Réflexions sur le consentement, le désir et la prostitution.
Ou, pour ma liberté de ne pas être une victime.
1- Prendre la parole depuis le bas de l’échelle sociale.
Précaire.
C’est en réfléchissant à la précarité de ma situation, matériellement très inconfortable malgré une vie sociale riche et un bon niveau d’étude, que j’en viens à m’intéresser à la prostitution.
Je fouine sur le net à la recherche d’informations, de quelque chose qui ressemblerait à une liste de conseils de sécurité à l’usage des débutantes… Je pose une question sur un forum parlant explicitement du sujet : réponse immédiate, mon message est supprimé, il est interdit par la loi de donner des conseils ou des bons plans, c’est de l’incitation à la prostitution (et ça tombe sous le coup de la loi contre le proxénétisme).
En plein débats sur la loi pour la pénalisation des clients, j’entrais sans le savoir en plein cœur d’un sujet de société.
Inévitablement, cela me donne envie d’en savoir plus sur le débat, et je pars voir les « 30 arguments pour l’abolition de la prostitution » publié par le mouvement du nid.
Paroles de “putes” et paroles “d’exclus”.
La première chose qui saute aux yeux à la lecture de ce texte, c’est la méconnaissance totale de certaines réalités sociales de la part des tenants de ce discours.
Méconnaissance, voire ignorance des réalités des conditions de vie et de travail des travailleur.se.s du sexe d’abord, et même négation de l’extrême diversité des pratiques de prostitution, ce que démontre très bien le STRASS.
Méconnaissance, voire ignorance des réalités des conditions de vie et de travail des précaires ensuite, dont je pense être assez bien placée pour pouvoir parler en mon nom. Lorsqu’on me dit que les prostituées ne feraient pas ce qu’elles font si elles n’avaient pas de difficultés financières, moi je me dis que beaucoup de gens que je connais ne feraient pas ce qu’ils font s’ils n’avaient pas de difficultés financières !
Lorsque l’on me dit que la prostitution est « une négation de mon droit à vivre libérée de la précarité et de la pauvreté » je me dis qu’il ne faut vraiment avoir aucune idée de la vie d’un allocataire des minimas sociaux pour croire que cette négation a un rapport avec la prostitution !
Et moi, j’ai du mal à accepter que l’on vienne parler pour moi…
« Et nous pensons que les personnes prostituées sont douées de compétences plus profitables pour la société comme pour elles-mêmes. »
Je trouve inadmissible que des gens se sentent en capacité de venir me dire ce qui est bon pour moi sans rien connaître de ma réalité.
Pourquoi si moi, et ça n’engage que moi, je trouve ça plus profitable d’avoir des rapports sexuels pour plusieurs centaines d’euros de l’heure que de travailler à l’usine ou faire des ménages pour un SMIC, on entendrait m’expliquer que je ne sais pas ce que je dis ?
Et puis, je réalise que de toutes les activités que j’ai acceptées ou envisagées de faire pour gagner de l’argent, c’est bien la première fois que l’on m’incite à m’interroger sur les répercussions de l’activité choisie sur ma santé physique, psychologique et psychique…
Il y a des choses qu’il ne faudrait pas vendre.
Pas grand chose du point de vue d’un précaire, puisque son temps on peut, ses loisirs, sa santé, son équilibre psychique, sa vie familiale, j’en passe. Tout ça on peut accepter de le sacrifier pour un boulot… Mais la sexualité…
Et peut-être pourrais-je trouver ça plutôt sympa qu’on s’intéresse à mon sort pour une fois, si ça n’était pas dans le même temps la seule activité qui ait un taux horaire pareil !
Si j’avais l’esprit mal tourné je pourrais me demander si on ne veut pas m’empêcher de m’enrichir trop vite !
Pourquoi je ne dois pas vendre “ça” ?
J’aimerais donc comprendre pourquoi cette possibilité m’est refusée d’une façon si catégorique.
Car une lecture rapide permet de comprendre immédiatement que ce ne sont pas les conditions d’exercice de l’activité qui sont ici visées, mais bien l’acte en lui même, détaché du contexte.
Sur ce point les positions du STRASS me laissent d’ailleurs penser que si une volonté d’amélioration des conditions de travail des personnes prostituées existait vraiment elle se manifesterait par tout un tas de mesures beaucoup plus efficaces concrètement.
Dans cet argumentaire (comme dans les positions de beaucoup de gens que je connais qui sont pourtant opposé.e.s à une loi visant à pénaliser la prostitution, ses travailleurs ou ses usagers, ayant conscience que ce n’est qu’un moyen supplémentaire de précariser les travailleur.se.s du sexe) une idée revient sans cesse : échanger de l’argent contre un moment de sexualité est en soi une violence faite aux femmes.
