42 ans, sur le point de divorcer
c’est terminé je ne serai plus forcée
ouf ! Les enfants sont grands
allongée dans la cuisine
le sol est trop glissant
j’voulais juste m’échapper
arrêter de morfler
de subir son plaisir
ne plus être qu’un jouet
mais ces coups-là étaient si fort
et ma tête qu’il a tapée
sur le beau sol en marbre
le v’la tout salopé
y’a mon sang qui s’étale
Remonter le temps
les souvenirs
accoucher enfin des terreurs enfouies
22 ans, mariée
Il est beau
il est gentil
il me trouve belle
il dit qu’il m’aime
je signe pour la vie
un an et c’est fini
il est dur
il me dit grosse
il me voit laide
il me cache bête
j’suis grosse et même engrossée
et puis il fait tellement tout bien
j’suis une moins que rien
à peine foutue d’le servir comme y faut
la première claque
quand j’pleure, que j’perds les eaux
c’est pour m’calmer qu’il dit
bientôt au plumard il me voit comme un veau
décide de m’prendre avec un d’ses poteaux
pour réveiller ma libido
le calvaire des viols d’alcôve
des pluies battantes à sec
qui dure 20 années
enfin j’décide de me tirer
mon fils est grand
c’est un violent
ma fille pas encore majeure
c’est à coups de pied
qu’il la fait avorter
l’aura fallu du temps
pour qu’j’essaye de m’extirper
tellement clouée par la culpabilité
19 ans, en couple
pas envie
mais tant pis
lui il veut
alors je me plie aux jeux
et puis si je plie pas
il fera ça sur moi
m’écrasant de son poids
encore deux ans comme ça
16 ans, en fugue
une amie m’offre un canapé
dans la nuit le père rentre
me dit jolie
me caresse les cheveux
je ne sais pas ce qu’il veut
je suis au lit
ma bouche happée
je ne dis rien, la peur au ventre
je suis absente
14 ans, en fugue,
jean, baskets, cheveux longs sales
comme à chaque fois
mendier pour manger
dormir dans une cage d’escalier
tiens un café où je peux rester
un bouge plutôt en fait
les habitués m’ont à la bonne
tous alcooliques
m’invitent même à regarder un film chez l’un d’eux
devant la télé, sur le canapé, je suis choquée, coincée
que dire de ces images, je suis tétanisée
là je crois que la femme a pitié de moi
sent le danger de me laisser là
chez elle elle m’invite pour la nuit
j’me rappelle pas comment je suis sortie
13 ans, sortie interdite aux demi-pensionnaires
juste une ballade
Valérie, je t’avertis qu’il n’est pas net
trop près de nous
d’un geste tu balayes mes doutes
vers la forêt continuer la route
dans l’ombre l’homme se fait monstre
voulant que tout on lui montre
allant jusqu’à toucher
il m’est impossible de bouger
et c’est seulement ta fuite
cette course fortuite
qui me défige
après les cris inentendus
silence, plus un mot
même entre nous
13 ans, première escapade,
avec ma mère retour sur les lieux
pour retrouver un Bambi oublié
un homme nous suit
Promène-t-il son chien
Hé les filles
je me retourne
un truc sort de son pantalon
c’est blanc, c’est mou, c’est long
ma mère : oh quel con
pas accéléré,
retour à la voiture
beau-père excédé
ne rattrapera pas l’ordure
mais rien, aucune explication
juste la terreur au fond
et puis y’a cette voix
qui m’dit que j’aime ça
que j’suis qu’une p’tite garce
qui va m’en donner
qui va m’montrer c’que c’est
un homme un vrai
qu’ce s’ra ma punition
mon expiation
j’ai pas 8 ans
je sais pas où
je sais pas qui
j’sais pas pourquoi
je sais pas quoi
y’a plus qu’une voix
et mon corps qui se tord
se torture, se remémore,
et les remords
plus tout les p’tits « aléas »
Pas de femme à ce poste-là
les frottis frottas du métro
les trucs que les mecs disent dans ton dos
Si vous pensez que cette histoire est singulière
interrogez les femmes autour de vous
celles qui sont encore debout
sans voyeurisme, avec écoute et empathie
vous serez alors bien surpris
par l’ampleur de nos peurs
la masculine terreur
Labuc – 06/12/2012
Illustration par Labuc
http://www.youtube.com/user/Labuc1968
https://www.thechangebook.org/pages/1171/
Je suis très touchée par ce poème, comme une frise…
Toutes ces années…
Vous souhaitant une nouvelle route qui n’appartienne bien qu’à vous