À l’époque où je l’ai rencontré, j’avais 16 ans, tout comme lui. J’allais mal.
En partant de ce fait, je me dis que ce n’était pas possible que quoi que ce soit de positif ressorte de cette relation. Mais bon, c’est facile de dire ça avec le recul, deux ans et demi plus tard, après avoir retourné la situation dans mon esprit des centaines et des centaines de fois.
Je me suis accablée, lui ai trouvé des excuses, me suis sentie sale, vide de tout sentiment, inutile. Je me suis dit que je l’avais mérité, que c’était entièrement de ma faute et que je ne pouvais pas le blâmer pour ça, puisqu’il n’avait rien fait d’autre que me traiter comme je le méritais.
Ça a pris un an pour que je comprenne que non, ce que j’avais vécu n’était pas normal.
Et un autre pour mettre un mot sur ce qui m’était arrivé.
Un viol.
Ou plutôt, une série de viols répétés, pendant plus de deux mois.
Deux mois durant lesquels j’ai vécue dans la sidération, l’incompréhension, le dégoût, la peur et la douleur.
Il m’aura fallu deux ans pour comprendre.
Pour comprendre, et encore plus pour accepter.
Le soir de ma première fois restera à tout jamais gravé dans ma mémoire.
Et contrairement à la plupart des gens de mon entourage, pas en tant que bon souvenir.
Nous étions chez lui, et on avait énormément fumé.
C’était l’époque où je commençais juste. Je savais que ça me calmait les nerfs, qu’après avoir fumé je rigolais bien, que je ne pensais plus à grand chose, mais le reste, je ne connaissais pas. Je ne connaissais pas encore les fois où tu ne peux même plus bouger, même plus parler, même plus réfléchir. C’est ce soir-là qui me l’a appris.
J’étais défoncée comme je ne l’avais jamais été et, pourtant, au moment fatidique, j’étais malgré tout incapable de me détendre, pleurant, serrant les cuisses, allant jusqu’à la crise d’angoisse.
Je n’avais jamais été attirée par les hommes, ou du moins par le sexe avec eux.
Il le savait. Il savait qu’au lit, moi c’était les femmes que j’aimais, rien d’autre.
Lui aussi aimait les femmes. Un peu trop.
Pour lui, il ne pouvait pas y avoir de vraie relation sans sexe, il me l’avait dit maintes et maintes fois, me parlant à tout va de son ex, de leurs rapports intimes, de leurs performances… Je n’ai jamais su s’il faisais ça consciemment dans le but de me mettre la pression ou… juste pour se vanter.
Quoi qu’il en soit, la pression, moi, ce soir-là, je l’avais. Je sentais que je ne pouvais pas refuser de coucher avec lui. Que sinon, je le perdrais ou que je le blesserais.
On peut dire que c’était un peu comme si mon corps se crispait au maximum et m’insufflait cette peur pour me ramener à la raison. Pour me dire de partir en courant, pour me dire de ne pas faire ça. Pour me dire que je ne voulais pas faire ça. Pas avec lui.
Mais je n’ai pas écouté mon corps.
Et c’est après un énième pétard qu’il m’a fait fumer pour me “détendre” que j’ai cédé.
« Fais le si tu veux. »
C’est lorsqu’il m’a pénétrée et que j’ai sentie cette douleur atroce et déchirante que j’ai compris que je venais de faire la plus grosse erreur de ma vie.
Après ce soir-là, il a commencé à me montrer son vrai visage, passant de l’homme gentil et attentionné qu’il se disait être, à un homme vantard, irrespectueux, macho et égocentrique.
Les termes qu’il employait pour parler de moi se limitaient à “cul”, “pipe”, “seins”, “bon coup”, “pipe”, “baise”, et encore “pipe”.
J’étais donc passée de l’alcoolique dépressive accroc à la morphine et aux mélanges alcool/médicaments que j’étais avant d’être avec lui, à réservoir à sperme qui prenait 40mg de morphine par jour en cachette pour oublier.
Vu de l’extérieur, c’est vrai, je devais probablement aller mieux aux yeux de la plupart des gens, je ne peux pas leur en vouloir de ne pas avoir réagit à l’époque.
Déjà, il n’y avait plus de scarifications sur mes avant-bras. Elles étaient sur mon ventre et mes cuisses.
