Revenir auprès des réfugié·e·s après quelques semaines sans être sur le terrain = retour à la réalité.
Nous cuisinons pendant cinq heures dans une ambiance amicale, en plein air.
À 16h, nous partons distribuer trois-cent repas, à pied, tout sur un caddie.
Arrivés sur le trottoir, nous commençons à servir.
Un flic arrive et nous explique calmement que nous devons arrêter, qu’ils vont virer tout le monde, et pas le temps de les nourrir alors qu’ils ont tous et toutes très faim.
Nous décidons simplement de changer de trottoir et cinq-cent mètres plus loin, les mecs viennent discrètement chercher leur assiette.
Je repasse au point initial.
Les flics sont plus nombreux et je vois deux soutiens donner leurs noms à celui qui est déjà venu nous demander de partir.
J’observe que les autres commencent à se mettre en ligne, à pousser tout le monde vers le trottoir d’en face …
Car, comme d’habitude, les réfugié·e·s présent·e·s, hommes, femmes et enfants, n’ont pas de solution proposée.
Je vois alors une femme assise qui refuse de se lever et ce flic qui la pousse du pied et la tire par un bras.
Mon cœur s’accélère, je cours vers elle, elle me montre du doigt avec colère et fait non avec la tête.
Je dis au flic (en anglais ?!) de ne pas la toucher.
Les larmes montent aux yeux de cette femme et aux miens.
Son mari explique qu’ils ne savent pas où aller.
Il a les yeux qui brillent aussi.
Je présente mes excuses dix fois, je suis tellement désolée.
Le flic part en disant : « Allez, elle ira chialer ailleurs. »
Un jeune homme s’allonge sur le sol, en larmes, tape des poings sur le bitume et hurle, la tête enfouie dans son bras.
Les flics veulent l’attraper, on essaie de les convaincre qu’on va gérer.
Son frère, plus loin, s’embrouille avec un flic pour le rejoindre.
Je vais lui dire de se calmer, qu’on va lui ramener son frère.
Des passants s’approchent, filment, sont choqués de cette maltraitance, conscients que ces personnes sont épuisées, affamées, dans une grande fragilité.
Les flics continuent à pousser la petite foule qui ne veut pas se laisser traiter de la sorte.
Le flic n°1 vient me voir et me donne son alternative.
Je traduis : dispersion (même temporaire) ou violences et commissariat.
C’est simple.
Mais ils veulent rester tous ensemble.
Un autre jeune homme fond en larmes.
J’ai le cœur brisé.
Où aller ?
Pas de maison, pas de papiers, pas d’argent, pas même le droit à une distribution alimentaire…
Je dois partir.
Je suis triste. Dégoûtée.
Ils sont tous assis à nouveau, les flics semblent attendre quelque chose.
J’entends l’un d’eux dire avec un grand sourire : « Bon ben, y’a plus qu’à ! »

 

Mago

Photographie d’un étai métallique en sous-exposition dont s’échappent quelques fils barbelés sur le ciel bleu. Au centre de l’image : le soleil éblouissant.

Illustration par Emilie Pinsan