Et vraiment, m’approprier cette idée m’est impossible.
Me dire que parce qu’un homme me donne de l’argent pour un moment de sexualité cela fait de moi une victime et de lui un agresseur, je n’arrive pas à comprendre.
2- Désir et consentement.
Désir et sexualité.
L’idée est pourtant simple : la violence viendrait du fait que l’échange sexuel n’est pas basé sur le désir mutuel. En niant le désir de l’autre, le client commettrait un acte qui relève quasiment, ou complètement, du viol.
Et là, je me demande une chose : qui peut affirmer que le désir pour l’autre est la seule chose qui guide la sexualité ?!
Qui n’a jamais accepté d’avoir un rapport sexuel sans avoir vraiment de désir ?
Continuer de dire que d’autre part, dans tous les autres aspects de la sexualité et de la vie, le désir sexuel est notre seule motivation me paraît faux et dangereux.
Il y a tout un tas de raisons qui font qu’on accepte une relation sexuelle, des raisons plus ou moins bonnes pour soi-même.
Parce que c’est moins compliqué que de discuter, parce que ça facilitera une discussion compliquée à venir, parce que ça nous mettra de bonne humeur, parce que ça sera marrant à raconter…
Dans la même logique, nous refusons certaines relations sexuelles alors que le désir pour l’autre est présent, et je ne crois pas que ce soit une mauvaise chose.
Le fait que l’on accepte d’avoir une relation sexuelle pour une autre raison que le désir pour l’autre ne fait pas de cet acte un viol. Que l’on nous impose une relation sexuelle que nous refusons en est un, même si on a du désir.
Le désir, l’envie, que nous prenons en compte lorsque nous décidons de nous envoyer en l’air avec quelqu’un, ou bien de ne pas le faire, n’a pas uniquement à voir avec l’attirance pour l’autre, c’est un ensemble d’éléments auquel nous réfléchissons rationnellement.
Et c’est tant mieux !
Violence et sexualités.
Mais mon désir sexuel, celui qui chatouille le fond de mon ventre, se trouve lui aussi heurté par les arguments abolitionnistes, et il me semble qu’il s’y fait un sérieux amalgame sur les questions de violence.
Revient beaucoup l’idée qu’avoir envie, à des moments, d’une sexualité violente, ou proche de l’imaginaire pornographique, tournée vers soi, utilisant le corps de l’autre pour son propre plaisir, serait mauvais et masculin.
Les mêmes gens qui disent vouloir « une société où ne seraient plus ignorés le désir et le plaisir au féminin », qui veulent me permettre d’accéder à l’expression de mon propre désir, renvoient mon imaginaire intime d’une sexualité violente à quelque chose tenant plus de la pulsion masculine et nient mon droit à avoir envie de certains types de sexualités.
Qu’on me dise que si quelqu’un veut, dans le cadre d’un jeu dont les règles sont fixées à l’avance, utiliser mon corps afin de satisfaire un plaisir d’ordre sexuel, c’est insupportable, ça m’interroge.
Je savais déjà que ma sexualité n’était pas décrite dans les magasines féminins, qu’elle était considérée comme “masculine”.
Soit.
Moi je ne demande à personne de comprendre, juste de ne pas me l’interdire.
Mais je peux être rassurée, mes pratiques farfelues ont une place, ces pratiques sexuelles existent, et personne n’entend les interdire.
On me le dit au mouvement du nid d’ailleurs.
« La prostitution intègre toutes les pratiques sexuelles et ne se distingue que par son caractère marchand. La sexualité hétéro, gay, trans, SM existe dans, et en dehors de la prostitution et continuera d’exister dans une société sans prostitution. »
Les abolitionnistes n’entendent pas nier les sexualités “hors normes”.
Les précaires peuvent-elles avoir le même accès au consentement que les riches ?
Donc, je résume : je peux avoir envie de m’envoyer en l’air avec tout un tas d’hommes, même moches ou pervers. Dans tout ça, on ne jugera pas si mon envie part de « bonnes » ou de « mauvaises » raisons, on considérera que c’est à moi et à moi seule d’en juger, et c’est l’assurance de mon plein consentement qui fera que quelle que soit la pratique mon partenaire n’est pas un agresseur.
Donc, j’ai le droit d’avoir envie de faire tout un tas de trucs bizarres, du moment que c’est pour mon bon plaisir et gratuitement ?
À l’instant où j’accepte de l’argent dont j’ai besoin, quel que soit le contexte de l’échange, je deviens victime, et mon consentement devient quelque chose de secondaire.
