Ça fait longtemps que j’aurais dû écrire tout ça, prendre le temps de revenir sur ça, parce que la réalité, c’est que depuis plus de quatre ans, la majorité de mes écrits ont tourné autour de ça, pour finalement disparaître pratiquement. Je ne sais pas tout ce qui s’est passé, je sais qu’une bonne partie de moi a disparue, une partie qui douloureusement me fait ressentir son manque.

Il y avait ce souvenir qui m’a suivi pendant toute la première année de fac et m’a conduite à l’échec. Finalement, ce n’était qu’un souvenir, mais quel mal il avait déjà causé ! Aujourd’hui je sais que ce n’était rien en comparaison de ce qui s’est passé le 31 mars 2009, et s’est reproduit début mai de cette même année. Mais j’étais déjà habitée par la peur, je suis tombée sur beaucoup de connards, je cherchais un sauveur, je ne rencontrais que les désillusions. Début mars, il y a eu cet homme que j’aurais pu aimer, sincèrement, si ce qui est arrivé n’avait pas eu lieu. Mais la nuit il repartait, me laissant seule, je sais qu’on ne peut pas, techniquement, être toujours là pour une personne mais j’avais besoin de ça. Je sortais presque tous les soirs, je ne supportais plus ma chambre étudiante, je la fuyais, et je fuyais la solitude. En tout cas, j’essayais. Je me rendais au centre ville avec ma musique, je marchais, je me posais devant les fontaines et je restais là des heures, ça me faisait du bien… et j’espérais. Je ne sais pas quoi, j’espérais. Ce n’est pas en pleine rue qu’il m’est arrivée quelque chose, non. Pourtant j’ai croisé plus d’une fois des types bizarres. Des aiguilles dans la botte de foin, en réalité. Et puis il y a le raz de marée qui vous englouti.

Ce soir là j’ai pris le tram pour rentrer (alors que bien des fois je revenais à pieds, comme quoi, j’aurais dû être à l’abri). Mon arrêt, je descends, la musique dans les oreilles, comme toujours. Je fais quelques pas, on me hèle. Ouais, j’avais tout sauf envie de répondre, mais bon, on me hèle une deuxième fois, et on ne sait jamais. On les voit venir les mecs à qui vous plaisez, on les sent à plein nez mais il faut bien s’arrêter, y en a parfois qui se font tuer pour moins que ça. Y a deux mecs, deux amis sans doute, ils  n’ont pas l’air méchants, remarquez. C’est juste que là, je suis crevée, et surtout pas intéressée. D’ailleurs très vite je leur fais savoir, mais moi je suis gentille, vous voyez, alors je dis on peut être amis, si vous voulez. Voilà. Amis, la barrière est posée, je ne recherche rien de plus. Ils disent ok (bon, y en a un des deux qui est plus intéressé, ce K, là.), mais moi on me dit ok, ça me va. Ça m’allait devrais-je dire. Cette nuit-là je rentre tranquillement et je m’endors, bon, en même temps le type savait où j’habitais,  un des nombreux problèmes des résidences universitaires… Je le revois plusieurs fois mais vite fait, on discute en se croisant, rien de bien méchant. Enfin… pour l’instant.

Et puis, un soir je suis seule, je vais le voir, il regarde un film, on discute.  Amicalement. Enfin, c’est ce que je voulais, c’est ce que j’avais dit. Peut-être bien qu’il m’a pris dans ses bras juste un instant pour me consoler, oui mais. Oui mais, c’est tout ce que je voulais. Honnêtement, c’est parti si vite que je n’ai pas compris tout de suite. Soudainement il ne me prend pas dans ses bras mais il me couche sur son lit, et moi je le repousse, et je dis non. A un moment je crois qu’il s’arrête, je suis déjà en train de pleurer, parce qu’il m’a déjà touchée plus ou moins. Sauf qu’il ne se redresse pas parce qu’il a compris, non, il a mis une capote. Et il est revenu à la charge. Et il m’a eue. J’ai dis non et je pleurais, comment on peut avoir envie de quelqu’un dans ces moments là, j’ai dis non mais il m’a pénétrée. Alors j’ai disparu, je suis morte. J’ai attendu que ça soit fini, je suis rentrée, j’ai pris une douche direct, une douche brûlante. Dans ces moments-là, on ne pense pas à aller porter plainte, on ne pense pas à la preuve, on veut juste se débarrasser, oublier, tout ça. Et surtout, le mot viol, on ne se le dit pas tout de suite, on ne veut pas le reconnaître. Reconnaître que quelqu’un a pris une chose qui ne lui appartenait pas, quelqu’un a pris le contrôle de mon corps et l’a détruit.

Vous imaginez dans quel état j’étais. J’ai voulu qu’il reconnaisse son acte. Parce que lui, on aurait dit qu’il n’avait rien fait de mal, en tout cas, il a repris de mes nouvelles rapidement. Je suis allée le voir pour qu’il me dise qu’il m’avait bien violée. Il a dit, mais n’importe quoi, je t’ai fais du bien, c’était pour ton bien. C’est pour mon bien sale enfoiré que tu m’as tuée ? Je ne sais plus comment ça s’est passé la deuxième fois. Je sais que c’est arrivé.

J’ai son numéro. Je sais qui il est. J’ai pensé et je pense encore à faire quelque chose. Pour moi il est trop tard, mais s’il y en avait d’autres ? Ca me rend malade.

Après ça, la relation que j’aurais pu construire m’est apparue impossible. J’en voulais à mon copain actuel quelque part, de ne pas avoir été là. Même si je sais qu’il n’est pas responsable. Certaines choses chez lui qui m’avaient plu, me dégoutaient soudainement. Il n’a jamais vraiment compris, je n’ai jamais vraiment réussi à lui expliquer ni à faire qu’il me haïsse. J’ai essayé…

Après ça, j’ai loupé ma deuxième année de fac. J’ai rencontré d’autres ordures. J’ai essayé d’autres formations, j’ai l’impression d’aller d’échec en échec. Je ne crois plus vraiment en moi, parfois. J’ai trouvé l’homme de ma vie, aujourd’hui.  Je peux compter sur ma famille et mes amis. Ce sont les seules choses qui comptent pour moi. J’arrive plus ou moins à être heureuse. Mais professionnellement, je n’ai plus aucune ambition. Mes rêves se sont échoués quelque part.

Et puis, je ne peux m’ôter de la tête qu’il vit tranquillement, un sourire sur le visage, et que les gens ne savent pas qui il est, ne connaissent pas le monstre derrière un individu souriant et à qui vous pourriez faire confiance…

 

DE SAINT LEGER Sarah, le 10/07/2013

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Illustration par Emilie Pinsan