Être Mineur isolé de Paris à Calais ou l’absence de tout, tout sauf le vide profond des services de protection et la force incroyable, extraordinaire qu’est l’espoir.
Donnons de l’extraordinaire là ou il n’y a rien.
Dans le vide, face à l’absence de tout, de toutes petites choses deviennent extraordinaires.
Merci pour vos leçons de vie, merci de communiquer votre espoir qui relève bien de l’extraordinaire, de la fiction dans nos petites vies ordinaires et face à l’inhumanité avec laquelle les acteurs politiques vous traitent.
Combien de temps vont ils encore contempler le vide ?
Je pense à vous, à vous que j’ai croisé sur votre longue route sur un trottoir parisien, à vous que j’ai naïvement orientés vers l’institution censée vous protéger comme rien d’autre existe mais qui m’a ouvert les yeux sur le vide.
Je pense à vous, recroisés dans la Jungle ce week-end.
Là encore, certains diront qu’il n’y a rien d’extraordinaire de vous y avoir retrouvés par hasard car vous m’aviez dit en partant de Paris que vous partiez pour Calais, itinéraire classique face au vide de prise en charge.
Vous recherchez ce qu’il y a à espérer trouver d’une ville à une autre, l’âme en peine sans même plus savoir ce que vous cherchez, mais plutôt ce que vous fuyez, avec l’espoir de trouver un peu mieux, forts d’un espoir extraordinaire face à la galère qui rythme votre parcours.
Vous fuyez le pire depuis le début de votre long périple, fuir encore et toujours… Fuir les bombes, fuir les menaces, fuir la répression, fuir votre chez vous, fuir les souvenirs terribles du massacre de vos parents, pour fuir encore, contraints et forcés votre point d’arrivée rêvé qui était Paris. Fuir la police qui vous chasse sans relâche, fuir l’injustice que le DEMIE qui est censé vous protéger, vous inflige et vous éloigne encore un peu plus de toute protection.
Allez vite ! fuyez encore ! Fuyez au péril de vos vies ! Fuyez par vous mêmes, ou la police vous considéra elle aussi majeurs et vous ordonnera de retourner là ou vous n’avez plus rien dans vos pays en guerre !
Disparaissez, comme si vous n’étiez jamais venus, où vous voulez, débrouillez vous, traversez à pied, à la nage, dans le coffre d’un camion frigorifique, dans la cale d’un ferry, fuyez là où on ne veut pas plus de vous, tentez le tout pour le tout vous qui n’avez plus rien à perdre !
Voilà ce qu’ils doivent tous se dire pour contempler ce vide et le protéger dans des barrières, des barbelés et des murs.
Encercler du vide pour ne pas le briser et le remplir, C’est un concept… Extraordinaire…
Vous, jeunes mineurs isolés souvenez vous, (avant de fuir Paris) qu’il existe des lois et un bureau d’accueil, souvenez vous de la façon aléatoire dont la grille s’ouvre ou pas rue du Moulin Joly ( et de nos “go tomorrow morning 9 o ‘clock, red cross, métro couronnes ligne 2, right right “) on vous donnera l’ombre d’un espoir, un vide masqué, parce que quand même oui , il paraît qu’il y a des lois et que ” la politique de la ville est de vous mettre à l’abri.”
Selon vos têtes et l’humeur de l’agent du non accueil qui se justifie en disant que le SEMNA, service de l’aide sociale à l’enfance demande “ce tri “, vous entrez ou pas.
Il doit en avoir marre le personnel de ce service de passer ses journées à faire des copiés / collés pour faire les lettres de refus de gamins qu’il ne voit même pas… Sur ordre de qui ?
Même quand ils ont 14, 15 ans et qu’ils peuvent le prouver ils sont refusés.
Comme doit en avoir marre la police de faire le taxi pour rien quand elle vous trouve prostrés, désespérés, en perdition dans les rues.
85 pourcents de refus de minorité disent leurs chiffres.
En 6 mois, j’en ai connu 2, et encore suite à des demandes de réévaluation.
L’un de ces 2, âgé de 14 ans, totalement traumatisé, par les scènes de violences de l’évacuation musclée du 22/7 (qui l’avait laissé sur le carreau car grillé sur sa tête de bébé que mineur mais pourtant refusé de toute protection) et qui mettait sa vie en danger tous les soirs en dévalant le boulevard de la Villette avec une carcasse de trottinette comme des s.o.s, pour exister et se faire remarquer.
Si la grille du DEMIE s’est ouverte, au mieux quelques nuits dans un hôtel … Et rien, et oui … Le vide masqué, souvenez vous.
Peut-être que oui ou que non, mais en fait non !
Je vous ai vu arriver sans rien, sans même un pull, ni même des chaussures, rien d’autre que ce que vous aviez sur vous, usés, déchirés mais espérer… et eux l’ont ils vu ? Sont ils a ce point concentrés sur le vide pour ne rien voir ?
Fuyez, fuyez vers rien, mais avec cet espoir qui vous va si bien, l’espoir plus fort que le vide, il est bien question d’un extraordinaire espoir.
Vers quoi fuyez-vous encore ?
À la recherche de quoi ?
Tout simplement, d’une main tendue qui vous donnera un peu de chaleur, de protection, de bienveillance et redonnera a votre histoire un peu d’insouciance, de sérénité d’avenir, une pause bien méritée, voir dans un monde extraordinaire, imaginaire la fin des galères, un foyer, une école ?
