Lorsqu’on a grandit dans un pays occidental et une famille aisée, on apprend que “lorsqu’on veut on peut”, et qu’on a toujours le choix. En rencontrant mon mari je me suis heurtée pour la première fois à une situation où le choix ne m’appartenait pas pour décider de ma propre vie, car une institution pouvait décider du jour au lendemain de m’arracher la personne que j’aimais sans que je n’aie un mot à dire.
Nous nous sommes rencontrés simplement, comme beaucoup de jeunes actuellement, sur un site de rencontre. Une rencontre simple, qui commence par des plaisanteries, des échanges sur ce que l’on fait dans la vie, ceux que l’on aime, la personne qu’on est ou que l’on a envie d’être. Sous couvert d’un pseudonyme, ça ne m’était pas venue à l’idée de demander d’où il venait. Lorsque nous nous sommes rencontrés physiquement un mois plus tard, j’ai appris son prénom et su qu’il était Algérien. Ça ne semblait pas avoir vraiment d’importance et notre relation est vite devenue une évidence. Une simple évidence, être avec LA bonne personne.
Bien sûr, il y a un “mais”.
Pour commencer, les bruits de couloirs, les collègues (Maghrébins ! ) qui vous disent “un Algérien ? Attention, ce sont les pires. Ils font leur vie ici puis ils repartent mener une vie rangée auprès de leur famille là-bas”. Les amis qui vous disent “Algérien ? Méfie-toi quand même hein, mariage gris tout ça tout ça”. Les personnes qui parlent de polygamie : “Qui te dit qu’il n’a pas trois femmes là-bas ?”. X, pragmatique devant mes questions posées naïvement et honteusement, m’a vite mise face à un fait : la confiance, c’était à moi de choisir de lui accorder ou pas. Son dernier visa pour l’Algérie remontant à trois ans, il ne devait pas beaucoup voir ses trois autres épouses [Code de la Famille Algérien, Article 19]. C’est devenu sujet de plaisanterie, au même titre que la tranche de jambon dans son frigo et les bières partagées ensemble. À écouter X, il n’a jamais vécu directement le racisme en France.
Ensuite, il y a eu le mariage de son meilleur ami au pays au bout de quelques mois, et moi qui ne comprenais pas pourquoi il ne savait pas quelques jours avant s’il irait ou pas. C’est à ce moment que j’ai compris que début mai, il n’avait toujours pas de réponse de la préfecture pour son titre de séjour demandé en septembre. J’ai alors recollé les morceaux : les nombreuses visites en préfecture, pas de titre de séjour, pas d’allocations de la CAF, c’était pour ça qu’il avait autant de mal à joindre les deux bouts financièrement. Un étudiant Algérien en France n’a le droit de travailler qu’un nombre d’heure limité [Accords fanco-algériens Titre III]. Il n’a pas non plus le droit de recevoir de l’argent provenant d’Algérie. Ce qui vous donne donc un étudiant supposé vivre avec un loyer (545 euros dans son cas pour une chambre en cité universitaire), avec le salaire correspondant à 18h de travail étudiant hebdomadaire, sans aucune aide tant que la préfecture étudie le dossier. Après un rapide calcul, on est largement en-dessous du seuil de pauvreté.
Après cette prise de conscience et le mois de septembre (et donc la demande de renouvellement de titre de séjour) approchant, nous avons eu notre conversation la moins romantique. Celle où je lui ai dit que nous allions parler de mariage puisque de toute façon, tout le monde en parlait quand il s’agissait d’une Française et d’un Maghrébin. Je lui ai dit que je voulais en parler parce que j’avais compris que chaque année, la préfecture aurait droit de vie ou de mort sur notre histoire. Je voulais qu’on ait une vraie chance, je ne concevais pas qu’on ne puisse pas faire de projet ensemble parce qu’il y aurait toujours la “deadline” en septembre. Je voulais en parler aussi parce que notre histoire ne méritait pas qu’un jour nous nous retrouvions à décider dans l’urgence de nous marier. À la question “voudrais-tu qu’on se marie ?”, lui a répondu qu’il ne pouvait pas y penser parce qu’un Arabe qui demande en mariage une Française, c’est pour les papiers. Je lui ai dit que ce n’était pas la question, il m’a répondu que oui, bien sûr, mais qu’il n’était pas prêt, qu’il voyait ça dans cinq ans. Nous étions d’accord, mais nous nous sommes quand même renseignés.
