Quand j’étais gamine, j’étais une enfant enjouée, communicative, bavarde.

À huit ans, j’ai dû assister à un drame familial qui a mis ma mère en dépression, et elle m’a ordonné de n’en parler à personne. Toute cette pression m’a rendue effacée, peureuse. C’est à ce moment-là que je suis passée de l’école primaire en banlieue au collège privé catholique loin de chez moi, et c’est aussi à ce moment-là que j’ai énormément grossi. J’étais devenue la cible facile des moqueries et insultes dans ma classe, ce qui fait que, quand j’ai reperdu du poids, je me sentais toujours aussi moche, horrible et grosse. Et donc aucune confiance en moi.

Je viens d’avoir quatorze ans, et les petits bourges de mon collège vont à des soirées en boîte spéciales mineurs (de 19h à 23h), je décide d’y aller, pour faire comme tout le monde. Ils y vendent de la Smirnoff Ice, je suis très vite éméchée. Il y a là un garçon plus âgé que moi, assez beau, qui danse sur la piste. Il essaye d’aborder plusieurs filles, en vain. Il finit par danser avec moi. Je n’en crois pas mes yeux, il s’intéresse à moi ! Il me propose ensuite de m’asseoir sur ses genoux, et m’embrasse. Puis il me propose d’aller aux toilettes avec lui. Encore vierge et complètement innocente, je nne comprend absolument pas ses intentions. Je crois qu’il veut juste pisser. Arrivés dans la cabine, il commence à me montrer sa capote et à essayer d’enlever mon pantalon. Je réalise ce qu’il se passe et prends peur. Je lui dis que je suis vierge, ce à quoi il me répond “c’est pas grave !” Je tente de trouver d’autres excuses, “j’ai mes règles !”, “c’est pas grave non plus, allez, enlève ton pantalon, vite.”
Complètement perdue et terrorisée, ne sachant que faire, j’obéis.
Il met sa capote et commence à tenter de me pénétrer, sans succès.
Il commence à s’énerver…
Un vigile frappe à la porte en criant qu’il a vu deux personnes entrer dans la cabine et qu’il faut qu’on sorte.
Je remets mes vêtements en vitesse et sors. Quelques minutes plus tard, je m’effondre en pleurant.

J’ai quatorze ans et onze mois. Après l’histoire dans la boîte, j’ai eu mon premier vrai copain. On était très amoureux, et on a eu notre première fois ensemble. Je suis très fière de l’avoir eue avec quelqu’un que j’aimais. Mais voilà, au bout de huit mois, il m’a quittée.
Je rencontre un garçon de dix-sept ans dans l’endroit que je fréquentais. On s’entend super bien, on traîne toute la soirée, il me raccompagne chez moi et m’embrasse. Je suis heureuse, je ne pensais pas qu’une relation puisse commencer aussi rapidement.
On se voit le lendemain, on se promène dans les rues, il m’invite au restaurant, mais veut passer prendre une douche chez lui. Je l’accompagne. En sortant de la douche, il m’embrasse et commence à me déshabiller. Je suis complètement déstabilisée. Avec mon premier copain, on avait attendu trois mois pour le faire ! Je lui dis non. D’une voix faible. Il me rétorque qu’on peut s’amuser sans “le” faire. Je le crois. J’ai déjà entendu parler de viol. Ma mère m’avait mise en garde contre les psychopathes qui t’attendent dans les coins sombres pour t’attaquer. C’est ça un viol. C’est un inconnu qui t’attaque. Ça ne peut pas être quelqu’un que tu connais. ÇA NE PEUT PAS ETRE TON PETIT AMI.
Il continue de me déshabiller. Je lui dis non plus fermement, mais je ne l’arrête pas vraiment. Je finis par prendre peur. J’essaie de l’arrêter mais il me plaque les poignets contre le lit. Je me débats mais très doucement. Il finit par réussir ce qu’il voulait.
Pour être sincère, j’ai effacé cette scène de ma mémoire. Je me souviens d’être arrivée chez lui, je me souviens qu’il m’a bloqué les poignets, puis je me souviens d’avoir ouvert la porte de chez moi, silencieuse, traumatisée.

