Je me souviens de cette journée douce, je devais avoir 20 ans. J’étais contente, je venais de quitter mon copain et me remémorais les moments passés. Je pensais à la journée à venir.

Dans le métro, dans les places à quatre, collée contre la vitre, je commence à mettre du rouge à lèvres.

Un homme monte, assez jeune. Il s’assied à côté de moi, malgré le wagon relativement vide.

Il se colle, il me regarde. Intensément. Il me murmure des choses. Susurre presque. J’entends à un moment « Oui, t’aimes ça, mettre du rouge à lèvres ».

Je suis paralysée. Je ne comprends pas ce qu’il se passe. J’espère juste qu’il descendra.

L’homme descend finalement du wagon.

Je suis rouge, terrifiée. Je tourne la tête, et dans le bloc à côté de moi, deux personnes qui observaient la scène. Au spectacle.

Depuis ce jour-là, je fais toujours attention à mettre du rouge à lèvres face à un mur.

Il y a aussi les frôlements, qui font douter. « Est-ce une main ? Un sexe ? Un sac ou un parapluie mal placé ? ». Les affreuses réflexions dans la rue, les gestes, les insultes.

Messieurs, vos prises de pouvoir sur notre corps, sur ce qu’on représente, sur la vision que vous en avez, pour tout cela je vous exècre.

Je vous exècre d’autant plus que tous ces comportements, normaux ou à la limite amusants pour vous, provoquent chez nous des réactions que certains jugent disproportionnées.

Au début, on tente d’adapter nos manières de faire.

Mais un jour, j’ai compris la représentation que vous aviez de nous. Et j’ai cessé.

Ce jour, où j’étais d’une humeur maussade, un chauffeur de bus a ouvert sa vitre et m’a hélée « Hé, mademoiselle, il faut sourire ! Vous êtes plus jolie comme ça ! ».

Tout était dit. Plus détentrice de son corps, même pas de ses pensées, une femme se doit d’être une façade en permanence, de rester jolie surtout.

Depuis ce jour, je fais la tête si j’en ai envie. Je réponds toujours aux dragues lourdes et pesantes. Je réussis à m’éloigner des mains baladeuses, sans pour autant réussir à hurler ma haine.

Je continue mon éducation contre les visqueux. Mais c’est à vous, Messieurs, d’aller en acquérir une.

 

Mathilde

 

rouge-a-levres

 

Illustration par Annalisa Cocozza

 

http://www.annalisacocozza.blogspot.fr/