Ensuite, je ne venais plus en cours bourrée. Je prenais juste de la morphine et je fumais autant de pétards que la durée des pauses ne me le permettait.
J’avais un copain gentil qui prenait soin de moi. Tout en me rappelant continuellement mon rôle de femme soumise destinée à assouvir ses désirs.
Et puis surtout, je ne pleurais plus. Plus devant eux.
J’attendais le soir, j’allais dans la salle de bain et je prenais une douche la plus bouillante possible tout en me regardant dans le miroir à côté de moi. Là je me laissais aller. Je m’effondrais, je pleurais, je prenais une lame de rasoir et m’ouvrait les cuisses, le ventre. Puis je me laissais tomber en regardant l’eau et le sang couler dans l’espoir de me purger de toute cette saleté qui me dévorait de l’intérieur mais que je n’arrivais pas à identifier. Je pensais qu’elle venait de moi.
Après tout, c’était moi la dépressive, alcoolique, toxico à tendances suicidaires, pas lui. Lui c’était juste un mec normal, cool, gentil, qui aidait ses potes, qui était aimé, et dont le seul défaut était d’abuser un peu du pétard.
En y réfléchissant, le soir où j’ai eu le plus mal n’était peut être pas celui de ma première fois. Enfin, je ne parle pas d’une douleur physique – sur ce point je crois que rien n’a encore égalé ce soir-là dans ma vie – mais je parle de celle qui est dans la tête. Celle qui est plus fourbe, plus destructrice. Moins supportable.
Je ne me souviens plus de la date exacte mais c’était en début Mars 2012. C’était un vendredi.
On avait passé la fin de l’après-midi avec des potes, ainsi que le début de soirée. C’était sympa, on mangeait des pâtes, on fumait, on dansait.
Puis les potes sont partis. Il se faisait tard.
Tout le reste s’est déroulé rapidement, 5mn après leur départ.
Et ce qui s’est passé ce soir-là est la seule de toutes ces relations non-consenties pour laquelle je pourrais le traîner devant un tribunal.
Il m’a “embrassée” en fourrant sa langue au fond de ma gorge. Ca m’écoeurait. Puis il a simplement pressés mes épaules pour me signifier explicitement qu’il voulait une pipe.
“Non.”
Je l’ai dit distinctement, de manière audible, tremblante et suppliante.
Mais il a appuyé plus fort sur mes épaules pour me maintenir à genoux lorsque j’ai voulu me relever.
Tristement, j’ai finit par me résigner et m’exécuter.
Pour ce qu’il s’est passé ensuite, ce n’est pas difficile de le deviner : Il s’est contenté de me prendre sans aucun préliminaire, comme si j’étais une poupée gonflable.
Après ce soir-là, cette scène s’est répétée encore et encore. Des relations violentes, sans préparation, sans aucun mot, sans aucun bruit en dehors de mes simulations, dans l’espoir qu’il jouisse plus vite et que ce cauchemar s’arrête.
N’ayant jamais connu d’homme avant lui (et lui étant particulièrement ignorant des dégâts que peuvent causer des relations aussi violentes sur une femme) je n’ai connu que bien plus tard les termes de “déchirure”, “cystite”, et “vaginisme” dont je souffrais à l’époque et dont j’ai souffert pendant une longue période qui a suivi.
Il m’a quittée, et à partir de ce moment, j’ai commencé à parler.
À l’époque, je n’en parlais pas comme de “viols” à proprement parler, je pensais réellement que c’était le genre de relations qui étaient normal entre un homme et une femme.
J’ai donc tout simplement raconté ma première fois à mon meilleur ami, en lui disant que je n’en avais pas un bon souvenir. Il m’a dit “qu’un mec normal se serait arrêté au moment de la crise d’angoisse, il aurait pas insisté.”
C’est probablement à partir de là que j’ai commencé à me questionner.
J’ai parlé à une amie des “problèmes” que j’avais. De mes douleurs. Elle les avaient qualifiées de “normales” et m’avait dit que ça pouvait arriver bien que même si ça n’avait pas été le cas pour elle, que j’étais sans doute trop étroite.
À une autre amie, je m’étais confiée, ivre, sur le fait qu’à l’époque, T. me traitait comme un déchet au lit, lui décrivant ce que j’avais subi. Elle m’a dit que c’était horrible.
