Il y a trois mois, j’ai avorté.
J’ai passé les trois premiers jours qui ont suivi l’hôpital à pleurer. J’avais perdu mon enfant. Cet amas de cellules informes, je l’aimais plus que tout. Plus que moi.
Et parce que je l’aimais avec la ferveur du miracle inattendu, j’ai préféré qu’il ne voit pas le jour. Parce que je suis trop jeune. Trop instable. Trop immature. Irresponsable. Parce que j’ai plusieurs années d’étude devant moi. Des rêves à réaliser.
J’ai 21 ans et j’aurais pu être mère.
L’équipe médicale a été absolument parfaite. Douce, prévenante, attentionnée. Pendant les deux semaines qu’aura duré l’avortement, j’ai eu le luxe de garder mon esprit dans des limbes de coton.
C’est après que ça s’est corsé.
J’évoluais déjà dans des milieux féministes, j’ai seulement prêté plus d’attention aux articles et débats autour de l’avortement. Les 40 ans de la loi Veil. Je me positionnais pour, et jusque là, tout allait bien. Puis j’ai voulu partager ma souffrance, à moi. La douleur du choix et l’évidence malgré moi. Et rapidement, le constat s’est imposé : je ne pouvais pas à la fois être féministe, et pleurer mon enfant avorté. C’est déplacé, ça semble incohérent. J’ai dû me taire, pour protéger la blessure sensible des venins acides. Trois mois. C’est long, trois mois, quand on a mal à en crever les nuits de larmes. Là où je pensais être à l’abri, on a nié ma douleur. Des femmes, des hommes, des mères, des non-mères, tout.e.s se sont permis.e.s de juger ma souffrance comme l’exagération d’une môme en mal de repères. On a nié mon droit à l’amour pour un enfant qui n’en serait jamais un. J’ai écrit, surtout pour apaiser les insomnies rougeoyantes. Pour poser les mots sur la complexité de la douleur juxtaposée au sentiment profond d’avoir fait le bon choix. J’ai écris pour effacer les horreurs des autres et la culpabilité d’avoir mal.
Aujourd’hui, je vais mieux.
Peut-être un jour aurais-je un enfant. Peut-être pas. Mais ce qui est sûr, c’est qu’aujourd’hui je peux dire : je suis féministe, j’ai avorté, j’ai pleuré.
Personne ne pourra plus me culpabiliser d’être la mère de mon enfant informé.
Je ne suis pas coupable de mes larmes.
Je ne suis pas coupable de mon soulagement.
Je ne suis pas coupable de mon amour.
Pas coupable.
E.R.
Et qui peut juger ce que l’on ressent, surtout ?
Je voudrais te témoigner ma solidarité, mais je n’arrive pas à me débarrasser de l’envie de t’ “aider à guérir” de ton deuil. Je ne suis pas d’accord, je ne veux pas te faire cette violence. Je chasse cette pensée mais elle revient, comme une vague.
Voilà, je viens de comprendre qu’il fallait que je travaille là-dessus. Je vais faire de mon mieux. Peut-être qu’un jour je pourrai accueillir la parole de quelqu’un.e sans ces réflexes toxiques, avec respect, et ce sera grâce à toi.
Merci pour ta parole féministe.
Un an et demi plus tard, j’espère que ton réflexe toxique a disparu. Pour les autres comme moi et puis pour toi aussi, j’imagine.
Je ne comprends pas quelle incohérence il y aurait à avoir vécu ce que tu as vécu tout en étant féministe. Par contre je trouve plutôt incohérent de se permettre de juger le choix et le ressenti d’autrui tout en se prétendant féministe, donc soi-disant pour la liberté à disposer de son corps, pour la déstigmatisation des femmes quel que soit leur choix de vie, et contre le harcèlement de la bien-pensance.
Il est manifestement bien difficile de sortir du jugement. Tu en témoignes.
J’ai moi même avorté et je ne comprends pas ton sentiment, mais j’ai envie de le respecter. J’ai une amie dans ton cas qui veux à l’inverse me persuader que j’en souffre comme elle, que je n’assume pas, que je me ment, etc. Je trouve aussi ça agressif, qu’on veuille nous dire comment on doit ressentir les choses. ça n’a pas de sens, les autres doivent comprendre qu’ils n’ont aucune prise sur nos sentiments, c’est absurde de leur part et c’est un mauvais comportement à notre égard. Ne te laisse pas bouffer par ces gens. On n’a pas vécu l’avortement pareil toi et moi, mais on s’entends sur l’importance de respecter le vécu de chacun, et que le respect doit passer au dessus de l’incompréhension. Et c’est bien l’essentiel. Je te souhaite bon courage et je t’envois plein de gentilles pensées, j’espère que ça va aller et que le temps t’aidera à faire ton deuil.