Ma première IVG était très bizarre, ça s’est très bien passé techniquement, mais rien ne s’est passé comme ce que mes proches voulaient à tout prix voir se produire : ils se préparaient à ce que je m’effondre dans leurs bras à tout instant. Parce que je n’avais pas hésité une seconde, parce que je n’avais pas pleuré, parce que je m’étais renseignée sur ce qu’était un embryon d’après la science, parce que je voulais poursuivre mes activités normalement en attendant l’IVG.
Eux, ils voulaient “me protéger”, “me prouver qu’ils étaient de mon côté”, “pour le choix”, “dans le respect”. A condition que je n’en parle à personne, que je me confesse beaucoup à eux, que j’ose pleurer devant eux. Mais je n’avais pas envie. C’était inconcevable.
Cela a fini par me mettre beaucoup la pression :
“Tu te mens.”
“La mère en toi hurle, c’est sûr enfin…”
“Après tout on est fait pour ça, c’est l’animal en toi qui souffre, c’est sûr. Pourquoi tu ne veux pas te confesser ?”
“Bien sûr que je suis pour le droit de choisir, mais tu te rends compte qu’il a un CŒUR qui BAT ?”
Et j’en passe et des meilleures. Les arguments scientifiques, les sources sur le fait que c’est un amas de cellules froides, sans pensées, sans sensations, complètement dépendant de mes propres chairs comme une dent de sagesse ou autres appendices inutiles et potentiellement très gênants, les accumulations de preuves de sincérité de ma part n’y faisaient rien.
Je ne suis franchement pas sûre aujourd’hui encore que mon entourage ait été bienveillant. J’avais 20 ans et j’étais très immature, c’est quoi cette manière de punir les femmes comme des enfants ? Sans arguments, juste par l’injonction à la tristesse ? Au repentir ?
Vous répèterez 666 fois à qui voudra bien l’entendre que vous ne recommenceriez pour rien au monde. Que vous n’êtes pas de “ces femmes là”, qui prennent l’IVG pour une contraception.
Est-ce que ces femmes existent vraiment ? Pourquoi m’avoir constamment opposée à “pire” ?
“Fais attention avec ton militantisme, à t’entendre tu serais pour faire de l’IVG un contraceptif vu que “c’est pas grave”…”
Je déteste que des amies “féministes” adoptent pour stratégie de créer et désigner des femmes pires qu’elles, dépossédées de moyens de s’informer en 2016, et sans “preuves” qu’elles “respectent” leurs corps. Tous les mots de soutien que je recevais étaient fondés sur le sexisme le plus gras. Et je n’avais pas mon mot à dire puisque “forcément pas objective face à cette TERRIBLE expérience”.
En 2009, avorter avec le soutien de ses proches, c’était ça.
3 octobre 2016, pendant que les Polonaises s’organisent pour la marche, je suis à l’hôpital pour mon deuxième avortement.
La loi qui rembourse l’IVG à 100% même aux femmes majeures, et la suppression du délai de réflexion obligatoire de sept jours a officiellement sauté. Ça a fait parler les chaumières et beaucoup de femmes concernées se sont enfin senties légitimes de se réapproprier la parole contre la vague anti-choix/LMPT. Mon entourage a eu le temps de ressasser la dernière fois, ils ont tous réagi sans pathos, et si j’avais peur, j’ai finalement reçu de simples vrais mots gentils. J’arrive complètement à continuer ma petite vie en attendant l’intervention, seul les vomissements tous les deux jours me rappellent ma condition physique. J’ai tout de même tendance à oublier que je suis enceinte quand je mène mes activités. Plus personne ne me force inutilement à me projeter avec un rejeton qui-m’encombrerait-et-aurait-fait-encore-plus-éclater-ma-vie-de-moyenne-classe-devenue-SDF-mais-que-j’aimerais-quand-même, parce que j’ai juste choisi de sortir cet amas de cellules de moi. Je me sens entourée, et de gens sincères et au clair avec les sources de leurs convictions, cette fois.
