Quand l’hiver sombre passe sur ton visage oublié, tu te plains, captive solitaire de l’existence, toi qui partages ta vie à deux, tu seras bien seule dans ton tombeau ! Pendant ce temps-là, ta pauvre vie meurtrie s’encombre du manque des lourds bouquets qu’on ne t’offrira qu’après ta mort, et encore… L’amour n’est pas une domination, Emma Taume, l’amour, c’est l’art de donner à l’autre toute la musique de son corps, et contrairement à tes habitudes et à ses valeurs à lui, l’autre doit être l’auditeur, susceptible de recevoir le plus de plaisir possible, et non l’instrument fracassé à la fin de l’amour. Et pendant ce temps-là tu pourrais aller admirer les cimes des montagnes, les vagues de la mer, le vaste cours des fleuves, le circuit de l’Océan et le mouvement des astres, et t’oublier toi-même.
Mais tu subis les assauts de l’amer, et les mouvements sont désastres. Sans écouter Sept heure qui jette son nombre vain à l’horloge, tu sais qu’il va bientôt rentrer, qu’il va te forcer à fermer les yeux, tes yeux sombres brouillés par son trop plein d’amour, avant qu’il ne te brusque dans les bras du fauteuil, et le maigre reste de votre couple éclairera à peine son Ombre. L’horloge ne couvre déjà plus tes cris, et tes cris lui donnent le plus grand plaisir possible, et tes cris de douleur se mélangent contre leur gré à ses cris de plaisir brutal. Le regard bleu, Emma, le regard bleu.
Il veut souvent t’avoir sans même te regarder, Emma Taume, charger ton corps de ses paumes pour te laisser des marques d’affection, et finalement, te jeter avec ennui de ses forces faussement défuntes. Puis viennent les noms d’oiseaux, qui font mal eux-aussi, car l’amant violent reste toujours en-dessous de ses paroles ; il faut parfois chercher l’amant caché en-dessous de sa violence. Mais tu connais déjà par ouï-dire l’existence de l’amour, excuse-moi.
Emma, tu as aimé pourtant, et maintenant tu trembles de t’asseoir, pourtant pour revivre, il suffirait que tu empruntes le souffle de son nom à tes lèvres gonflées, murmurées toute une vie, pour t’échapper de n’importe quelle façon. Maquillée, tu n’as pas le choix, si ton corps a quelques bleus un peu laids, il te les reprocheras, mais souviens-toi qu’avant lui, tu valais mieux. Tu écoutes monter en toi le chant inépuisable d’une vague qui, dans ta tête, afflue puis se retire, comme revient puis s’éloigne le désir curieux que tu as de la mort, de l’amour, et de tout ce que tu ne pourras jamais toucher des doigts.
(Pour toutes les chères mortes sous les coups de foudre des amants)
bogart
Collage Baptiste Leclercq