Il est très vite apparu que c’était la seule réelle manière de faire peser notre couple dans la balance car le mariage donne le plein droit à un titre de séjour [CESEDA Article 211-2-1]. Le PACS ? C’est un élément favorable pour un titre de séjour “à la discrétion du préfet”. Son intégration réussie ou son diplôme Bac + 5 passé en Algérie et en France ? Un facteur totalement aléatoire, autant que votre manière d’être reçu en préfecture selon la personne se trouvant au guichet ce jour-là.
En parallèle de nos préparatifs de mariage, les péripéties à la préfecture ont été nombreuses.
Il y a eu les convocations auxquelles X se présentait avec l’ensemble des documents listés par écrit et où on lui demandait un autre document. Il y a eu cette fois en particulier où la “dame du guichet” a soigneusement épluché l’ensemble des pièces de X (qui avait pris l’ensemble de sa vie administrative sur lui) avant de trouver un document absent pour le lui demander et lui imprimer une nouvelle convocation un mois après.
Il y a eu les dépôts de dossiers pour renouvellement du titre de séjour sans jamais obtenir de récépissés de dépôt de dossier, ce document que la préfecture a l’obligation légale de vous délivrer pour prouver que vous n’être pas “sans-papier” mais avez un dossier en cours d’étude [CESEDA Article 211-2-1]. Lorsque vous réclamez le récépissé en citant l’article de loi, la réponse est “nous ne faisons pas ça ici, envoyez un courrier à ….”.
Il y a eu les demandes de documents officiels qui n’existent pas, comme un document de la chambre des métiers alors que le métier de X n’est pas régi par cet organisme. Sachez que dans ce cas, le meilleur recours est de vous déplacer dans ledit organisme, de vous faire confirmer que vous perdez votre temps, et de demander une attestation que le document demandé n’existe pas. Si la personne en face de vous est assez compatissante, elle vous le fera.
Il y a eu le parcours des associations pour nous renseigner et parce que le dossier de X traînait à nouveau de visites en visites à la préfecture, d’abord la CIMADE puis les AMOUREUX AU BAN PUBLIC. À écouter les bénévoles, le cas de X ne devait pas poser problème, avec son bac +5, avec son français parfait sans accent, avec son intégration incontestable et son parcours “dans les clous” durant ses huit années de présence en France.
X est architecte. Ayant validé ses études complètes (Bac +5) en Algérie, son diplôme valait équivalence, mais uniquement pour un emploi salarié dans lequel un autre architecte signait le projet. Il a dû reprendre en Licence 3 en France pour valider l’année permettant de se lancer en auto-entrepreneur. Finalement, ayant arrêté en cours de route, c’est une boîte de dessin en bâtiment qu’il a montée, pour exercer comme dessinateur projeteur, un métier de sous traitance de l’architecture qui ne requiert aucun diplôme d’état mais un équivalent Bac + 2. Pour faire simple, imaginez le médecin étranger qui exerce comme infirmier.
Il y a eu le refus de titre de séjour accompagné de l’ “OQTF” : obligation de quitter le territoire français.Le motif était “exercice illégal du métier d’architecte”. Trente jours lui ont été donnés pour quitter le territoire. Nous étions finalement dans cette situation que j’avais voulu anticiper. Le mariage était déjà planifié trois mois et demi après, mais quelle rage d’apprendre que nous serions finalement de ces couples qui se marient pour rester ensemble, pas juste pour concrétiser leur bonheur ensemble. Il restait également deux mois et demi où X serait en situation irrégulière en France.