Et les mondes futuro-parallèles où j’ai laissé faire la nature comme une pauvre vache fermière qui fascinent plus ces allumés de “Survivants” que la réalité du présent, que notre prise sur l’avenir, que nos choix possibles, du fait de tirer profit des connaissances qu’on a du corps et de la vie (hou le défit à Dyeu çafépeur), ils sont loin de moi.
Les gens qu’étaient mon entourage il y a sept ans et qui avaient encore des doutes ne sont pas tombés dans les pièges de ces illuminé-e-s. Ça aide toujours les mentalités à évoluer que le gouvernement fasse preuve de raison ! (Et c’est rare putain, alors apprécions !)
Mais il faut se méfier des minorités bruyantes qui choisissent de reculer quand le reste du monde avance, en tentant d’emmener le reste du monde avec eux.
Genre, en répandant l’obscurantisme via la création d’un jeu “Pokémon” sur smartphone, voguant sur la vague de PokémonGo. Public ciblé : les enfants.
“Vas-tu laisser naître Pikachu ou priver le monde de cet ami de tous ?”
Ou encore la récupération du slogan “moncorpsmonchoix”. -> Pour protéger “le choix de le garder”, hahahahahahahaha !
Ça me rappelle l’interview de cette pauvre cloche sur le site des Inrockuptibles : la pseudo-féministe expliquait qu’elle militait parce qu’elle trouvait choquant que dans le parcours d’IVG, on ne croisait selon elle jamais la moindre suggestion de garder l’enfant.
Alors je vais te raconter comment ça marche depuis même AVANT que les lois françaises ne se mettent à jour, et maintenant encore :
Déjà avant tu avais l’imposition du délai de sept jours de réflexion qui était obligatoire. Je t’avoue qu’on m’a évité, le premier coup, cette attente de torture obligatoire vécue comme une bête punition quand ton entourage te fout la pression, et que tu souhaites juste que tout le monde passe vite à autre chose avec toi.
Mais jadis et aujourd’hui encore, après avoir fait toutes les étapes obligatoires du parcours d’IVG, après la prise de sang, l’échographie de datation, le choix de la prochaine contraception avec la gynécologue, la mise au point de l’anesthésie avec l’anesthésiste (hooooo !), tu as un dernier rendez-vous obligatoire avant l’Intervention : Le rendez-vous avec la psychologue option conseillère conjugale. Et ouais ma gueule, on respecte encore l’institution du mariage même dans le public, l’État, contrairement à ce que vous vous égosillez à dire par manque d’indignation, parce que les faits, on a pigé que ça vous intéressait bof-bof.
Ces femmes sont merveilleusement bien formées : Elles te tirent les vers du nez sans jamais faire une formule de phrase qui suggère une réponse particulière. Puis elle va se taire et tu vas combler toute seule le silence, vider ton sac. Je soupçonne qu’un critère de recrutement bonus consiste à favoriser celles qui savent te tirer des larmes et faire remonter les pires choses de ta vie d’un simple regard qui te fait chavirer dans la confidence. Une psy quoi. Si t’arrives à dépasser cette étape en étant toujours pas 100% en accord avec toi-même et ton choix final, t’es un robot.
Et quand bien même après cela ! Tu as passé tous tes rendez-vous préparatoires et la prochaine fois que tu sortiras de chez toi, ce sera pour l’IVG elle-même. Tu as un paquet de feuilles qui te rappellent comment te préparer, et la feuille la plus importante, c’est celle avec les deux comprimés de Cytotec accrochés dessus.
La première ligne en police taille douze-mille soulignée :
SI VOUS ÊTES SÛRE DE VOTRE CHOIX :
Suivi de comment prendre le médicament, et à quoi sert-il. Plus d’infantilisation, des explications claires.
Jusqu’au dernier moment, en toute connaissance de cause, c’est toi qui va faire seule chez toi le geste qui va enclencher le début de l’IVG. Le retour en arrière n’est pas évoqué sur la feuille car cela peut compromettre la poursuite de la grossesse, c’est clairement expliqué par le gynécologue, puis rappelé sur la feuille.
