J’ai l’air d’aller bien. Je souris. Je trinque. Je marche dans la rue. J’ai l’air de tenir debout, d’être droite sur mes pieds. Et ça rassure, ça fait plaisir aux gens en face. Je le vois à leurs regards. Ils se disent : “c’est bon, on peut passer à autre chose”. Je ne parle plus des cauchemars, des fantômes, des blessures, j’ai l’air de “passer à autre chose”.

L’air de rien, je souris, je trinque, je marche dans la rue.

Je porte avec moi tout le reste. J’ai tenté d’en parler, jusqu’à l’usure : rien. Alors, le silence. Silence différent d’auparavant, je ne sais que trop ce que je tais désormais. Je sais aussi ce qu’ils évitent, en face. Ce qu’ils contournent.

Je me demande s’ils soupçonnent à quel point je sais ce qu’ils contournent.

Mais je ne dis rien. Je souris, je chante, je marche dans la rue. J’ai l’air d’aller bien.

Je ne dis rien des aménagements pour rendre ma sortie dans le monde possible. Je ne dis rien des calculs intérieurs pour éviter le métro, rien des discussions sans fin entre moi et moi-même pour savoir s’il vaut mieux braver la foule ou rester enfermée, rien des votes intimes pour savoir si je peux prendre le risque de me retrouver dans tel ou tel environnement.

Je connais les risques.

Il ne m’est jamais rien arrivé de “grave” depuis, mais je connais les risques.

Trop bien. J’ai l’air d’aller bien, je vais sans doute bien d’ailleurs. Je ne sais pas à quel point je peux espérer aller “bien” : jusqu’à disparition des crises d’angoisse ? Jusqu’à une meilleure gestion de celles-ci ? Jusqu’à des nuits sans cauchemars ?

C’est-à-dire changer complètement mes repères depuis neuf ans. On y croit. En attendant, je vais bien, ils y croient. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Stéphanie

Illustration par NO.

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