Et si cela était un bureau d’un dispositif accueillant d’évaluation juste et bienveillant de votre isolement et de votre minorité qui vous tendait cette première main et l’aide sociale à l’enfance la deuxième, comme cela devrait se passer de façon si ordinaire ?
Je veux trouver de l’extraordinaire car ce que je vous souhaite relève bien de l’extraordinaire dans cette situation ou l’ordinaire est devenu tragiquement ordinaire dans l’injustice totale pourtant inconcevable et inacceptable.
Dans vos yeux j’ai vu ce vide, ce vide qui en dit long… Le vide qu’ils vous renvoient si bien, mais j’ai aussi vu votre courage et votre fragilité, votre espoir et votre souffrance.
Insouciance, légèreté, adolescence ?
Venez dans la Jungle !
Vous y trouverez une mascarade au milieu de tous les vices qui lui vaut son nom, vous trouverez des gentils bénévoles Anglais pour vous faire faire des jeux, vous proposer quelques activités en journée, programme affiché sur un tableau genre club de vacances !
Ces bénévoles Anglais ont la larme facile face à tant de vide.
Bah oui c’est à pleurer, nous n’avons pas toujours été alliés mais nous pleurons ensemble pour vous, nous pleurons de honte partagée pour nos gouvernements inhumains.
Et demain, ces bénévoles feront-ils encore sautiller en ronde ces pauvres gamins ? Réussiront ils à combler le vide ?
S’ils ne sont pas morts sur la route percutés par un camion, peut-être qu’ils reviendront se changer les idées. Peut-être… Voilà ce qu’on a leur offrir face au vide de toute prise en charge, voilà ce que créée le vide, l’illusion d’un monde parfait de l’autre côté de la manche.
Combien de morts allons nous encore pleurer ensemble ?
Combien d’enfants feront le deuil de retrouver leurs frères, les cousins de l’autre côté faute de ne plus en pouvoir de risquer la mort chaque nuit ?
J’ai rencontré C. Soudanais du Darfour, 16 ans, dans la Jungle depuis un an dans un état psychologique désastreux qui dit lui même qu’il a besoin de voir un psychologue, qu’il est a bout, qu’il n’en peut plus.
Il m a raconté comment il a essayé chaque nuit de passer, ses blessures, et admet que si on lui avait proposé quelque chose ici, la France lui aurait été mais que faute de tout, il n’a pas le choix. Il attend que cicatrisent les plaies des morsures du chien de la police de la fois dernière pour retenter encore…
On sait tous que quand c’est bien, on reste.
Qu’on arrête sa route quand on a trouvé un peu de ce qu’on venait chercher, qu’on s’acclimate et qu’on devient content de ce qu’on a, des nouveaux projets, et des rêve s’installent.
Mais cela ne leur est pas offert à eux.
Pourtant, il y a bien un endroit écrit: “Centre d’accueil mineurs isolés étrangers” (sans dec’ = CAMIE 4 containers disposés en E ) mais c’est pour vous faire taper la balle une heure par jour, vous faire voir un Médecin MSF si vous en avez besoin mais voilà ça sera tout, coordonner sur le léger… FTDA est débordé, n’a plus de solution depuis longtemps mais recevra vos signalements de MSF (wahou sont polyvalents les toubibs bénévoles).
Au Même endroit, vous pourrez vous faire soigner vos nombreuses blessures de passages ratés, morsures des lâchés de chiens de la police et chanter, jouer à la balle, vous voyez la vie est bien organisée dans la Jungle !
Hypocrisie encore et encore …. Vous voyez c’est simple de donner cette impression d’extraordinaire !
Un projet de 70 lits dans un bâtiment de la vie active devait voir le jour en novembre mais avec le démantèlement est suspendu. Savent-ils que vous êtes près de 1000 ? Le projet est mort, un mur sort de terre, c’est le Nouveau projet.
Rien de gouvernemental, rien pour vous faire rester, allez fuyez !
H. a beaucoup maigri depuis qu il a quitté Paris il y a 2 mois, j’ai eu du mal à le reconnaître, il va mal.
Je n’oublierai jamais ses larmes une fois refusé à Paris, ni ce regard encore plus triste après 2 mois de Jungle. Il ne sait plus, il est un peu plus perdu. Il a 15 ans. Comme tous ses copains il est habillé tout en noir pour se donner plus de chance dans la nuit de tous les délits…
Il pense revenir à Paris, il a peur du démantèlement.
J’ai aussi recroisé G. 16 ans, il renonce à l’Angleterre, il pense aux pays bas, sans savoir à quoi ça ressemble là bas. La France de Paris à Calais, il n’en peut plus.
Il dit que la Jungle est un enfer, qu’elle lui rappelle la misère de son pays l’Éthiopie.
Combien de temps encore à contempler du vide ?
Rendre leur vie ordinaire.
Agathe Nadimi

Photo : une feuille de papier blanche chiffonnée. Dessus, au stylo feutre vert, on a écrit : ” I am a minor Child, I have the right to remind silent”

Photo : un ciel bleu. Une immense barrière de grillages devant ce ciel bleu. Des barbelés s’enroulent au sommet de la barrière de grillage. Et, tout en haut de la barrière, prise dans les boucles de barbelés, un vêtement d’enfant.
Illustration par Agathe Nadimi