Les arguments abolitionnistes ont pensé à moi et à mes questionnements quant à la limite de l’exercice de mon consentement.
Et là se confirme bien que le truc est horrible en soi, tellement horrible que si je l’accepte c’est que vraiment ça ne peut être que dans un désespoir immense.
Et dans le cas où j’ai eu recours à toutes les autres pratiques sexuelles autres que « l’acte prostitutionnel », notamment une indifférence quant au physique de mon partenaire, cela implique que c’est vraiment la présence de l’argent qui rend le truc insoutenable.
Bon, j’ai bien l’impression qu’à la limite, si je pouvais dire que je suis riche et n’ai pas besoin de cet argent, que c’est un jeu, une sorte de fétichisme où l’argent ne serait qu’un élément érotique… Bon là, ça passerait sans doute.
Mais dans mon cas, vu que je ne suis pas riche, l’argent me ferait perdre ma capacité de discernement.
C’est quand même complètement dingue qu’une telle démonstration passe si bien !
On vient m’expliquer que, moi, en tant que femme pauvre, je ne suis plus capable de dire oui ou non à une pratique sexuelle dès qu’on me met un billet dans la main !
Au moment où je prends l’argent, mes repères personnels, jusque-là valables, ne comptent plus : je franchis un pas, quelque chose sur lequel je ne pourrais jamais revenir et je n’en ai même pas conscience.
À ce moment-là, je vais renoncer à quelque chose que je ne pourrais plus jamais récupérer. Tiens, c’est comme de vendre un rein !
3- Vendre mon corps ?
Comme je ne comprends toujours pas bien ce qu’il y a à perdre, je décide d’essayer, pour voir ce que ça fait, pour voir ce qu’on ressent.
Mon corps n’est pas à vendre, merci je le garde.
Et comme je le pressentais, je n’ai rien ressenti qui ressemble à une agression dans ce type d’échange basé sur la présence de l’argent. Jamais je n’ai eu l’impression que l’argent enlevait quelque chose à ma possibilité d’accepter ou de refuser une pratique.
Il est donc possible de poser des règles claires, et qu’elles soient respectées. Il est possible que l’interaction soit basée sur le respect de mon consentement explicite.
Si mon consentement est respecté, je ne me sens pas agressée ou salie.
J’avais envie de le faire pour des raisons qui m’appartiennent, et que mon envie ne soit pas basée sur le désir pour le corps de mon partenaire ne fait pas de lui un agresseur.
J’ai envie de le faire et que les raisons pour lesquelles j’en ai envie ne soient pas la satisfaction d’un éventuel besoin ou désir sexuel ou érotique ne fait pas de cet acte une mauvaise chose. Je ne me suis pas sentie salie, en fait c’est même pire que ça.
J’ai réalisé que ce type de rapport sexuel n’avait pas grand chose de différent de tout un tas d’autres que j’ai pu accepter dans ma vie, à part que là, j’avais vraiment le sentiment de savoir pourquoi je le faisais : l’argent.
Et que malgré sa présence, mais aussi et surtout en raison de toutes les autres conditions de la rencontre, mon partenaire, mon client, pouvait être assuré du fait que « j’en ai envie ».
Ce qui n’était vraiment pas le cas de beaucoup de types avec qui j’ai couché dans des moments d’ivresse avancée en me demandant bien ce que je faisais là.
J’ai réalisé que dans bien d’autres circonstances les raisons de mon consentement tenaient plus sur le fait que je n’osais pas dire non, ou que je n’avais pas l’impression d’en avoir complètement le droit, que sur n’importe quelle autre raison liée au désir ou à l’envie. Et ça m’a souvent paru bien plus violent et plus traumatisant…
Le droit à ma possibilité d’être consentante.
Arrivée au bout de ma lecture attentive, je constate donc deux choses.
- La sexualité est vraiment le seul domaine de tout ce qui touche à l’intime dont on considère qu’il serait mauvais d’échanger quelque chose sur le marché du travail.
- L’argent est le seul élément pouvant remettre en cause ma capacité et mon droit de consentir à une pratique sexuelle.
Si le premier point ne me parait pas très pertinent, le second par contre me choque et me bouleverse.
Que l’on me refuse ici mon droit à consentir me paraît extrêmement dangereux.
Soudain, dire que j’en ai envie ne suffit pas. Et c’est dangereux parce que, dans un même élan, celui qui remet en question mon consentement parce qu’il juge que mon désir n’est pas assez légitime à ses yeux, peut alors venir limiter l’exercice de mon consentement s’il considère que, malgré mon refus, mon désir lui parait réel et manifeste.