J’ai parlé à mon meilleur ami pour la première fois de “relations non-consenties”, un an après les faits, lorsque je commençais à me remettre. Il m’a dit que ce type était un monstre.
J’en ai parlé à mon copain actuel, qui n’a rien dit, mais qui m’a toujours écoutée sans jamais remettre en doute ma parole. Et c’est déjà beaucoup.
Autour d’un bon pack de bières fortes bien entamé, je me suis confiée à une amie, totalement ivre, encore. Elle m’a dit que je pouvais porter plainte, ce que j’ai refusé.
J’en ai parlé à une femme, sur un numéro vert, qui m’a appris le terme qui désignait ce que j’avais vécu.
Des viols.
J’ai envisagé de porter plainte.
Je me suis confiée à cette amie, qui m’avait dit que tout était normal. Cette amie qui m’a traitée de folle, dit que je “pétais un câble” et qu’elle “n’avait pas envie qu’il aille en taule pour mes conneries”. Elle m’a insultée, culpabilisée, demandé si je voulais détruire sa vie. Comme s’il n’avait pas suffisamment amochée la mienne.
Elle est allée l’informer de ce que je voulais faire.
Le meilleur ami de T. est venu m’en parler.
Il m’a menacée de mort, traitée de menteuse et de manipulatrice en ayant pour seul contre argument que “de toutes manières, je pouvais pas le prouver”.
J’en ai parlé à la dame du bureau des plaintes, qui m’a soutenue, écoutée attentivement puis qui m’a redirigée vers un de ses collègues de la brigade des mineurs, qui m’a dit que “c’était sa parole contre la mienne” et qu’il ne pouvait rien faire pour moi.
J’en ai parlé à un ami qui m’a dit de “pardonner” car “on a tous droit à une seconde chance”.
Il parait que j’en parle souvent lorsque je suis ivre.
À des gens, probablement un peu au hasard, lorsque je tombe sur une oreille qui daigne accorder de l’attention à ce que j’ai à dire.
Oui, aujourd’hui je parle.
Je parle, et je dénonce.
Je dénonce le fait que mon violeur n’était pas un petit truand qui m’a agressée au détour d’une ruelle glauque. Non. C’était un petit lycéen normal, un peu glandeur, aimé des gens, aimé des profs, aimé de ses parents.
Un petit lycéen normal, au sourire large, qui m’a brutalisée, mordue au sang, déchiré le cœur, qui m’a humiliée pendant plus de deux mois jusqu’à ce qu’il se lasse de moi.
Je dénonce, car on m’a toujours blâmée pour mes “mauvaises fréquentations” (des gens qui vivaient dans des squats, dans la rue, des héroïnomanes et toutes sortes de camés…) alors que ce sont ces mêmes mauvaises fréquentations qui m’ont le plus soutenue, alors que tout les “gens biens” qui m’entouraient n’ont fait que trouver des excuses et minimisé les actes de l’homme qui m’avait violée.
Je dénonce, car on m’a toujours blâmée pour mes “mauvaises fréquentations” (des gens qui vivaient dans des squats, dans la rue, des héroïnomanes et toutes sortes de camés…) alors que ce sont ces mêmes mauvaises fréquentations qui m’ont le plus soutenue, alors que tout les “gens biens” qui m’entouraient n’ont fait que trouver des excuses et minimisé les actes de l’homme qui m’avait violée.
Je dénonce des choses que j’ai apprises seule et à mes dépends, mais des choses auxquelles nous sommes tous exposés.
Je me révolte car personne ne m’avait appris que j’avais le droit de dire “non”, même si c’était mon copain.
Je me révolte car encore aujourd’hui, un cours d’éducation sexuelle c’est juste apprendre aux gosses à mettre une capote sur un pied de chaise alors qu’on aborde ni le sujet du consentement, ni du respect.
Je me révolte car personne ne m’a appris que je n’avais pas à “me forcer pour faire plaisir” avec le sexe.
Je me révolte, car malgré le fait que bien des gens s’accordent à dire que ce qu’il m’a fait est “inhumain” ou “horrible”, personne n’a coupé le contact avec lui, personne ne m’a dit de porter plainte ni soutenue lorsque j’ai voulu le faire, et personne, à part une inconnue sur un numéro vert n’a osé prononcer le nom de ce qu’il m’était arrivé.
