu à ses coups de fil ou à ses mails. Pendant plusieurs semaines, je n’ai pas pu laisser un homme me toucher sans ressentir un malaise. Et aujourd’hui encore, cet épisode me hante.

Je me suis totalement anesthésiée. J’ai dit que j’étais naïve, j’ai minimisé. J’en ai ri. Alors qu’au fond j’étais profondément blessé. J’ai pardonné à cet homme. Mais pour autant je n’ai pas oublié. Je n’ai pas oublié ce que ça fait de se dire qu’on a été pelotée par un homme plus vieux que son père, d’entendre : « Ouais mais en même temps tu posais nue en levrette ».

Mais, most important, je ne me suis pas laissée détruire. J’ai gardé la tête haute. J’ai avancé dans la vie. Je me suis trouvée. Et, quand j’ai posée nue à nouveau pour le Tag Parfait, c’est mon copain qui était à côté du photographe. Et qui me regardait. Et qui m’avait dans son lit la nuit d’après.

 

Alex

Illustration par Emilie Pinsan

Illustration par Emilie Pinsan