Je trouve ça tout aussi dangereux de dire « elle dit en avoir envie mais c’est faux » que de dire « elle dit qu’elle n’en a pas envie mais c’est faux… ».
Je suis la première à dire que l’on se retrouve parfois en train de dire qu’on en a envie alors que c’est faux, et j’aimerais bien qu’on essaye plutôt de m’apprendre à reconnaître lesquelles de ces raisons risquent de me faire du mal plutôt que de les décider pour moi.
4- Vers une réflexion collective ?
Je n’entends pas convaincre les partisans d’une abolition de la prostitution, ni d’ailleurs convaincre qui que ce soit. J’invite simplement à s’interroger celles et ceux qui, partisan.e.s d’un monde plus égalitaire et plus humain, continuent de croire que faire commerce de prestations sexuelles constitue en soi une violence faites aux femmes ; je les invite à réfléchir à la portée de leur raisonnement.
En matière de sexualités, l’idée que chacun.e devrait s’en tenir à un consentement explicite de l’autre doit être au cœur de notre tentative de réflexion. Le droit pour un individu de dire OUI comme de dire NON à une pratique est la chose à laquelle nous devrions tenir le plus.
Personne ne vous demande, si vous n’en avez pas envie, de comprendre pourquoi des personnes ont recours, dans un sens ou dans un autre, à une sexualité tarifée.
Personne ne vous demande de participer à tous les trucs bizarres que constituent le champ des possibles de la sexualité entre adultes consentants, et personne ne vous demande de comprendre à ma place ce dont moi j’ai envie.
Ce que je vous demande c’est de ne jamais oublier que refuser à l’autre sa capacité à consentir est en soi particulièrement violent. C’est ça l’extrême violence et la mise en danger.
Ce que je vous demande, c’est de vous préoccuper un peu plus de toutes les raisons qui nous empêchent de dire non dans toutes les sphères de la sexualité, car il me semble que ces raisons sont nombreuses, et que c’est là où se trouve bien souvent la violence.
Lau

Aquarelle : sur fond vert foncé, une femme blanche nue avec un carré brun, visage vierge à l’exception de sourcils bruns et lèvres rouges. Une main sur la hanche, tétons rouges. Est écrit en noir sur son corps blanc : “Sex Work is work”. Une tierce main cache son pubis avec trois billets noirs sur lesquels on lit le logo de l’euro en blanc.
Illustratrion par Zèbrurbain
[…] Leo Serge et Nina Kirmizi Le 12 juin le tribunal correctionnel de Lille a acquitté Dominique Strauss-Kahn, ainsi que Dominique Alderweireld et Béatrice Legrain, tous accusés de proxénétisme dans le cadre du procès Carlton. « Une sexualité plus rude. Collège Montaigne : faut-il interdire les portables ou (enfin) éduquer les garçons ? Laisse pas traîner tes fils. RÉFLEXIONS SUR LE CONSENTEMENT LE DÉSIR ET LA PROSTITUTION. […]
[…] Un harcèlement institutionnalisé, les prostituées chinoises et le délit de racolage public. La commission citoyens – police – justice, composée de représentants de la LDH, du Syndicat des avocats de France et du Syndicat de la magistrature, a été créée en 2002. Elle a pour mission d’enquêter, sur saisine des citoyens, sur les rapports entre ces derniers et les forces de l’ordre, ainsi que sur le contrôle et le traitement de ces rapports par l’institution judiciaire. La commission a ainsi mis en évidence les objectifs réels de l’infraction de racolage public, à savoir « préserver » l’espace public de la prostitution et mettre en oeuvre une politique migratoire centrée sur la lutte contre le séjour irrégulier, un nombre important de prostitué-e-s étant des étranger-ère-s en situation irrégulière. La commission préconise donc notamment l’abrogation du délit de racolage public. RÉFLEXIONS SUR LE CONSENTEMENT LE DÉSIR ET LA PROSTITUTION. […]
Très bon argumentaire. Tout à fait juste & pertinent. Bravo! Bien dit!
“Il y a tout un tas de raisons qui font qu’on accepte une relation sexuelle, des raisons plus ou moins bonnes pour soi-même.
Parce que c’est moins compliqué que de discuter”
Si dire “non” engendre nécessairement une discussion “compliquée”, c’est qu’il y a un problème ! Ca veut dire que ton “partenaire” est en réalité un agresseur et qu’il a un problème avec le consentement.
Donc, oui, il peut y avoir de la coercition sexuelle ailleurs que dans la prostitution, ce n’est malheureusement pas un scoop. Mais je vois mal en quoi ça légitime la coercition sexuelle intrinsèque à la prostitution.