« Pour être besoin d’étai » G.Perec

  Premier jour d’école, je demande à ma mère : « Pourquoi les enfants frappent et ne parlent pas ? » : ça a signé mon premier rapport au monde. S’enfermer dans l’imaginaire, affectionner des univers sombres, un peu anxiogènes, mais merveilleux depuis toujours. Petite, je n’achetais que des livres sur les sorcières. Je continue… un peu. Je parlais mieux la langue des chats que celle de mes pairs. Engouffrer des livres, remuer en soi des mots – camarde –  jusqu’à épuisement du sens.

  Toujours s’adapter, toujours rejetée. Et ce n’est pas un daemon qui me sauvera, Lyra et Pantalaimon sont à Oxford, eux. Alors, on attend, quoi donc ? Que ça glisse. Plus on grandit, plus les rides de l’âme s’abîment. Mais on se croit préservée, car entourée des souffrances des autres. Ce n’est jamais soi, voyez-vous.

  Et à la faveur de coïncidences les plaies s’ouvrent, se craquellent et on se retrouve écorchée. On y met des mots : sub-dépression, TAG, PTSD. Mais, pour moi, c’est un hurlement dément, les viscères sorties, entourée d’une neige tempétueuse. C’est la mélancolie qui suinte en soi comme dans une caverne millénaire, ossifiant tout. C’est dévorer vivants ses monstres pour les vomir. C’est le sable dans la bouche et les coudes au fond des yeux. Ce sont toutes ces nuits où la cohorte cauchemardesque s’empare de moi pour ne laisser qu’une ancre, au matin, arrimée au ventre.

  Je marche contre un sirocco éternel. Ma fatigue a le poids de mille ans. Dans ma musette, dès que je trouve une luciole, je la prends dans mes mains froides et je la supplie de rester. Souvent le comme si, et puis pour les autres, pas d’indécence. La grande solitude, l’avenir comme un point rouge à l’horizon mais sous mes pieds. Le passé devant moi. « Pour être, besoin d’étai », mais pour rester être, que faut-il ?

Voltayrine

Dessin au crayon: une femme aux cheveux rouges en pleurs. Au dessus de sa tête un arbre un avec une seule boule rouge accrochée aux branches.

Illustration par Voltayrine