Alors que les opposant-e-s aux choix argumentent qu’on est dans une société où on est “incité-e-s” à avorter, ça me fait bien rire. Ils confondent vraiment respect et condescendance, ou plutôt, ils parlent avant de se renseigner, de s’investir. La dame a même écrit un bouquin là-dessus, putain.
Pour ma part j’ai vidé mon sac sur tout ce qui n’allait pas dans ma vie, et ça m’a fait un bien fou. La psy a conclu qu’avorter ne faisait pas partie des choses qui allaient mal dans ma vie, elle a validé que c’était un choix pleinement conscient et réfléchi de ma part et de celle de mon compagnon, sans pression aucune de la part de l’entourage. (Elle a aussi pris soin de tirer les vers du nez de mon conjoint de la même manière, sans nous tendre de piège, sans nous donner un conseil au pif sans rien connaître de nous avant de nous laisser nous exprimer.) Et à la fin du rendez-vous, puis en passant me voir après l’intervention, elle m’a re-dit que si contre-coup il y avait, je pouvais toujours la recontacter. <3
Avec ce qu’il s’est passé en Espagne puis en Pologne, et avec ce genre d’articles de désinformation sur des détails essentiels pour saisir les enjeux moraux et scientifiques d’un sujet qui touche 1 femme sur 3 (bordel !) par des gens dont les journalistes légitiment la parole “parce qu’ils ont écrit un livre dessus”, tout ça prouve que veiller sur le maintien de nos droits et militer, chacun-e à sa manière, même juste en en parlant, est toujours non seulement efficace, mais nécessaire.
J’ai même entendu deux amis trentenaires pourtant pas bêtes me dire “mais si c’est la deuxième fois que tu avortes, il faut vraiment que tu fasses très attention, tu vas finir pas devenir moins fertile…”
Alors si on faisait encore ça à l’aiguille à tricoter les cocos, ouais, ce serait vrai. Mais l’IVG est une une opération si bénigne et facile à mener à bien qu’on ne l’apprend QUE si on bosse un jour en maternité, et on ne l’apprend que sur le tas, pour vous dire. Si on laisse la tâche à des newbies, c’est pas punitif, c’est que c’est vraiment sans suite sur la santé de la femme. Il est même beaucoup plus dangereux de mener une grossesse à terme. ça en bouche un coin hein ? Demandez à votre médecin.
Pire que les potes niveau retard d’information : la généraliste vers qui je suis allée en premier ainsi que la gynécologue elle-même n’étaient pas au courant de l’annulation du délai obligatoire de sept jours, alors qu’il est interdit depuis janvier 2016. La généraliste m’a dit que quand ce genre de changement arrivait, tous les généralistes recevaient une notification. Celle-ci n’a apparemment pas fuité…
Et je vous en passe et des meilleures sinon je vais vous pondre un roman.
Alors on continue d’ouvrir sa gueule pour couvrir le brouhaha des grenouilles de bénitiers, et on arrête de croire que les femmes qui avortent sont de pauvres petites choses atténuées qui ont besoin qu’on les protège d’une vie meilleure, s’il vous plaît.
Et n’oublions pas les ami-e-s : Ceux et celles avec qui c’est le plus utile de discuter, ce ne sont finalement pas les illuminé-e-s anti-choix. Ce sont les pro-choix qui ne savent pas trop pourquoi. Parlez-leur avant que les “Survivants” ne le fassent. A travers des jeux d’enfants, en plus. (Et ça a fait annuler l’ABCD de l’égalité à côté, erf… La lutte doit continuer ! Tu vois ?!)
Agapi

Dessin à la craie noire : portrait d’une femme à col roulé et cheveux ondulés, des étoiles tombent de ses très grand yeux ronds. Elle a un sourire en coin et recueille ses larmes-étoiles sur le dos de sa main tendue.
Go away – Illustration par Blue