Mais maintenant j’en parle, même si je sais que je choque, que je dégoûte certaines personnes. Que probablement on pense de moi que je ne suis pas suffisamment réservée sur le sujet, comme sont sensées l’être les victimes de viol selon la société.
Qu’en plus j’en parle sans fondre en larmes, alors qu’au bout de deux ans je devrais encore me sentir souillée et dévastée, comme on l’attend d’une “bonne victime”.
Qu’en plus, à l’époque j’étais un déchet social, et que normalement je devrais pas me plaindre que quelqu’un ait voulu de moi, finalement.
Qu’aujourd’hui j’ai une vie normale, équilibrée, un copain adorable qui m’aime et me soutien, et que donc du coup ça fait partie “du passé”.
Que c’était quand même un joli garçon, et que du coup c’était pas vraiment du viol.
Que c’était quand même un joli garçon, et que du coup c’était pas vraiment du viol.
Je n’ai pas honte de ce qu’il m’est arrivé.
Ce n’est pas à moi d’en être honteuse.
Alors non, je ne suis pas réservée, je n’ai aucune raison de l’être.
Oui je ne fonds pas en larmes quand j’en parle. Pas systématiquement, du moins. Il arrive encore lorsque je me heurte à des personnes qui dénigrent ce qui m’est arrivé, de me recroqueviller dans un coin pour les ravaler, mes larmes. Il m’arrive parfois d’en pleurer comme ça, sans raison.
À cause d’un mot, à cause d’un geste, d’un souvenir.
Mais je refuse de montrer cela aux gens. Je veux qu’ils comprennent que l’on survit.
Certain(e)s oublient, pardonnent, d’autre pas. Mais on survit.
J’ai, quelque part, eu beaucoup de chance au niveau des réactions des personnes autour de moi. Mis à part certaines auxquelles je n’accorde plus d’importance, on ne m’a pas blâmée. Certains ont écouté sans rien dire. D’autres m’ont soutenue et encouragée à me battre. Je me suis parfois heurtée à l’indifférence, mais je préfère cela aux réactions culpabilisantes. Certains ont changée leur opinion sur le viol et ne croient plus au mythe du sadique qui attend sa proie dans une ruelle mal éclairée.
Et si j’ai pu changer un peu les choses, rien qu’à mon échelle, alors je me dis que j’ai raison d’en parler encore, d’en parler toujours.
Le viol n’est pas une tâche indélébile sur le corps de la victime.
En revanche elle devrait l’être sur celui du violeur.
Et j’aimerais que l’on cesse de se comporter comme si en plus d’avoir vécu de telles atrocités, les survivantes et les survivants devaient porter leur croix toute leur vie.
On peut s’en remettre.
Il arrive de retomber, parfois de haut, parfois rien qu’un peu. Mais, aux personnes qui semblent penser le contraire, oui, on peut vivre encore après un viol.
Pas exactement comme avant, ouais. Mais on vit.
Dans mon cas je me dirais que ce viol a marquée la fin de mon enfance.
J’aurais aimé garder le peu d’innocence et de naïveté qu’il me restait encore un peu plus longtemps, mais on ne revient pas en arrière.
Aujourd’hui je suis une autre personne.
Je suis une femme, une femme forte.
J’aurais aimé garder le peu d’innocence et de naïveté qu’il me restait encore un peu plus longtemps, mais on ne revient pas en arrière.
Aujourd’hui je suis une autre personne.
Je suis une femme, une femme forte.
Une survivante.
Ef’
Très beau témoignage, merci…
Et tu peux être fière de toi.
Ca fait 10 minute que j’essaie de trouver quelqu’un chose à dire. J’ai rien trouvé, à part que ton histoire m’a retournée les tripes et mi les larmes aux yeux. J’allais rajouter un message gentil, mais je trouve vraiment pas mes mots.
Quand je te lis, j’ai mal et envie de te faire un câlin pour te rassurer, pour que tu te laisses aller à pleurer pour vider toute cette crasse et ce mal-être… Merci pour ce témoignage, je te souhaite d’être heureuse et tous cas quand je te lis, tu en prends le chemin… tu peux être fière de toi
Magnifique texte de la femme la plus guerrière et combattante que je connaisse. Tu m’as changée à jamais. Merci
[…] http://assopolyvalence.org/survivre/ […]