Ma rencontre avec la polyamorie a été un pur hasard. Je sortais d’une relation assez destructrice avec quelqu’un qui m’avait traînée jusqu’au PACS, me harcelait pour que je lui fasse un enfant à 40 ans passés alors que ma fille venait de quitter la maison et que je commençais à retrouver une certaine liberté, et me volait de l’argent occasionnellement en prime.

Après cette expérience compliquée, je suis restée deux ans célibataire, au fond de ma grotte à lécher mes blessures, puis j’en suis ressortie. Depuis mes 16 ans, je n’avais jamais vécu autrement qu’en couple fusionnel dont je m’extirpais au bout de dix-huit mois maximum, souvent dans la douleur.

Et puis j’ai rencontré M.

Je vais le genrer au masculin pour plus de facilité mais il se définit genderqueer. Comme j’ai du mal avec les “iel” et autres “ul”, je vais rester sur le “il”, un “il” tout relatif que j’ai pu utiliser aussi pour certaines de mes ex-compagnes, ce qui m’était évident et qu’elles appréciaient à sa juste valeur. Je suis pansexuelle, mais ma pansexualité ne s’arrête pas au genre, elle englobe tous types de physiques, d’individus, de pensées. Je tombe amoureuse de cerveaux et peu importe de quoi ils sont entourés physiquement.

M. m’a appris beaucoup de choses, comme le féminisme, le militantisme, la non-exclusivité, le genre, et j’en passe. Clairement il y a dans ma vie un “avant” et un “après” lui.

Il m’a aussi appris la liberté d’être qui je suis vraiment sans être obligée de jouer le rôle qu’on attend de moi dans une relation amoureuse. Toute ma vie, j’ai fait la femme-miroir, je devenais dans mes couples celle qu’on voulait que je sois. Jusqu’au jour où j’explosais et je fuyais. Mais là, j’étais moi, et pour une fois il n’y avait pas cette notion d’appartenance entre nous. Ce qui a été une révélation et aussi une libération. Il m’avait dit avoir quelques maîtresses, moi qui étais si jalouse et possessive, je tenais tellement à cette relation que je me suis dit que je saurai le vivre. Et puis on jouait à ne pas tenir l’un à l’autre, alors il était hors de question que je risque de le perdre en montrant cette partie-là de moi, celle qui croyait encore en l’âme-sœur, en la “moitié”, en l’autre sans qui l’on est rien ni personne. J’ai si bien joué le jeu que je m’y suis prise sans m’en rendre compte. Il y a eu un moment où j’ai senti que mes sentiments devenaient trop forts à gérer, que j’allais encore une fois me perdre et m’emprisonner toute seule dans cette relation et risquer ainsi de tout compromettre. Alors, il y a eu une aventure de quelques jours, juste pour effacer un peu sur ma peau l’empreinte de ses mains que je sentais jour et nuit. Mes sentiments eux, restaient intacts, mais avoir cassé le moule traditionnel m’avait apporté plus de sérénité avec lui. On a passé un été brûlant, des nuits où se disputaient l’envie de parler des heures et des heures, à celle de baiser encore et encore… La rentrée venue, il a fallu reprendre contact avec la réalité et nos emplois respectifs, on s’est moins vus, mais je n’oubliais pas.

J’avais l’habitude de voir régulièrement une fille, G., qui n’habitait pas très loin de chez moi, bi revendiquée, et mon corps tout juste sorti de ses deux ans d’abstinence refusait de se rendormir. M. ne me contactait plus et je ne voulais pas m’imposer et le relancer. J’avais profité de sa présence dans ma vie trois mois, alors qu’il m’avait dit ne jamais dépasser les trois semaines et je m’estimais déjà bien chanceuse et heureuse d’avoir fait partie des exceptions. Alors, je me suis rapprochée de G. et on a commencé une relation tout aussi régulière et non-exclusive ; j’acceptais sa bisexualité et il me paraissait normal et évident de n’avoir aucun droit de lui interdire ce dont elle avait besoin et que je ne pouvais pas lui apporter.

Et puis M. avait déconstruit ma vision des relations amoureuses, et j’étais prête à vivre autre chose que ce que j’avais toujours vécu. Curieusement, de ma jalousie extrême et de ma possessivité sans limites, j’étais passée à une complète compréhension que l’autre n’était pas ma propriété, et je n’étais ni blessée ni stressée quand G. n’était pas dispo pour moi et que j’en connaissais la raison, une raison qui m’aurait juste rendue dingue quelques années auparavant.

Entre temps, M. était revenu vers moi et je partageais donc mon temps libre entre des week-ends avec lui et des nuits avec G. J’y trouvais un épanouissement que je n’avais jamais ressenti de toute ma vie. G. m’apportait des choses que M. ne pouvait pas m’apporter et inversement.

Je découvrais la sérénité des relations sans scènes de jalousie, sans l’angoisse d’être “trompée”, sexuellement j’étais plus que comblée, et mon estime de moi avait fait un bond en avant aussi. À chaque fois que G. avait une aventure et qu’elle me revenait, j’avais la preuve de ma valeur. Elle revenait par choix, pas par obligation. Elle revenait parce qu’elle trouvait en moi ce qu’elle n’avait pas eu la nuit d’avant avec un autre. Plus les “autres” étaient sexy, drôles, charismatiques, plus j’avais confiance en moi. J’étais donc forcément mieux. Parce qu’elle revenait toujours à son point de repère, et c’était moi. Il en était de même avec M. Malgré toutes les rencontres qu’il faisait, tous les déplacements, vacances et week-ends passés loin de moi, il me revenait aussi. Et pas parce que je menaçais, pleurais, faisais la gueule ou du chantage à la rupture, non, juste parce que c’est avec moi qu’il avait envie d’être.

Quand on a été rongé par la jalousie, quand on a pleuré des larmes de sang et de possessivité, quand on a mis ce ver dans toutes les pommes qu’on a croquées, en être tout à coup débarrassé, c’est comme si on redécouvrait tout, la définition de l’amour en tout premier. Juste aimer l’autre pour ce qu’il est, un être entier, pas une moitié, un être libre et qui n’a pas besoin de sacrifier ses passions et envies sur l’autel de l’orgueil de l’autre, un être qui, lorsqu’il est là, c’est parce qu’il le veut lui, et pas parce qu’il n’a pas le choix.

Je ne pourrai plus jamais faire machine arrière après avoir connu la sincérité du polyamour.

Je repense à celle que j’ai étée qui traquait le moindre regard sur une autre et qui a tant souffert dans chaque relation à cause de la jalousie et par manque de confiance en l’autre et en moi-même, et je me dis que j’ai raté bien des choses durant ces années.

Heureusement, j’en ai encore beaucoup d’autres devant moi pour rattraper ce temps perdu à me miner de questions au lieu de vivre toutes ces émotions qui sont si belles et fortes quand elles ne sont pas polluées par la norme.

Cendrine Noborder

Dessin au feutre sur feuille blanche : une femme nue à la peau et aux cheveux marrons, debout, porte des fleurs au-dessus de sa tête. Celles-ci tombent un peu sur les fougères qui l’entourent.

Illustration par N.O.