Récit d’une journée aux allures d’évacuation ratée…
Quand on n’a rien d’autre à offrir qu’un lycée sous menace d’expulsion…

12h : J’arrive à Stalingrad naïvement pour venir récupérer et laver ce qu il y a à sauver du camp de misère installé depuis 4 semaines où la situation était pire que désastreuse…
Comme pour l’évac du 30 mars, ce qui n’avait pas fini dans les bennes avait tourné dans les machines du lavomat… Chaque soir on cherchait des couvertures et des duvets, désespérés, on était prévoyants, on pensait aux prochains… Hélas sans fin…
En moins de 2 semaines le camp s’était reconstitué…
J’ai pris mes pauvres gants de vaisselle et un rouleau de sacs poubelle jetés dans mon sac…
J’y vais puisque de toute façon, je devais faire la distribution de repas le midi… Mais depuis tôt ce matin, c’est l’évacuation… Je viens de lire en chemin dans le métro un post politicard (j’allais écrire publicitaire…) de madame Versini qui dit que 1300 personnes sont mises à l’abri et que cette évacuation est une réussite, se félicitant de son travail, alors que des bénévoles s’activent jour et nuit pour nourrir, soutenir, soigner, accompagner, épauler plus de 500 laissés pour compte sur le trottoir depuis de nombreux mois…
600 c’est déjà bien trop, inutile de gonfler les chiffres… Si vous étiez venus a Stal vous sauriez mais vous, les élus, préférez faire le buzz à Ventimille ou ailleurs…
Bref…
Arrivée sur place, je vois le bus 14 sagement garé a l’angle de la rue d’Aubervilliers… donc j’imagine que l’évacuation n’est pas terminée…
Il repart vide… Comme d’autres avant lui parait-il.
Je me  dirige naturellement vers de supers soutiens qui sont là depuis 5h du mat aux côtés de nos amis.
(Spéciale admiration pour Louve, Morgann, Elise, Mago, Scarlett… et tous les autres) tu reconnais ta chance de croiser dans ta vie de si belles personnes. Si l’État ne les reconnait pas, moi je les connais, les remercie et les admire.
Partez les filles, allez vous reposer, la relève est assurée…
D’autres soutiens arrivent, je mobilise ma “team midi”.
Et on fait quoi maintenant rue d’ Aubervilliers avec une centaine de laissés pour compte assis par terre, fatigués, affamés et désespérés… ?
Un cordon de CRS boucle l’accès vers Stal ou les équipes de nettoyage de la Mairie de Paris s’activent pour rendre tout propre le trottoir comme si rien ni personne n’avait jamais existé…
Impossible d’y retourner…
Quoi pas maintenant…. A défaut de pouvoir se dire plus jamais…
On se consulte, on discute à quelques-uns… On doit bouger !
Rien ne sert d’attendre, rien ici…
Le lycée réquisitionné pourrait leur permettre un peu de répit… de l’eau, de la nourriture… même pour quelques heures si l’évacuation ordonnée a bien lieu ce soir…
On hésite… On leur explique tous les risques que cette option comprend.
Ils décident d’y aller à défaut de mieux.
On part pour le lycée à travers les rues ensoleillées de Paris, on longe les buttes Chaumont (ça a l’air beau) un court instant on pourrait croire à une colo ou une promenade touristique, certains ouvrent la marche d’autres la ferment…
Mais les duvets noircis par des mois de nuits dehors dépassant des cabas aux mêmes allures nous ramènent vite à l’objectif de cette “promenade” qui serait plus une marche pour les droits et la liberté…
On réalise que la plupart n’ont rien d’autre que ce qu’ils portent sur eux.

14h : Arrivée au lycée.
Ils veulent rentrer vite mais il y a des règles, elles sont expliquées, chacun doit s’enregistrer, c’est long… attendre encore et toujours, les groupes se reforment sur le trottoir…
Un petit groupe d’une quinzaine d’Afghans vient nous voir, ils ont des convocations pour leurs demandes à “France terre d’asile” 9h, 10h, 14h… un comble le jour où cette même France, dite terre d’asile, te laisse sur le carreau…
On va tenter, on va y aller avec eux, on va expliquer qu’avec l’évac ils ne pouvaient être la aux heures dites !
Il faut repartir, remarcher encore dans l’autre sens… Rien n’a de sens de toute façon !

15h15 : Arrivée bd de la Villette, “France terre d’asile”
2 sont reçus.
Les autres devront revenir demain à 13h dans l’espoir d’être reçus dès 14h.
Bon, on va faire une pause ici du coup avant de repartir pour le lycée :  eau, bananes, biscuits, discussions, on se dit nos prénoms, ils disent ce qu’ils ont besoin de dire, on s’excuse de cette situation… (merci Rehan pour ta présence et tes précieuses traductions).

16h : Marche retour.

16h30 : Arrivée bis au lycée.
Découverte des lieux, on parle un peu avec Valéry le cuistot des lieux et ses “collègues” en cuisine, ils sont sympas, comprennent l’urgence d’un repas, le lancent, on parle avec d’autres soutiens aussi: Valérie, Luc, Houssame. On tente d’organiser une visite avec nos protégés de Stal… on est un peu perdu dans ce grand squatt…
Ils le semblent tout autant… quelques-uns trouvent les prises pour charger les téléphones (surement pour savoir aussi où ont atterri leurs copains montés dans les bus ce matin) les autres se lavent les dents dans les lavabos de la cour…
Une réunion est programmée pour expliquer la vie au lycée.
Ils nous remercient, on les encourage, on se dit au revoir, ils demandent quand on va revenir…

17h : En passant la grosse porte de fer du lycée bien gardé, j’ai le cœur serré…
Alors non cette évacuation n’est pas une réussite.
Sans compter ceux qui ont atterri au milieu de nulle part sans aucune aide et ces jeunes mineurs revenus à Stal le soir même sans solution, pour qui on cherche un toit.

Je pense à eux.

Agathe Nadimi

 

Photographie : Dans Paris, une place entourée d'arbres. Il fait beau. On voit un groupe d'une vingtaine personnes, probablement les réugiés du texte, de dos, portant des sacs de toutes sortes (à dos, de couchage, en plastiques, etc.) avancer vers on ne sait où.

Illustration par Agathe Nadimi