Je pensais bien connaître mon corps.

Enfin, connaître l’étendue du plaisir qu’il peut me procurer, dans les grandes lignes. J’aime bien les surprises, aussi. Il y a quelques années, j’ai eu une belle surprise.

Fin d’un été fait de road trips.

Quelques jours avant, durant une escale dans un repère de flibustiers post-capitalistes près de Barcelone, l’une des résidentes m’a emballée pour la nuit. Lorsque je l’ai croisée pour la première fois, je faisais du ping-pong avec ma pote de route, elle faisait du marteau piqueur torse-nu et crête dressée, puis des expérimentations musicales avec les branchements électroniques.

On s’est ensuite posées dans l’obscurité, entre les grands murs à ciel ouvert de cette ruine d’usine en pleine forêt, on a discuté dans une langue officieuse rappelant l’Esperanto et puis elle m’a fixé dans les yeux de ses synthétiques pupilles dilatées et déterminées, a marqué une pause puis m’a affirmé, sûre d’elle, dans son anglais subversif aux courbes catalanes : « Tonight, I’ll sleep with you because I want you. »
J’avoue qu’elle m’a déstabilisée. Je sentais dès le départ une légère ambiguïté mais là, elle fût gommée en certitude d’un trait de son assurance si sexy, également aspirée plus tard par sa narine droite.

Et c’est ce qui s’est passé.

J’avais déjà fait des trucs auparavant avec une nana avant mais c’était encore différent, une histoire de plan à trois. Là juste face à elle, ce fut une seconde première fois. J’étais un peu gauche, ne sachant pas quoi faire d’un corps quasi-miroir au mien ; on se ressemblait assez physiquement, avec nos dégaines d’enfants sauvages androgynes et on possédait surtout le même organe génital.

On n’y pense pas forcément, mais c’est plutôt intéressant de changer d’angle d’exploration, de redécouvrir des cavités, des textures, des manières différentes d’y pénétrer, de tester par procuration ce qui donne le plus de plaisir d’un outil commun.

Fin d’un été fait de road trips.

 

À présent, je suis encore dans des bois, autour d’un feu et d’une maison de famille belge cossue et atypique, en forme de bateau, avec piscine. Je ne connais pas vraiment la nana dont fête un nouveau printemps en fin d’été mais je ne suis pas mécontente de me trouver là. Après avoir fait les cons à se jeter dans l’eau du bain après pas mal de verres, on embraye la seconde. Je prends un quart de psycho actif. Ça faisait longtemps. Par conséquent, j’ai très envie de sexe et un mec me plait. Mon esprit critique fait son petit baluchon et me lance, placide : « À demain couillonne ». Je deal avec moi-même le temps de déployer une tente Quechua et me dis : « ok, à l’abordage ! ». On s’emballe.

Et puis s’éclipse dans une mini chambre-cabine. La nana nous avait dit : « Surtout, faites attention aux draps, ne défaites pas les lits, ne touchez à rien dans les chambres. »
Mes souvenirs, dès lors, sont plutôt diffus mais à un moment, le gars, dans cet espace exigu, après m’avoir pas mal excitée, me doigte intensément, sous un angle assez étrange, du genre avec deux doigts en crochet, du vagin vers le bas-ventre et en va-et-viens puissants, sa paume s’emboitant sur mon mont de Vénus. Des salves de chaleur, des vocalises de plaisir impossibles à étouffer qui deviennent rires nerveux et geignements, des soubresauts qui virent en tremblements, une sensation de perte de contrôle ornée de confiance en moi-en mon sex-appeal-en mon plaisir-au sien- à nos corps qui interagissent et je meurs de soif merde et puis… Une puissante giclée, une flaque tiède et douce sur les draps immaculés et sous mes fesses. Confusion. Ce n’est pas normal. Quelque chose m’a échappé. Ça me réveille de ma torpeur chimique. Que s’est-il passé au juste ?

Bonjour. J’ai ressenti un nouvel orgasme inconnu au bataillon qui se traduit par un jet liquide puissant expulsé par mon vagin, à plus de 30 ans. Okay.

Contrairement à mon pote l’orgasme clitoridien que je connais bien, celui-ci en termes de plaisir avait une montée en puissance et une intensité différente, plus diffus, moins concentré sur un bref instant T et ne nécessitait pas le soutien de mon imagination et de ses fantasmagories bien rôdées pour arriver à imploser. Malgré le trouble, je vois mon partenaire de méfaits très excité par l’émanation physique de mon excitation à lui. Il semblerait bien que les rôles aient été piratés… Et que les draps en soient un rien ruinés.

Il est devenu mon amant régulier du week-end. Comme Jesse Pinkman et Walter White enfermés dans un camping-car, nous avons méthodiquement et bordéliquement exploré les recoins les plus ultimes de cette nouvelle fonctionnalité ludique, jusqu’à ce que la pratique en devienne bizarrement monomaniaque.  Avec lui, cela fonctionnait systématiquement. Le squirt était devenu son fetish et j’en étais devenue l’outil. J’ai finalement mis un terme aux explorations expérimentales de mon plancher pelvien, ça devenait un peu weirdo et mon esprit critique avait repointé son nez. J’avais envie d’une base relationnelle plus solide que liquide.

