J’ai longtemps résisté à l’idée de me définir comme circoncis. La circoncision renvoie généralement au registre de la modification corporelle cultu(r)elle alors même que la cause de mon renoncement au prépuce était autre. Pendant longtemps, j’appréhendais même le moment où je devais me déshabiller pour la première fois devant une nouvelle amante par peur d’affronter ces questions embarrassantes. J’ai en effet été circoncis à l’âge adulte pour des raisons prophylactiques dans le cadre d’une chirurgie plus lourde de la verge. Je me souviens encore de la légèreté avec laquelle le chirurgien m’annonça le détail que représentait selon lui cette ablation de confort. Il m’affirma que cela ne changeait rien, ce sans quoi près du tiers de la population masculine mondiale ne vivrait pas sans prépuce. Rien ne me semble plus faux. Que ce soit sur le plan social, sexuel ou de la relation que l’on peut entretenir avec son propre corps, la circoncision n’est pas anodine.

Socialement, la circoncision est tantôt une pratique taboue, tantôt un sujet de badinage propice aux mythes farfelus. Lorsque le diagnostic tomba, j’eus le tort de partager avec ma compagne d’alors mon appréhension à l’idée de me séparer d’une partie saine et fonctionnelle de mon corps. Elle se contenta de m’asséner sèchement que ce serait bénéfique car « plus hygiénique, plus esthétique et meilleur sexuellement » et condamna mon prépuce en ajoutant qu’il ne servait « à rien ». Bien que je doute aujourd’hui encore de sa méthodologie, de nombreuses autres connaissances suffisamment proches pour discuter de tels sujets défendirent des positions similaires. Ma femme m’avoua même à sa grande honte être heureuse de cette conséquence de mes mésaventures passées tant le prépuce lui inspire un effroi irrationnel.

Force est de constater que ces lieux communs relèvent aussi bien d’une méconnaissance de la sexualité que de vieilles lunes hygiénistes voire de influence de l’imagerie pornographique américaine, pays où la circoncision hygiéniste reste répandue. La circoncision n’est pas plus hygiénique, elle transforme simplement des muqueuses en tissus secs et kératinisés. De ce fait, les odeurs et sécrétions intimes s’en trouvent être quasiment supprimées mais il ne viendrait à l’esprit de personne de se faire retirer les joues afin d’améliorer son hygiène buccale. L’argument concernant l’amélioration des performances sexuelles est lui aussi douteux. La circoncision supprime de nombreuses zones érogènes et peut donc tout au plus conduire à une diminution du plaisir sexuel masculin. Quant à l’esthétique, je ne discuterai pas les goûts et les couleurs de tout un chacun mais les circoncisions ratées et les cicatrices disgracieuses ne sont pas si rares.

Le rapport au corps est sans doute enfin le point le plus complexe. Il s’agit là d’un ressenti personnel qu’il n’est par définition pas possible de généraliser. Je ne sais pas si ma circoncision était justifiée et, si je m’en accommode aujourd’hui très bien, il m’a fallu tout réapprendre avec ce sexe étranger. Les sensations, les gestes et les réflexes n’étaient plus les mêmes. Je ne me sens pas diminué voire mutilé pour autant mais je comprends que certains hommes le vivent ainsi, notamment lorsque la circoncision leur a été imposée. S’il est difficile de remettre en cause des pratiques millénaires, leur moralité n’en demeure pas moins questionnable et ce débat est légitime et nécessaire.

Je ne recommande en définitive la circoncision à personne sauf nécessité impérieuse mais cette cicatrice forme désormais une partie de moi, de mon corps et donc de mon identité au point que je n’y renoncerais pas si c’était possible. Est-ce là une forme d’auto-persuasion ? Très probablement, mais j’ai ainsi appris à accepter mon corps tel qu’il est. Avec ses beautés, ses imperfections et ces marques laissées par la vie dont la circoncision, oui, fait partie.

Alexandre

 

Photographie retouchée sur ordinateur : sur le fond noir se détache une verge bleue au gland blanc

Photographie retouchée sur ordinateur : sur le fond noir se détache une verge bleue au gland blanc

Illustration par Nanaki Antonomos