Je ne sais pas si c’est parce que je suis fille de dentiste, mais les belles dents sont ce que je regarde en premier.
À la vue de son sourire, un doux frisson m’a parcourue. Des dents blanches, alignées comme les touches d’un piano sans dièse ni bémol. Parfaites. Posées sur des lèvres fines. Cette vision dure depuis quelques secondes et je meurs d’un désir ardent de lui tendre n’importe quelle partie de moi pour être marquée de sa bouche.

Il fait son petit tour dans l’exposition. J’observe sa stature de loin. Il est un peu plus grand, avec un léger embonpoint. Il n’est pas particulièrement beau, mais il a un charme tellement intense. Je vais le voir au bout de dix minutes pour lui demander s’il est un étudiant. C’est un professionnel. Il fait le même métier que je suis censée faire une fois mon parcours fini. Je devise avec lui mais des pensées inavouables défilent dans mon esprit. Ses dents, bordel ! J’ai envie de lui proposer une fois le vernissage fini d’aller prendre un verre, et de finir la soirée chez moi dans un mélange de saveurs humaines. Non, non, ce n’est pas bien… Je crois sentir une goutte de cyprine s’échapper de moi. Et nous parlons de techniques, d’expériences freelance, de clients. Malgré moi, je ne peux m’empêcher de jouer le jeu de la séduction. Je fais mon plus beau sourire et j’ai ce tic idiot de me toucher les cheveux. Intérieurement, je prie pour que l’analyse comportementale ne soit pas sa seconde passion. Sinon, il est clair que je suis grillée. Mais je reste professionnelle jusqu’au bout lorsque je parle travail. Question d’éthique, je suppose. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir une batterie d’images un peu trop plaisantes qui fleurissent dans ma tête. Ce fantasme un peu éculé de prof, d’élève et de cours particuliers. Je imagine en train de me prendre pendant que je travaille en me regardant en face, avec ses yeux rieurs et son impeccable sourire. Je l’imagine me mordre pendant que je passe mes griffes dans ses cheveux. Putain, je veux ce visage entre mes jambes, mes seins, mes lèvres. Étrangement, je réalise que je suis étonnée de la capacité de mon cerveau à tenir une conversation professionnelle tout en fantasmant sur mon interlocuteur. S’il savait tout ce qui me passe par la tête…

On s’est quittés au métro et, non sans plaisir coupable, je savoure ce contact physique. Je n’aurais sûrement jamais le plaisir de sentir la caresse de son émail sur la courbure de ma mâchoire. Il n’en restera qu’une pulsion au plus profond de mon âme que les Dieux me pardonneront peut-être.

Pulp

“Dessin à la craie grasse: Fond blanc Une femme à la peau rouge et aux cheveux longs noirs et bleus. Elle a l’air de flotter dans l’air. Yeux fermés, visage neutre. Une bouche est à la place de son sexe. Ses dents mordent sa lèvre inférieure d’envie”

Illustration par Lola Parrot