Oui, moi je regrette mon IVG. Oui, douze ans plus tard, je suis toujours hantée. Mais pas exactement pour les raisons avancées par quelques personnes malhonnêtes. Si on ne m’avait pas confisqué mon choix, si mon histoire et mon ressenti avaient été respectés, tout aurait été différent. Cette grossesse, pour moi, aurait dû être accompagnée et avoir une chance d’aboutir. J’aurais jeté mes forces dans cette bataille, accepté des sacrifices… mais non, la seule réponse opposée à mes demandes d’aide a été « Avortez ! »
Je sais que l’IVG est une réponse nécessaire et souhaitable pour une partie des personnes enceintes. Mais ce que j’ai vécu est inadmissible. Du premier « quand on est handicapée, Madame, on avorte » au dernier mensonge « jusqu’à la dernière minute, vous pouvez renoncer », on a tout simplement snobé ma liberté, ma réflexion et ma capacité à estimer le mieux pour moi et cet enfant.
Madame Planning Familial, j’aimerais te dire que tu n’avais pas à me cantonner à la voie que tu estimais la meilleure dans mon cas. Déjà, parce que tu manquais d’éléments, ensuite, parce que le choix m’appartenait. Alors, oui, dans les faits, ma santé rendait extrêmement difficile la tenue d’une grossesse, qui était en prime issue d’un viol. Pas franchement le tableau idéal, je l’admets. Mais ça restait possible. Et j’aurais voulu avoir les outils pour tenter cette épreuve, ou au moins que ce combat ne soit pas balayé d’un revers de la main, quoi ! Quitte à souffrir. Quitte à ce qu’à bout, je sois obligée d’avoir recours à une IMG. Parce que oui, j’y avais pensé, figure-toi. J’avais envisagé le meilleur, le pire… mais tu as choisi pour moi, profitant de ma vulnérabilité pour me faire un sympathique chantage : IVG ou hospitalisation psy. Tu n’en avais pas le pouvoir mais à l’époque je ne savais pas. Et vogue la galère !
Monsieur Gynéco, je tiens à vous préciser que quand on vient pour une consultation pré-IVG à la suite d’un viol, la question « vous êtes enceinte, mais êtes-vous vierge ? » passe mal. La très longue attente de huit heures en salle d’attente parce que vous avez oublié de transmettre la demande de prise de sang aux infirmières, aussi. Votre paternalisme, vos examens violents et mal expliqués, n’en causons pas !
Madame Psy, vous auriez pu vous épargner les « c’est pour votre bien » and co. Inutile et faux. Votre fausse compassion n’était qu’un vernis servant à masquer la même menace que votre collègue du planning familial, celle de me faire soigner sans mon accord si je n’allais pas vers l’IVG.
Et surtout, surtout, Madame Infirmière du service d’orthogénie, vous n’aviez aucun droit, strictement aucun droit, de me dire de « prendre mes précautions contraceptives la prochaine fois » et encore moins de me redire cent fois que mon choix était réversible jusqu’à ce qu’on m’endorme. Quand, mesurant l’horreur que l’IVG représenterait pour moi, et mon désir de me battre pour mon bébé, j’ai voulu tout arrêter, vous m’avez dit avec un grand sourire « trop tard, tout est enclenché ! ». Ça je ne vous le pardonnerai jamais. Douze ans plus tard, ma colère reste intacte.
Je n’ai rien oublié, je m’en voudrai longtemps encore d’avoir cédé. Même si ce n’est pas à moi de me sentir coupable et que je le sais pertinemment. Mon bébé non-né, je te demande pardon. Encore. Même si tu t’en fous parce que tu n’as été qu’une toile vierge, qu’on a refusé que je peigne.
Mais parfois, je me demande, moi l’agnostique, si ce n’est pas toi qui a imprégné l’âme de mon enfant vivante pour la rendre aussi merveilleuse. Permets-moi de te dire que je t’aime.
Seph

Dessin au feutre sur feuille rose : une femme nue, blanche, aux cheveux roses, les contours de son corps sont de couleur rose, bleu et violet. Elle est assise dans le vide, une jambe qui pend et l’autre repliée vers la poitrine, les mains croisées sur son genou.
Illustration par Alraun
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