Cinq ans après le premier, j’écris ce texte dans un moment personnel, social, politique et médiatique intéressant.

D’un côté, il y a le mouvement de dénonciation des violences sexuelles #MeToo, lancé dès 2006 par Tarana Burke et qui a pris de l’ampleur suite à l’affaire Weinstein, richissime et tout puissant producteur hollywoodien accusé de nombreuses agressions sexuelles. En France, cela prend la forme de #balancetonporc. Quelques temps plus tard, ce « moi aussi » est suivi et relancé par Oprah Winfrey dans un discours poignant, où elle l’affirme : #TimesUp, le temps de l’impunité pour les agresseurs est terminé, enfin.

Je vis ces instants avec une grande émotion, devant le nombre des témoignages, devant la force de celles que d’habitude on n’entend pas, on n’écoute pas, devant l’élan d’entraide et de solidarité entre femmes. Il me semble que nous nous comprenons alors comme des sœurs, au moins sur ce point, car il nous concerne toutes.

C’est cela être une femme. Ce n’est pas être née avec un vagin et ce n’est pas aimer le rose. C’est être confrontée à des agressions et des violences sexuelles, à un degré ou à un autre, à un moment ou à un autre de notre vie et devoir y faire face, comme on peut.

Ça ne veut pas dire que l’on se vit ou se définit comme une pauvre petite chose fragile, au contraire, survivre est déjà une prouesse pour certaines. Et ça ne veut certainement pas dire qu’il faut s’y résigner, y voir un destin immuable.

J’entends des femmes qui expriment, certaines pour la première fois, leur colère, leur tristesse ou leur dégoût mais aussi leur détermination à obtenir justice ou simplement à être crues, et leur main tendue vers les autres : tu n’es pas seule, moi aussi ça m’est arrivé, ensemble on est plus fortes.

Mais face à cette vague, le ressac est amer.  Parce que là où je vois de l’espoir, d’autres voient une menace. Menace sur la fameuse « exception à la française », celle qui fait semblant de confondre séduction et agression, celle qui porte aux nues des violeurs et des meurtriers, parce qu’ils ont du talent. Menace sur ces hommes, comprenez-les, ils ont des besoins, « boys will be boys »… Menace enfin sur une certaine idée de la féminité, disponible, souriante et surtout résignée à être celle qui est « conquise » par ces messieurs, de gré ou de force.

Alors on défend le droit d’importuner, de toucher un genou, de tenter de voler un baiser, d’envoyer des messages à connotation sexuelle à une femme chez qui l’attirance n’est pas réciproque. Allons, allons, ce n’est pas si grave ! Vraiment, vous voyez le mâle partout.

Parce que certaines n’ont pas vécu la même chose ou l’ont vécu différemment, parce qu’elles n’ont pas souffert d’un geste ou d’un mot, elles minimisent la parole ou le ressenti d’autres personnes. Mais qui peut définir la gravité d’un acte ? Il paraît évident que différentes personnes réagissent différemment. Et bien entendu, on a parfaitement le droit de ne pas être traumatisée par une agression sexuelle, de ne pas vouloir être définie par cela. Mais cela ne devrait JAMAIS permettre de dire à une autre « tu exagères », « tu te victimises », « ce que tu as vécu n’est pas si grave ».

Ce qu’ont en commun la plupart des personnes qui ont vécu une agression sexuelle, c’est la honte, la difficulté d’en parler. Et quand, portées par d’autres elles osent, elles ne sont pas crues ou pas entendues. Pas crues lorqu’elles portent plainte, pas entendues quand elles disent leur douleur.

Je veux croire que c’est en train de changer, que la force des voix qui s’élèvent chaque jour et s’entraînent et s’entraident va interroger les silences complices et les minimisations coupables. Je veux croire qu’on va mieux accueillir et accompagner les personnes qui ont vécu des agressions sexuelles. Mais surtout, je veux croire qu’on va travailler à prévenir ces agressions, par tous les moyens possibles.

Diane Saint-Réquier

10 janvier 2018

Il y a cinq ans : “Je crois que le pire dans les violences sexistes, qu’elles soient physiques ou autres, c’est qu’on tente toujours de les minimiser. De te dire qu’ailleurs c’est pire, que tu exagères…” http://assopolyvalence.org/pas-si-grave/

Illustration par Aude Soret