Bonjour ou bien bonsoir, tout dépend de l’heure qu’il est pour vous.
Je m’appelle… Ah non, ça, je ne vous le dirai pas. Parce que c’est mieux pour moi. C’est moins réel. J’ai 20 ans et j’ai quelque chose à vous dire. Oui vous, vous qui me lisez. Vous qui n’avez aucune idée de qui je suis. Mais je vous assure, c’est mieux comme ça.
J’ai donc 20 ans et je suis détruite. Oui, je suis détruite. « Oh mais non, tu as 20 ans, tu as la vie devant toi ». Non. Ma vie est derrière moi. Ils me l’ont volée.
À l’âge de 15 ans, j’ai été agressée sexuellement. Par une personne que je connaissais. Une personne qui avait 17 ans. Une personne à qui je croyais pouvoir faire confiance. Une personne qui a abusé de moi. Une personne qui m’a séquestrée pendant un après-midi. Avant d’essayer de disparaître de ma vie. Une personne contre qui j’ai porté plainte il y a deux ans. Une personne contre qui une autre fille a déjà porté plainte pour viol. Une personne qui est toujours libre. Une personne qui vit sa vie, tranquillement. Pendant que moi je souffre.
À l’âge de 16 ans, j’ai été violée. Par une personne que je considérais comme ma famille. Il m’a manipulée, a usé de la confiance que je lui accordais. Il m’a violée, chez moi. Avant d’essayer de disparaître de ma vie. Il avait 28 ans et était déjà papa d’une petite fille.
À l’âge de 17 ans, j’ai été agressée par une autre personne. Hé oui, encore. Cette personne avait 18 ans. Il m’a agressée dans un espace public. Avant de disparaître de ma vie. Depuis, j’ai appris que je n’étais pas la seule qu’il avait agressée.
Voilà.
Pourquoi je vous écris tout ça ?
Hé bien simplement car il est important de dire ces choses. Il est important que vous sachiez ceci.
Non, je n’étais pas en mini short ou avec un décolleté plongeant.
Non, je ne l’ai pas cherché.
Non, je n’ai pas provoqué ce qui m’est arrivé.
Non, ce n’était pas dans une ruelle sombre.
Non, je n’ai pas été « battue ».
Non, ce n’était pas « violent ».
Non, je n’étais pas sous influence d’alcool ou de substances illégales.
Non, ce n’était pas en soirée.
Non, ce n’était pas dans un quartier dangereux.
Non, ce n’était pas des inconnus.
Non, on ne m’a pas suivie dans la rue.
Non, je n’aurais pas su m’extirper de la situation.
Non, ça ne m’est pas arrivé car « je le voulais ».
Non, ils n’étaient pas plusieurs.
Non, non, non, non, non, non, non et non !
Non, mon entourage ne m’a pas soutenue.
Oui, je voulais m’enfuir.
Oui, je ne voulais pas que ça arrive.
Oui, je rêvais de pouvoir me défendre mais je n’y parvenais pas.
Oui, j’ai mis énormément de temps à en parler.
Oui, je me sentais sale.
Oui, j’avais peur.
Oui, j’avais honte.
Oui, depuis je prends au minimum une douche par jour.
Oui, depuis mes rapports aux hommes sont compliqués.
Oui, depuis je ne suis plus à l’aise aux contacts physiques.
Oui, je suis détruite.
Oui, j’en souffre chaque jour.
Oui, j’en fais des cauchemars chaque nuit.
Oui, je rêve qu’ils payent.
Oui, je veux porter plainte contre les deux autres, mais je n’ose pas.
Oui, j’ai peur.
Oui, j’ai peur des représailles.
Oui, j’ai peur de me retrouver face à un deuxième dossier « classé sans suite ».
Oui, je suis détruite.
Alors je vous écris cette lettre à cœur ouvert. Car je veux que vous sachiez. Je veux que les choses changent. Pour moi, puis pour toutes les autres personnes victimes de ces abus.
Ce monde est triste et violent.
Je voudrais qu’il change.
Le cri d’une silencieuse révoltée

Dessin en noir et blanc d’une femme nue, yeux fermés, cheveux détachés. On voit l’intérieur de son corps, ses organes. De son cœur part des tentacules noirs qui enserrent tous ses organes, remontent jusqu’à sa bouche et sortent par ses yeux.
Illustration par Marceline