19 ans, week-end dit “d’intégration” dans cette grande école. Je suis en 2e année, je connais déjà le principe, mais j’y vais, quand même, avec copine. Parce qu’on s’en fout des autres, on veut juste s’amuser.

La fameuse soirée de fête s’annonce pas mal, il fait beau, on boit, on rigole.
Ce type que je connais juste de vue s’approche de moi, veut visiblement danser avec moi, me colle. Bon. Je suis saoule, j’accepte implicitement en le laissant se coller. Il se rapproche, encore, me tient par les hanches. Je crois que je n’ai pas vraiment envie mais, après tout je ne risque pas grand chose, les copines sont là, tout le monde s’amuse. On peut bien rigoler. C’est le jeu. C’est le “week-end d’inté”.

Et puis, pause clope dehors. Une fille que je connais un peu me dit fais gaffe, ce mec il est sans pitié, il va profiter de toi. Tu veux baiser avec lui ? Non ! On fait que danser, ça va, t’inquiète ! Hors de question qu’il me touche.
Alors ok, mais fais gaffe quand même. Le laisse pas trop t’approcher.

La soirée continue, on boit, on danse, on rigole.

Évidemment qu’il s’est approché. Puis vient le très bateau “tu viens, on va faire un tour ?”
Non, je n’ai pas envie en fait, je veux rester ici à danser, c’est cool ! Et puis t’façon y a rien à faire là-bas, vers les bungalows. J’ai envie de rester ici.

Non, mais c’est bon on fait un tout petit tour pour discuter. T’as l’air cool, j’ai envie de parler avec toi. Juste parler ouais, c’est ça. Si si, promis. Allez, viens.

Nous y voilà, en train de nous éloigner des gens. Des potes à lui dehors nous regardent et rigolent.

Trou noir.

Ce dont je me souviens ensuite c’est une pièce noire et des mains en train de me déshabiller, une bouche qui m’embrasse, une langue qui entre dans ma bouche. Et je ne veux pas ça, et je dis non, et je suis bourrée, et je n’ai pas le réflexe de frapper ce gars. Je tiens à peine debout. Je le repousse un peu, il revient vers moi. Il me met sur un lit une-place qui est là, contre un mur. Je me recule contre le mur froid, il revient encore.
Sans savoir comment il en est arrivé là, je sens son pénis tenter de me pénétrer. Ça fait mal, je n’en ai pas envie, il insiste, et ça finit par rentrer. C’est là que je réagis. Je le pousse avec mes bras, mes jambes, mes pieds. Tout est noir, je retrouve quand même mes habits, je sors à moitié nue mais il fait nuit et on est loin des gens.
Je me pose un peu contre un arbre toute seule dans le noir parce que j’ai envie de vomir. Ah ben oui c’est vrai, je suis bourrée. Qu’est-ce qu’il vient de m’arriver ? Je ne sais pas trop ce qu’il se passe dans ma tête à ce moment là.

Je crois que j’ai fini par retrouver copine, qui me demande où j’étais passée, un peu inquiète.
Je sais pas, j’ai… fait un tour.
Mais, ça va ?
Oui, oui, j’ai trop bu je crois, viens on va danser !

Les souvenirs sont vagues parce qu’alcoolisés, et ma mémoire a fait le tri entre-temps. Je m’en souviens bien maintenant. Mais pendant plusieurs années, j’ai été la première à me dire ces choses si communes : je l’avais bien cherché, j’étais ivre, c’était la fête, j’ai juste fait une connerie. J’ai été naïve, évidemment que ce mec voulait me choper. J’ai été conne et puis c’est tout.
Et en fait, non. J’ai traîné ce truc jusqu’à maintenant, en me disant que ce n’était rien de grave, en ne le racontant à personne, à part à copine, qui m’a dit un jour, mais en fait, meuf, tu as été violée. Ouais, mais non tu sais bien j’étais bourrée. Et alors ? Et alors.

L’été dernier, dure séparation avec mon amoureux. Je passe l’été enfermée, les copines sont là pour m’aider, je n’ai pas de force, pas d’énergie, et des soucis de santé. Il y a quelques jours, je suis allée à ma première séance d’acupressure. En touchant le point lié aux rapports sexuels, ça fait mal. Mon médecin me demande si je n’ai pas été abusée sexuellement, ou un truc dans le genre. Et là, c’est les larmes. Je lui raconte l’histoire.

J’ai l’impression d’en être finalement libérée, de cette histoire, sans vraiment savoir comment l’expliquer. Toujours est-il que ce point qui était douloureux à l’intérieur de ma cuisse gauche ne l’est plus.

C’est peut-être aussi pour ça que j’ai écrit ce texte. Parce que ce n’est plus “mon problème”, je n’ai plus à le porter. Je le porte toujours évidemment, j’ai toujours un petit truc dans le fond du bide en y repensant. Mais je me sens plus « légère », disons.

Donc, copine, si, dans une période de ta vie où tu te dis que tu veux t’amuser, dans une soirée alcoolisée, un mec veut te choper, que tu n’en as pas envie, mais que tu te retrouves malgré toi en train de le faire, ne te dis pas que c’est de ta faute, parce que tu l’as juste laissé t’allumer. Tu n’en avais pas envie, tu lui as dit non, il l’a fait quand même. C’est un viol, et pas autre chose.

 

P.I.

Illu TU VIENS ON VA FAIRE UN TOUR - BD
Illustration par Jessica Rispal