J’essaye. J’efface, je corrige, je recommence.

Seulement, bien que je sois reconnue pour mes aptitudes à râler et à exprimer mon mécontentement, là, c’est un peu la page blanche (la tuile).

Pourtant, gueuler je sais faire. Il y a même plein de gens qui me détestent précisément pour ça, c’est te dire que je ne mens pas sur la marchandise.

Donc, depuis plusieurs semaines, je bloque ; genre grave.

Mais un matin, lumière dans la brume : je n’y arrive pas parce que c’est inexplicable. Parce que je ne sais toujours pas, cinq ans après notre rupture, comment j’ai fait pour tenir sept ans une relation avec un mec qui m’a un peu frappée, beaucoup bousculée et constamment humiliée. J’affirmais que j’étais amoureuse, je n’en suis même plus sûre. Ma jeunesse a joué ; je l’avais rencontré à l’âge de 16 ans, à la suite d’une scolarité socialement tumultueuse et à un moment où j’avais besoin d’exprimer la force du caractère que l’on m’avait interdit d’extérioriser à l’école durant toutes ces années. Lui n’était pas beaucoup plus mature : 17 ans, survêt’ Lacoste, tempérament difficile et sensibilité à fleur de peau.

Durant presque sept ans, nous nous sommes déchirés dans ce qui me paraissait être une « relation passionnelle » et qui, j’ai mis du temps à le voir, n’était qu’une relation extrêmement destructrice (pour moi – lui ça va, il n’est pas trop traumatisé pour ceux qui voudraient savoir).

Et si personne n’a rien vu, rien fait, rien dit, c’est avant tout parce que moi-même je ne voyais pas bien les sables mouvants dans lesquels je me noyais petit à petit et que je ne trouvais pas les mots pour exprimer à quel point la situation devenait dangereuse et compliquée à gérer au quotidien. Je croyais ne pas me laisser faire, l’illusion était parfaite.

 Au final, il est là, le paradoxe inexplicable : ton mec te menace de te frapper, te traite de grosse pute, de pauvre meuf, t’étrangle parfois, te méprise chaque jour un peu plus et tu n’en parles pas. Pourquoi ? Va comprendre. Une grande part de honte. Parce que quelle copine, quel psy, quel flic te répondrait autre chose que « bah quitte-le. » ? Ça paraît si simple.

Et pourquoi on ne le quitte pas, d’ailleurs ?

Pire, pourquoi, lorsque lui m’a quittée, j’y suis retournée ? Pas une fois, pas deux fois, mais tant de fois que j’ai arrêté de les compter ? Il s’agirait presque d’un syndrome de Stockholm, en plus vicieux. Y retourner, c’est démontrer à quel point il a finalement réussi à ancrer, très profondément, que sans lui la vie ne vaut rien, que l’on ne pourra pas s’en sortir seule, qu’il était le seul à nous comprendre et surtout, que personne d’autre ne nous aimerait jamais aussi fort. Parce que oui, sa jalousie excessive, l’enfermement, sa violence, tout ce qui te rend la vie insupportable, « c’est parce que je t’aime tellement, ça me rend ouf ! ». Moi aussi.

Ces mecs-là, je les repère aujourd’hui. Sept ans, ça t’affûte le flair, forcément. Le plus frustrant dans tout ça c’est que quand je vois des copines, des connaissances, des amies se rapprocher de profils similaires, je ne peux pas les prévenir sans passer pour une hystérique complètement traumatisée par ce qui lui est arrivé, comme si je voyais le mal partout JUSTE à cause de mon expérience.

D’autant que, comme je le disais tantôt, je commence seulement à prendre le recul nécessaire à une analyse globale de ces situations, et qu’on ne convainc pas une nana en plein kif sur son nouveau mec par des exemples de sa propre histoire. Parce qu’elle refusera de voir à quel point c’est pareil.

Et puisque je n’ai pas encore tout à fait ce recul, c’est là-dessus que je te laisse.

Je t’avais bien dit que je bloquais.

 

Maëlle

 

quitte-le

 

Illustration par Maite AKA Mia Whoo