Ton crâne bourdonne. Tu es un peu ailleurs, désinhibé.
Tu tentes de faire ce que tu as à faire rapidement, de façon assez automatique, tout en traînant un corps engourdi. Tu ne peux plus, il faut que tu te poses.
Le moindre bruit semble lourd et appelle une nouvelle image, un gribouillis absurde.
Tes yeux fuient la lumière. Tu les tournes un instant et le monde semble s’animer avec difficulté, puis s’écrouler autour de toi, laissant place à une multitude de mondes parallèles au tien, tout aussi chaotiques.
La vue te brûle alors tu éteins la lampe et tu allumes la bougie pour soulager tes paupières. Tu ne veux pas être dans le noir. Dans le noir complet, tu paniques car tu n’as plus de repères auxquels te fier. Les bruits se font plus forts, assourdissants. Tu ne sais plus si c’est ton enveloppe corporelle qui bouge, si elle est encore à toi, ou si c’est le monde, les univers autour de toi, qui se déplacent.
Tu ne l’as pas encore remarqué, mais ton souffle s’est absenté un long moment. Une fois conscient, tu tentes avec peine de te battre pour remplir et vider tes poumons, qui te semblent minuscules, quasiment inutiles. Au final, as-tu seulement la volonté de respirer ? De vivre ?
Ton corps se crispe de toutes parts, tout en étant au repos.
Tu es plein d’indifférence, mais paradoxalement, ne plus rien ressentir est le plus grand des soulagements. Même la faim qui te vrillait l’estomac et l’esprit a disparu. Il n’y a plus que ton ventre qui hurle au désespoir, seul, sans toi pour répondre à ses besoins, comme un enfant inquiet sans ses parents.
L’hypersensibilité peut donner des ailes, mais elle implique surtout de passer la majorité de sa vie en cage.
Plus rien ne compte. Tu n’es pas vraiment là. Ton corps non plus. Tu te fiches de mourir, tu ne le sentirais pas. Peut-être que c’est ce que tu veux, disparaître.
Debout, tu endures le poids d’une masse de chair et de sang gênante. Assis, tu pars en avant, comme attiré par la chute. Allongé, tu planes comme un oiseau, tranquillement.
Tu t’éteins comme la bougie qui t’accompagne.
Le temps d’une nuit, tu es là et tu ne l’es plus.
Mais le lendemain, tu te lèveras péniblement et accomplira ta journée comme si de rien n’était. Et le soir venu, la pâleur, les tremblements, les maux de crâne, l’anxiété, la dépression, la honte de ta condition physique et morale, la solitude, ils seront tous là pour te veiller à ton chevet.
Ce n’était pourtant pas si agréable que ça, flotter dans l’indifférence. Le problème, c’est que tu ne veux pas vivre ni mourir. Et tu sais que la morphine va te stabiliser dans un état où tu t’en ficheras purement et simplement. Alors tu l’embrasses sans te poser de questions.
Isabeau

Dessin au feutre fin noir sur papier blanc : une personne aux cheveux longs et au visage noir, le corps recouvert d’écailles, est assise en tailleur dans un cube. Son corps est relié par des rayons aux quatre arrêtes verticales du cube. Celui-ci est lui-même dans un plus grand cube. Dans chacun des deux cubes il est écrit sur quatre des faces : “Silence”.
Illustration par N.O.