 

Depuis, quatre ans de relations variées et quelques tentatives infructueuses avec des partenaires de confiance, j’ai focalisé sur d’autres pratiques, laissant celle-ci à bâbord. Et puis récemment, j’ai décidé de lâcher le concept d’exclusivité relationnelle.

Dans ce contexte libertaire, j’ai rencontré un mec vraiment chouette – qui lui aussi a plusieurs partenaires – ouvert et positif question sexe. Très vite, nous sommes devenus ami-e-s/amant-e-s régulier-e-s infidèles plutôt fidèles. À chaque fois avec lui, les interactions sont simples et fluides, c’est le moins que l’on puisse dire.
Vous savez, cette sensation, la première fois que des corps s’imbriquent et se rencontrent et paraissent déjà se connaitre et s’adorer sans la moindre répulsion sensorielle. Une attraction qui tombe sous le sens. La communication est décomplexée. Pas d’enjeu d’exclusivité, pas de rôle à jouer ni de peurs d’être trompé-e. Le sexe devient joyeux, léger, intense, sans retenue ni limite particulière. Il me dit ouvertement ce qu’il aime et je fais de même. Le genre de mec avec qui tu peux tester beaucoup de choses, réussir ou te foirer sans craindre le moindre jugement si ce n’est de l’enthousiasme et au pire, une bonne marrade.

Assez vite, je lui fais part de ce petit truc et du fait qu’un seul partenaire soit parvenu à le déclencher. Ses yeux pétillent. Il accepte le challenge. La première fois, je le guide, pas à pas, doigts à doigts. Je me sens en confiance. Très vite, il saisit l’idée avec dextérité.

Wow. Ce plaisir matérialisé en vague tiède se répand à nouveau en tsunami. Je lui lance : « Hey, moi aussi je peux te tartiner mon plaisir tout partout ! » On rit.

Depuis, avec lui, le squirt est quasi-systématique. D’ailleurs, je gicle plus systématiquement que lui. Il y accorde davantage d’importance. Un soir d’ivresse et d’exaltation, il se contente de me renverser sur le lit puis de me pénétrer par coït sans de longs préalables et là, surprise, une marée tiède l’engloutit rapidement. Cela le rend un peu fou de ne même pas avoir à utiliser la technique des doigts. Il tente alors plusieurs autres assauts maritimes. Ce soir-là, j’ai renoncé à compter au bout de cinq inondations de mon matelas. Dans un état presque second et extatique, je me suis demandée quelle quantité de liquide cette petite fiole mystère interne contenait.

Ensuite, C’est la gradation. Avec de plus en plus de maitrise, nous finissons à parvenir à éjaculer/squirter mutuellement au même moment.

Et puis un soir, il y parvient, je perds tout contrôle :  je jouis du clito et jouis en squirtant du vagin, simultanément. Mon corps entier tremble d’une sensation intense incommensurable. Je serre son corps de mon plaisir un long instant, le mien parcouru de soubresauts, les deux trempés et mon esprit totalement hagard. Je ne sais plus si je peux libérer davantage d’endorphines à un même instant.

Au détour d’un échange sur Messenger, je le questionne : ses autres partenaires précédentes et actuelles ont-elles les mêmes réactions ? Comment les gèrent elles ? Est-ce qu’elles apprécient cette perte de contrôle ? Je suis surprise de lire que malgré les mœurs assez débridées, la plupart d’entre elles ne sont pas à l’aise avec le squirt. Si c’est déjà arrivé au moins une fois à chacune, c’est plutôt la gêne qui a dominé leur réaction. Le contrôle est difficile à lâcher. Le rôle social sous-jacent acceptable des femmes au lit n’est peut-être pas forcément celui de se répandre sur l’autre ?

 

Si, en guise d’introduction à ce témoignage, j’ai évoqué cette brève aventure avec une nana, c’est qu’elle a participé à ma prise de conscience : ce mécanisme peut-être déclenché par toutes, à condition d’arriver à accepter sereinement une sorte d’affranchissement transgressif mental, en plus du mécanisme physique en lui-même.

C’est un mélange de dextérité mécanique, de connaissance de soi, de conscience de l’autre, d’adéquation corporelle, de plaisir partagé, de déblocage social, de totale détente et de confiance mutuelle. Une alchimie qui tombe ensuite sous le sens.

 

À présent, d’autres amants parviennent à me faire venir ainsi. Je n’ai pas encore essayé de tester seule. Je n’en éprouve pas forcément le besoin. I can do it alone but doing that together is lavish too !  Je me sens bien, moi, mes amants sous-marins et ma chatte subaquatique.

 

C.D.

 

Image numérique représentant des cascades nocturnes illuminées de rose. Elles sont entourées d’un cadre au motif antique, de yin-yang à droite et à gauche dont coulent les même trois gouttes bleues de plus en plus petites, en dessous desquelles on trouve, toujours en miroir, un dauphin sortant d’un anneau bleu. Au centre en bas, entre les deux dauphins, de gros diamants. Au-dessus d’eux, une phrase en idéogrammes bleus, gris et verts. Le tout dans un esprit très kitsch.

Illustration par C.D.