Plus qu’un droit à disposer de mon corps, de mon temps, de ma vie et de pouvoir choisir QUAND ET COMMENT avoir des enfants, de façon légale, j’ai besoin de l’IVG car je suis un cas particulier de la procréation.
Je m’explique : mes ovaires sont du genre très productifs. Dans un autre contexte, j’aurais été très appréciée en tant que mère pondeuse.
Avortements médicalisés, fausses couches, grossesse nerveuse… Entre mes 14 et mes 21 ans, sans possibilité d’avorter, j’aurais déjà été deux, voire trois fois mère.
Mes ovaires sont des petits warriors, bien décidés à être utilisés autrement qu’en produisant des ovules se désagrégeant mensuellement.
À 14, puis à 16 ans, j’ai vécu deux fausses couches. A 19 ans, j’ai fait une grossesse nerveuse, et trois fois supplémentaires je suis passée par une interruption volontaire de grossesse par assistance médicale. Je parlerai donc des ces trois fois où le corps médical m’a prêté main forte et m’a permis de ne pas devenir mère avant l’heure que je choisirai.
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À 17 ans :
N’étant pas parfaitement réglée, je ne m’inquiète pas spécialement de ne pas avoir mes règles, car je fais attention. Et puis merde, me voilà vérifiant par test de grossesse, au cas où, pourquoi je n’ai toujours pas le vagin sanguinolent, malgré les symptômes menstruels présents depuis quelques semaines.
BINGO, je suis enceinte. Je m’affole, je me renseigne de façon assidue, et je cours au planning familial. Entre le temps légal de rétractation et les autres avortements prévus, je dois attendre, j’apprends aussi qu’il est trop tard pour un avortement sous médicaments, il faudra passer une journée à l’hôpital, d’autant plus que je suis à la limite du seuil légal.
Moi qui voulais que ça passe inaperçu, je dois louper des cours et en parler à ma mère, car il faut qu’un adulte soit avec vous quand vous sortez de l’hosto.
Je suis encore au lycée, je suis dans une relation amoureuse malsaine, je suis en guerre contre toutes les formes d’autorité, je sors d’une longue période de dépression. Mais je dois quand même justifier mon choix auprès d’un nombre hallucinant de professionnel-le-s de santé. Administration illogique, examens interminables, réactions hautaines, indifférence, commentaires ouvertement critiques… Cette ambiance culpabilisante me fait craquer, et cette première expérience sera assez traumatisante.
En sortant, on me fait bien comprendre qu’il faut que je prenne la pilule, même si je ne suis pas vraiment à l’aise avec l’idée de prendre un composé chimique. Cerazette va devenir ma meilleure amie. Avec trois heures de battement en cas d’oubli, je l’ai toujours sur moi, et j’ai un réveil sur mon portable. Je deviens un peu control-freak, et je prends également des pilules du lendemain quand j’ai un doute.
À 19 ans :
En pleine séparation d’avec cet ex toxique, je ne fais pas attention à mes règles. De toute façon, je continue de prendre ma pilule bien comme il faut, et ça doit faire 6 mois que l’on ne se touche plus des masses. Mais les ovaires contre-attaquent, je me retrouve enceinte, encore une fois, malgré ma copine Cerazette. Les médecins me diront que ça arrive, dans 3% des cas.
Mais cette fois-ci je connais la procédure et je suis majeure. La preuve, je m’en rends compte très vite, et j’ai le droit à un avortement par médicaments, à l’hôpital.
Si cette fois-là je ne sors pas traumatisée de l’ambiance (car je m’en contrefous), l’avortement par médicaments se déroule différemment d’une aspiration. Le contenu de la poche sort sous vos yeux, dans un bassin en inox.
Je croise le noyau blanc de cellules à forme vaguement humaine en fin de sa courte vie, planté là, au milieu d’un mic mac de tissus couleur sang. A l’époque j’avais même pris une photo, tellement je trouvais ça ouf. D’ailleurs, ça ne ressemble en rien à ce que les réacs partagent comme photo : c’est de la taille d’un petit haricot, on ne distingue pas encore la forme des bras ni des jambes, et il n’y a encore moins d’yeux ou d’organes vitaux en développement. Bref, à moins de trois mois, franchement, c’est un haricot blanc sur fond rouge, point.
À 21 ans :
Je viens de changer de vi(ll)e, je suis étudiante, je suis autonome, c’est la fête. Un pote rencontré initialement sur WoW vient me voir pour mon anniversaire, on sort, on s’amuse, je suis bourrée tous les soirs, on finit par se mettre ensemble, c’est l’éclate. Je ne suis plus sous pilule, mais sa copine, celle du lendemain, m’accompagne encore.
Seulement je commence à avoir des nausées, les seins gonflés et toujours pas mes règles. Je décide de voir ça après Noël.
Cadeau de nouvelle année, je suis encore enceinte. Je connais plus que jamais les conditions, et je fais ça au plus vite.
Seulement, cette fois-ci, ça se complique. Les examens sont longs, car ils n’en sont pas encore sûrs, mais le fœtus ne grandit plus. Il est mort. Conséquence de l’alcool à foison ou de la pilule du lendemain ? Il ne se désolidarise pas de la paroi utérine, malgré les médicaments en double dose. Je dois faire une aspiration, avant le délai légal, qui se rapproche grandement.
Au final, il “tombera” tout seul, deux jours avant l’opération prévue. Une nuit atroce de contractions chimiquement forcées. Mais au moins, je suis “vide”.
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Taxez moi d’égoïste, d’irresponsable et d’immature si l’envie vous en dit. Je ne suis pas un modèle de contrôle de ma procréation, et je l’assume. Mais je revendique le droit de pouvoir décider du moment où je deviendrai mère. Lorsque je serai stable émotionnellement et financièrement.
Il n’est pas acceptable que j’enfante de manière imposée. Je refuse de devoir éduquer un enfant non voulu. C’est arrivé à quelques proches, et c’est une atroce souffrance que de savoir ne pas être désiré-e en tant que personne.
Je ne parle pas au nom de toutes les femmes, mais puisque j’ai une sexualité épanouie, qui a débuté jeune, il est évident que la question de l’avortement me concerne, car le sexe n’est pas à mes yeux qu’une simple reproduction, mais bel et bien un plaisir. (Pour celles et ceux qui me traiteront de pute, je vous renvoie cordialement à mon féminisme).
Je veux des enfants jeune, mais ne pas passer ma vie cantonnée au rôle de mère, mais pour ça je veux avoir terminé mes études, et être disponible pour eux.
Je respecte totalement les femmes ayant d’autres points de vue, celles qui ont des enfants pendant leurs études, celles qui n’en veulent qu’à partir de 35 ans, celles qui n’en veulent pas… C’est un sujet personnel, qui doit engager la mère potentielle, principalement. Être mère n’est pas une fatalité, c’est un choix. Et plus que jamais, je suis pour le droit à l’IVG, à son remboursement et à l’aide psychologique des concerné-e-s.
I.J.
Illustration par LS.