La CIMADE nous a transmis le contact de plusieurs avocats pour pouvoir faire un recours administratif. Vos options dans ce cas sont l’aide juridictionnelle qui permet de réduire les coûts de l’avocat pour les personnes dans le besoin, ou une procédure classique chez un avocat spécialisé dans le droit des étrangers, qui bien sûr permet d’aller un peu plus rapidement. Simples étudiants, nous avons choisi la deuxième option en croisant les doigts pour que la fin de mon prêt étudiant soit suffisant.
L’avocat en question n’a pas compris que ce “cas d’école” en soit là, comme c’était le cas pour les associations. Le cas de X n’était pas un cas censé poser problème. Il était certain que le recours administratif passerait et n’a demandé aucun frais à X, car dans ce cas, les frais d’avocats lui sont versés par l’État. Lors de la convocation au tribunal quatre mois plus tard, ma sœur, ma mère et moi étions présentes pour accompagner X. Le recours administratif fût rejeté. Lors du coup de fil de notre avocat, celui-ci a insisté pour lancer une procédure d’appel qui allait durer un an. À ce moment-là, nous étions mariés, mais ce monsieur voulait essayer de faire jurisprudence même si cela ne nous servirait plus à nous. Un an plus tard, nous avons appris que l’appel avait également été rejeté.
Du côté du mariage, il y a eu “la personne du guichet” qui nous a aidés. Je jurerai qu’elle était tout à fait consciente de la situation et a choisi de nous aider. En effet, lorsqu’un dossier de mariage mixte est présenté en mairie, un titre de séjour doit être fourni pour la personne étrangère. Si ce n’est pas le cas ou si la personne est en situation irrégulière, le dossier est souvent signalé en préfecture sous prétexte de l'[article 40 du code de la procédure pénale]. Cette personne a levé un sourcil en voyant que nos pièces d’identité étaient des passeports, nous a demandé “c’est tout ce que vous avez sur vous ?” et a mis le dossier de côté. Nous aurions dû recevoir une convocation et une enquête de la préfecture (car interdire un mariage est contraire au droit de l’Homme), ce ne fût jamais le cas.
À une semaine de notre mariage, X a appris que son père ne pourrait être présent à cause d’un couac administratif sur son visa. X hésitant à repousser la date, j’ai eu une crise de panique à l’idée de retarder ce moment où il ne pourrait plus être placé en centre de rétention après un simple contrôle et renvoyé vers l’Algérie. Nous avons maintenu la date prévue et nous sommes mariés sans son père.
Suite au mariage, le dossier déposé en préfecture pour demander un titre de séjour a mis encore quatorze mois à être traité avec un bon lot de visites en préfecture. Encore une fois, notre cas ne devait pas poser problème, car le mariage donne de plein droit accès à une carte de séjour d’un an “vie privée et familiale” à condition -entre autres- de justifier d’une entrée régulière en France. [CESEDA Article 211 2 1]
Méconnaissance ou malveillance, j’ai eu le droit au classique “Madame, le problème c’est que votre mari était en situation irrégulière au moment du mariage, donc il aurait dû repartir dans son pays et refaire une demande de visa pour rentrer en France puis se marier”. Grâce à nos contacts réguliers avec “les amoureux au ban public” et à la lecture de nombreux témoignages, nous savions déjà que cette affirmation fausse (seule l’entrée régulière sur le territoire compte) était souvent utilisée pour faire repartir les étrangers, qui se retrouvent généralement ensuite avec une IRTF (interdiction de retour sur le territoire français) de trois à cinq ans. Il m’a fallu énormément de courage pour corriger fermement mais calmement la “personne du guichet” en lui expliquant que je connaissais nos droit et que son affirmation était erronée. [CESEDA Article 211 2 1]
Nous avons eu droit à une demande de preuves de vie commune alors même que “la personne du guichet” avait en main la facture EDF, l’abonnement téléphonique fixe, l’abonnement internet, la facture d’eau, l’assurance habitation à nos deux noms. À la question “qu’entendez-vous donc comme preuve de vie commune du coup ?”, on m’a répondu que je devrais avoir mon mari sur ma sécurité sociale (étudiante à l’époque) et sur le bail de notre appartement. L’agence immobilière avait à l’époque prétendu qu’il était impossible de mettre X sur le bail du fait de l’absence de titre de séjour. J’ai donc appelé mon agence en face de “la personne du guichet” pour demander une attestation de leur part sur le fait qu’il n’était pas possible d’inclure X sur le bail. Ce papier ne pouvait évidemment pas être fourni, car il est illégal et discriminatoire de refuser de placer une personne sur le bail de location parce qu’il est étranger sans titre de séjour. En effet, le droit au logement est ouvert à tous les étrangers, sans distinction de leur titre de séjour. [Conseil d’État du 11/04/2012, n° 322326] Quinze jours après, notre avenant au bail incluant X était signé.
