Je crois que le pire dans les violences sexistes, qu’elles soient physiques ou autres, c’est qu’on tente toujours de les minimiser. De te dire qu’ailleurs c’est pire, que tu exagères… C’est d’ailleurs très parlant, puisque comme dit Christine Delphy « Quand une féministe est accusée d’exagérer, c’est qu’elle est sur la bonne voie. »

S’agissant du harcèlement de rue par exemple, il m’aura fallu de longues discussions sur Internet, et en particulier sur Twitter, pour mettre le doigt sur ce que ces comportements avaient de terrible et de glaçant sous leurs dehors de drague un peu cheap. Evidemment, ça m’énervait qu’on me parle mal parce que ma jupe était trop courte, mon pantalon trop moulant, ou mon t-shirt trop échancré et que de surcroît j’avais l’outrecuidance de ne pas répondre aux sifflements ou invectives supposément flatteurs. Quand j’en parlais avec mes copines, je demandais parfois avec un rire jaune « mais est-ce que ça fonctionne, leur technique de séduction, franchement ? » Bien sûr que non. En même temps ça tombe bien, puisque ce n’est pas le but. L’idée c’est simplement de te rappeler que toi, femme, quand tu es dans la rue, dans le domaine public, tu n’es pas à ta place, tu es sur leur territoire, et puis qu’est-ce que tu fais là, seule, sans un mec ou un papa, un mâle référent qui justifierait ton incursion hors du domicile où tu devrais rester ?

Mais ce n’est pas grave, n’est-ce pas, ce ne sont que des mots…

C’est donc d’actes qu’il faut parler ? Bon. On parle alors des attouchements, en soirée, dans les transports, partout, tout le temps. De ces mecs qui t’attrapent le bras alors que tu ne les connais pas, qui te claquent le cul parce que l’envie leur en a pris, j’en passe et des pires. Des agressions sexuelles, donc.

Mais là non plus, ce n’est pas si grave, penses-tu, il y a des pays où les femmes sont excisées.

Fatalement, dans l’escalade du pire en termes de violences sexistes, on en arrive à parler du viol. Alors là ça va, c’est grave, très grave même, et il fait l’unanimité contre lui, comme la guerre ou la faim dans le monde. On se dit alors qu’on a un terrain commun sur lequel travailler. Et on commence à parler de culture du viol. Du fait qu’on vit dans une société qui tend à culpabiliser les victimes et minimiser les torts des coupables. Une culture, à laquelle nous appartenons tous et toutes, même moi, même toi. Où on s’est déjà dit « ah ben celle-là, il faudra pas qu’elle s’étonne s’il lui arrive quelque chose », où on a déjà utilisé, juste pour rire, l’expression « appel au viol » pour décrire une femme séduisante. Où un magazine féminin très largement diffusé donne une tribune à un pédiatre qui fait l’apologie du viol conjugal. Où plusieurs jeunes filles victimes de viol ont été conspuées, critiquées, malmenées au point, pour deux d’entre elles, d’en arriver au suicide.

Et là, il y a encore des gens pour te dire que ça n’est pas si grave. Vraiment. Que les 50 000 viols par an en France sont le fait d’individus isolés et malades, pas le produit d’une société qui enseigne aux hommes qu’ils ont des pulsions et le droit de les assouvir, avec ou sans consentement.

Du combat pour la suppression de la case « Mademoiselle » sur les formulaires administratifs à celui contre les violences conjugales, en passant bien sûr par les campagnes contre le viol, la seule constante est toujours celle-là : RIEN N’EST JAMAIS GRAVE.

La politique du pire est l’excuse de toutes les bassesses, les veuleries, les renoncements et les paresses. Ceux qui ridiculisent des combats qui leur semblent triviaux, on aimerait tant les voir mobilisés pour défendre les causes qu’ils brandissent comme justes, valables, nobles. Mais bizarrement, ils ne sont jamais là, tout confits qu’ils demeurent dans leur mépris condescendant et leur résignation coupable.

 

Diane

Cinq ans après son premier témoignage,  revient sur ce sujet, toujours pas si grave

 

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L’ombre de la domination
Illustration par Shetty