Je me couchai à ses côtés, comme à mon habitude, l’étreignant, lui embrassant la nuque, lui empoignant la main, mais cette fois-ci, il ne me fit aucun retour.
- Qu’est-ce qu’il y a ? lui demandais-je.
- Rien, je suis fatigué, c’est tout.
Je le connaissais assez bien pour savoir qu’il y avait autre chose.
- Parle-moi, qu’est-ce qu’il se passe ? insistais-je.
Un silence s’en suivit. Soudain, il se retourne, me regarde, prend une inspiration, et dit :
- J’ai voulu voir si je pouvais accepter le fait d’être là pour toi sans être en couple avec toi. J’ai voulu voir si je ressentais une quelconque jalousie, j’ai lu tes messages, et je ne pensais pas tomber sur autant de violence envers toi-même.
- Qu’as-tu vu ? Un vent de panique s’empara de moi.
- Des messages échangés, avec un homme, où tu… Il s’arrêta quelques secondes avant de reprendre : Où tu donnes tes tarifs.
C’était comme si mon monde s’effondrait. Mes secrets dévoilés. Je devins mutique. Incapable de donner une explication claire et précise sur ma folie, j’étais incapable de dire le moindre mot. Je me bloquais.
- Pourquoi tu fais ça ? Explique-moi ? M’as-tu toujours menti ? Pourquoi aller avec des hommes qui te traitent si mal alors qu’il y a des personnes, et je pense à moi notamment, qui ne te veulent que du bien.
Seul mon silence lui fit écho. Il me secoua, je ne bougeais plus.
- Mais regarde-moi, réponds-moi !
Je le fuyais, et mon regard s’accrochait au mur, puis au bureau, et aux bibelots posés sur l’étagère. Il y avait l’album que je lui avais offert pour son anniversaire, son bloc-notes, ses classeurs, et son pilulier ; je bloquais dessus, oubliais le temps qui passait et entendais ses paroles sans les comprendre. Il s’était mis à pleurer. Il me questionnait sur ce qui m’était passé par l’esprit quand je m’étais lancée dans ce marché. Il prit mes silences pour des consentements tandis qu’il affirmait qu’il n’était donc rien pour moi. Il me rappelait que j’étais sa raison de vivre, que son bonheur passait par le mien, et entre deux sanglots m’exposait ce sentiment d’inutilité qu’il avait désormais. J’étais la femme de sa vie, et me voir dans cette situation lui était insoutenable. Il m’aimait, et m’en faisait part pour la première fois, mais ma honte était telle que je ne pouvais lui expliquer la réciprocité de mes sentiments. Je lui étais reconnaissante d’être là pour moi, et j’avais essayé d’être là pour lui à ma manière, en lui apportant ces moments de bonheur éphémères dont il avait besoin. J’avais voulu être sincère avec lui, mais comment avouer à quelqu’un jusqu’où va ce besoin d’adrénaline qui fait faire des choses insensées.
Perdue dans ces pensées, j’en sortai par les secousses qu’il me fit. Soudain désespéré, presque animal, il me supplia de lui parler. Apeurée je n’en fis rien. Je voulais lui expliquer, mais que dire, moi-même ne me comprenait pas. Furieux, pensant que je me moquais de lui, il se leva. Me criant dessus je me renfermais encore plus. Son couteau posé sur la table de nuit, il l’attrapa fermement, et se mit à me menacer. Incapable de me voir dans un état aussi lamentable, il préférait mettre fin à tout ça pour moi.
- Vas-y, tue-moi, qu’est-ce que tu attends ? Lui dis-je enfin.
C’est lui qui devint silencieux, et ses larmes coulaient et ses mains tremblaient alors qu’il serrait son visage. D’un geste, il me sautait au cou. Je le regardais cette fois droit dans les yeux :
- Je t’attends, tue-moi. Et je me mis à crier : Tue-moi donc ! Finissons-en !
Alors que la lame s’approchait de ma gorge, il recula.
- Non ! Non ! Non ! s’écriait-il.
Et d’un coup, il s’élança vers le balcon, et se mit à grimper sur la rambarde. Il m’implorait du regard, s’attendant à ce que je bouge, mais je restais dans une situation de confusion extrême. Il regarda le sol, nous étions au cinquième étage.
- Ce n’est pas assez haut. Souffla-t-il d’une voix d’un calme déconcertant.
Il revint dans la pièce, et d’une démarche nonchalante se dirigea vers le bureau, attrapa sa boite de médicaments, décrocha plusieurs plaquettes de cachets, et les avalas soudainement.
Je sorti de mes pensées, réalisant la situation, et couru vers lui, le serrait dans mes bras, et lui hurlait d’arrêter. J’essayais de lui arracher les pilules des mains, mais une force que je ne lui connaissais pas me renversa sur le sol. Il continuait de prendre le poison, me repoussant quand je voulais l’étreindre. Je revins à la charge, essayant de récupérer en vain les cachets dans sa gorge, mais les boites étaient déjà vidées. Je vis l’expression de la mort sur son visage.
Les secours sont arrivés à temps, mais on nous interdit tout contact avant la rentrée suivante le temps que chacun puisse se reconstruire. Le cancer l’emporta avant. Je n’ai pu lui dire que je l’aimais, moi aussi, qu’à travers la planche de bois et les fleurs de muguet qui me séparaient de son corps.
M.