Bien sûr, en tant que femme d’étranger, “la personne du guichet” vous regarde souvent de haut, vous parle sur un ton condescendant et ne se prive généralement pas de sous-entendre sa désapprobation. Comme cette fois où elle a levé les yeux vers moi en recevant notre avenant pour me dire “Ah. Donc on demande à Madame de mettre son mari sur le bail, et donc Madame fait mettre son mari sur le bail”.
Notre cas qui “ne devait pas poser problème” s’est donc terminé par l’obtention d’une carte résident dix ans au bout de trois ans de relation, il y a deux ans maintenant, après avoir fait face à ces nombreuses “personnes du guichet”. La préfecture nous aura volé notre spontanéité dans le couple, trois années de voyages que nous n’avons pas pu faire car X ne pouvait pas sortir du territoire, la présence du père de X à notre mariage. Mais il n’a jamais pu toucher à l’évidence de notre relation et à la simplicité de nos rapports. Le plus drôle ? Dans quelques mois, X sera probablement Français, si nous trouvons le courage d’affronter de nouvelles démarches administratives !

Dessin en noir et blanc : labyrinthe avec des noeuds et un piege à loups, un crocodile est devant trois des entrées.
Bienvenue en France, sic, que de couples ont traverses ces epreuves, beaucoup trop a mes yeux. J ai parfois honte de mon pays.et encore tu ne parle pas de la dame du guichet de la poste qui te repond a toi alors que c est lui qui a pose une question, de la nana du tribunal administratif qui te demande qui porte la culotte dans votre couple, du flic qui demande a voir notre fils de 3 ans au comissariat et qui lui demande ce qu il fait avec son papa , qui donne un papier a son pere et lui dit d ecrire “le petit chat est gris” et lui d ecrire ” je suis au comissariat et je me demande ce que je fais la”.
Je passe toutes les blagues racistes de l entourage sur les africains hein, ca ca devient du pipi de chat a la longue.
Colere, parceque ca continue avec mon fils metis, qui se fait controler son sac a l entree du cine mais pas ses potes blancs, fan de velo il se fait stopper par un mec lambda dans la rue quand il pedale a fond le gars lui demande s il a pas vole le velo ! Et j en passe il n a que 15 ans.
Bonjour Lucie,
Je crois que l’une de nos “chances” est que X n’est pas typé physiquement et que ça nous a fait échapper à ce que tu racontes… Les humiliations sont nombreuses au guichet et dans la vraie vie mais j’espère qu’elles prendront fin pour vous, et que ton fils est fier d’être métis.
Prenez soin de vous.
Bonjour
Merci pour ce témoignage (et ses indications d’étapes et d’associations) qui montre d’une part l’horrible administration et le racisme d’un bout a l’autre que ces amours mixtes doivent affronter. Comme si ces amours étaient interdits, inavouables…. Et comme si il était normal de les bafouer aux guichets de toutes sortes. Et jusque par l’entourage proche et moins proche.
Longue vie à votre amour !!!!!!
Merci 1000 fois pour ton message Mago : -)
Édit : X est franco-algerien depuis décembre 2017 . Bon courage à tous ceux qui n’en sont pas encore à cette étape.
Merci pour ce témoignage, je le partage auprès d’une amie qui vit de lourdes difficultés en tant que ressortissante algérienne en France, étudiante en deuxième année de droit à Paris.
J’espère que ça lui apportera quelques bonnes ondes et du courage : ) bonne chance à elle