 

J’ai quinze ans et dix mois. Je propose à un très bon pote de venir chez moi, ma mère est partie en vacances. On s’entend bien, on s’aime bien, c’est amical, il a une copine et me parle souvent d’elle.
On se chamaille chez moi, on flirte même un peu. Peut-être que pour lui ça a été le feu vert. On s’est endormis enlacés dans le lit, je me suis réveillée parce qu’il me pénétrait. Je n’ai pas osé bouger, j’ai préféré croire que c’était un rêve. Il est parti le lendemain comme si de rien n’était.

Je change de communauté, j’ai l’impression d’avoir trouvé un groupe qui me comprend. Mais je n’ai plus aucune estime de moi-même. Beaucoup trop de garçons me tournent autour, mais juste pour du cul. Je finis par entrer dans un cercle vicieux. J’ai l’impression d’être un bout de viande, j’accepte de coucher avec pas mal de garçons par dépit, par obligation presque, pour qu’ils me laissent tranquille. Après tout, je les ai provoqués. Après tout, je ne vaux que ça, me faire baiser. Je ne suis qu’un trou, je ne trouverai personne qui m’aime.

Je ne juge pas les filles qui aiment coucher. Je veux dire, tant mieux pour elles, même ! Mais je ne supporte pas qu’on pense quelque chose de faux. Non, je n’aimais pas les coups d’un soir, non, je n’aimais pas “baiser tout ce qui bouge”, mais j’ai eu cette réputation. Une réputation de fille facile. Même mes propres ami(e)s, qui pourtant connaissaient la vraie version, me sortaient de temps en temps des piques dans ce genre.

 

J’ai dix-neuf ans, j’ai décidé de tout recommencer à zéro. Nouveaux amis, nouvelle vie, nouvelles convictions, je ne me laisserai plus faire, je dirai non. Je pars pour un an au Japon.

Il y a ce photographe de soirée. Tout le monde le connaît dans le milieu. Je lui ai parlé quelques fois. Un jour, à la fin d’une soirée, il est tellement ivre-mort qu’il peine à marcher. Je n’habite pas loin, j’ai peur pour son matériel de photographe, je l’invite à se reposer chez moi.
Arrivé à la maison, il débourre soudainement. Il commence à m’insulter, tout en marmonnant “ah tu comprends rien à ce que je raconte”. Si, je comprends. Je ne parle pas encore très bien japonais, mais je comprends.
Il commence à me déshabiller. Cette fois-ci, je ne me laisse pas faire. Je me débats.
Il essaie de me pincer, de me frapper, de me mordre. Je le frappe pour m’esquiver. Et là, il me chope la main, me prend un doigt, commence à le tordre et me dit avec un grand sourire pervers “soit tu te laisses faire, soit je te le casse”. Mon doigt commence à craquer, j’abandonne. Dès qu’il lâche j’essaie de m’esquiver à nouveau, mais la scène recommence. J’ai trop peur je me laisse faire.
J’aurai des bleus pendant encore trois semaines après lui.

Beaucoup de gens disent que les trois premières histoires ne sont pas des viols. Je ne me suis pas débattue, je n’ai pas vraiment dit non. On se moque de moi.

Pour l’histoire au Japon, on m’a même déjà dit “mais avoue, t’as aimé ça hein !”

 

J’ai réussi à me détacher de ces… “expériences”. Je ne suis pas traumatisée, je vis bien.
Mais je n’arrive pas à me détacher de cette pensée, même quand j’ai un copain et qu’il me fait l’amour : “je ne suis qu’un bout de viande, je ne suis qu’un bout de viande”.

 

Arina

 

un-bout-viande

 

Illustration par Jessica Rispal

 

http://www.jessicarispal.com/